Maroc-Nigeria: une visite aux enjeux prometteurs

Le roi Mohammed VI à Abuja avec le vice-président de la République Fédérale du Nigeria, Yemi Osinbajo.

Le roi Mohammed VI à Abuja avec le vice-président de la République Fédérale du Nigeria, Yemi Osinbajo.. DR

Le 02/12/2016 à 07h00, mis à jour le 02/12/2016 à 09h14

Avec le Nigeria, le roi du Maroc entame aujourd’hui une étape cruciale de son périple africain. Les enjeux des relations bilatérales entre ces deux pays sont multiples, tant au niveau politique qu’économique. Une nouvelle page pourrait s'écrire.

Lagos, la capitale économique du Nigeria, est certainement l’étape la plus importante du périple de Mohammed VI, roi du Maroc, en Afrique subsaharienne. Après le Rwanda, la Tanzanie, le Gabon, le Sénégal, l’Ethiopie et Madagascar, l’étape nigériane, la première d’un souverain marocain dans ce pays, est cruciale, à plus d’un titre.

D’abord, sur le plan politique, le Nigeria, catalogué parmi les principaux soutiens d’Alger, avec l’Afrique du Sud, dans le dossier du Sahara marocain, pèse sur la scène africaine. Cette étape nigériane, qui rentre dans le cadre de la diversification des alliances du royaume avec le reste du continent, revêt alors une importane cruciale. 

En effet, de prime abord, le Maroc compte obtenir non seulement le soutien du géant africain à son retour au sein de l’Union africaine en janvier 2017, mais aussi et surtout ouvrir une brèche dans l’axe Alger-Abuja-Pretoria qui lui est plutôt hostile jusqu’à présent.

Nouvelle ère diplomatique

L'amorce stratégique de cette orientation diplomatique a été entamée avant même l’arrivée de Muhammadu Buhari au pouvoir, lorsque le roi Mohammed VI a refusé de recevoir l’appel de Goodluck Ebele Jonathan à la veille d'une élection présidentielle cruciale et rappelé son ambassadeur au Nigeria pour protester contre les allégations du président nigérian d’alors sur un prétendu entretien téléphonique avec le roi du Maroc dans le but d’amadouer la communauté musulmane du pays, largement plus favorable à son chalenger Muhammadu Buhari. Et depuis l’élection de ce dernier à la tête du Nigeria, les lignes ont commencé, lentement certes, à bouger. Des hommes politiques et de sécurité du royaume ont ainsi rencontré le président Buhari pour discuter économie et sécurité. Et cette visite royale va certainement être le début d’une ère nouvelle entre les deux pays, sachant que, de part et d’autre, il y a aujourd''hui une volonté manifeste de renforcer les relations bilatérales.

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Ensuite, outre le volet politique, cette visite aura un cachet économique particulier. Le Maroc ayant désormais opté pour une diplomatie économique active vers les pays d’Afrique subsaharienne, l’étape nigériane sera marquée, comme les précédentes, par des signatures de mémorandums et de conventions entre, d’une part, les deux pays et, d’autre part, les opérateurs économiques marocains et nigérians.

La seconde puissance économique africaine

Il faut rappeler que le Nigeria est la seconde puissance économique du continent, derrière l’Afrique du Sud. C’est aussi le premier producteur de pétrole du continent africain.

Toutefois, le Nigéria est une puissance aux pieds d’argile. Son économie repose quasi exclusivement sur le pétrole qui représente 95% des recettes d’exportation et 80% des revenus du pays. Et si le pays est le 6e exportateur mondial de pétrole, il n’en demeure pas moins qu’il ne dispose pas de raffinerie et doit importer son carburant d’Europe et des Etats-Unis.

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Cela n’empêche pas que le pays soit, de loin, la première puissance de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), créée en 1975, qui compte pus de 300 millions de consommateurs avec un PIB global de plus de 750 milliards de dollars. Et le Nigeria représente presque les 2/3 des consommateurs de cette région. Cette communauté, composée de pays avec lesquels le Maroc a tissé d’excellentes relations, envisage de mettre en place une monnaie unique en 2020. 

Echanges commerciaux faibles

C’est dire que du point de vue économique, le Nigeria est un pays où il faut être présent. Rien que ses186 millions d’habitants justifient une présence sur ce marché. Et malheureusement, du fait des tensions politiques liées au Sahara marocain, les relations économiques entre les deux pays restent cantonnées à de faibles échanges. En 2015, les échanges en biens et services entre les deux pays se sont établis à 120 millions d’euros.

La situation va certainement évoluer rapidement avec le Forum économique réunissant les opérateurs économiques des deux pays et surtout avec cette visite du roi Mohammed VI. D’ailleurs, des projets structurants sont annoncés. Il est attendu de ce forum que les hommes d’affaires marocains et nigérians puissent exploiter les atouts des deux pays pour créer de la richesse, à travers des partenariats et des joint-ventures.

Les entreprises marocaines sont globalement absentes du marché nigérian. C’est le cas notamment des banques marocaines présentes dans tous les pays de la sous-région. On note tout de même l’implantation du groupe Saham Assurance dans le pays le plus peuplé du continent. Celui-ci a acquis Unitrust Insurance (2014) et Continental Ré (2015). Certaines entreprises marocaines y font aussi des affaires. C’est le cas de HPS dont la solution monétique PowerCARD gère les solutions monétiques de quelques banques nigérianes.

Nigéria: le géant qui meurt de faim

Toutefois, la présence et les relations économiques entre les deux pays devraient connaître un nouveau souffle. L’organisation du Forum économique le mercredi 30 novembre va contribuer au renforcement des relations entre les deux pays. Celle-ci a été marquée par la présence de nombreux opérateurs marocains et nigérians représentant plusieurs secteurs d’activité : agroalimentaire, banque, énergie renouvelable, assurance, exploitation minière, tourisme, TIC, industrie, transport & logistique, etc.

OCP Africa au Nigeria

A ce titre, le groupe OCP, via sa filiale africaine OCP Africa, compte s’implanter au Nigeria avec la création de OCP Africa Fertilizers Nigeria. Cette unité sera détenue à hauteur de 99,9% par OCP Africa, le bras armé de l’OCP sur le continent qui envisage de s’implanter dans 13 pays africains. L’Afrique pèse presque 25% des exportations globales de phosphates du groupe OCP. Il s’agit d’un projet qui a été présenté en juillet dernier au président nigérian et qui a bénéficié d'un accueil très favorable. Il faut dire que le Nigeria qui compte uniquement sur le pétrole souhaite désormais diversifier son économie en s’appuyant sur l’agriculture. Un domaine où il pourra compter sur la production locale d’engrais et sur l’expertise marocaine acquise avec le Plan Maroc Vert. 

En tout cas, le marché nigérian représente de nouvelles opportunités pour les investisseurs et opérateurs marocains qui pourront faire de ce pays leur tête de pont vers de nombreux pays limitrophes : Cameroun, Tchad, Niger et Bénin.

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Par ailleurs, les deux pays peuvent aussi compter sur un autre pilier pour enforcer leur coopération, celui du champ religieux. D'ailleurs, à deux jours de l'arrivée du roi du Maroc, le président Muhammadu Buhari a reçu à Abuja le guide de la Tariqa Tijania au Maroc, Mohammed El Kabir Ibn Ahmed Tijani. Le Nigeria dont plus de 45% de la population est musulmane compte des millions d'adeptes de la Tariqa Tijania très liés aux courants religieux tijanis sénégalais (famille Niass et famille Omarienne, notamment). Et dans le cadre de cette coopération religieuse, plusieurs imams nigérians sont aujourd'hui formés au Maroc. Ils pourront constituer un rempart contre l'obscurantisme et l'extrémisme religieux de Boko Haram.

Enfin, après le Nigeria, le roi bouclera cette tournée africaine avec une visite en Zambie. Ce pays a décidé tout dernièrement de retirer sa reconnaissance de la République autoproclamée par le Polisario, ouvrant une nouvelle brèche en Afrique australe dans les soutiens à la cause défendue par Alger.

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Principales caractéristiques du pays

Nigeria ………………………………………………… République fédérale de 36 Etats

Capitale ……………………………………………….. Abuja

PIB (PPA) …………………….……………………..… 1.092 milliards de dollars (2015)

Monnaie ……………………………………………….. Naira

Population ………………………………………….… 186 millions d’habitants (2016)

Superficie………………………………………………. 923 768 km2

Principales ressources ………………………..…....... Pétrole, gaz naturel, étain, fer, plomb, zinc,…

Principales composantes ethniques ………….......... Haoussa, Yoruba, Igbos, Nupe, Tiv, Kanuri, peuls

Langues ………………………………………………... anglais (officielle), yoruba, haoussa, kanuri, Igbo

Religions ……………………………………………….. Islam, christianisme, animisme, …

Par Moussa Diop
Le 02/12/2016 à 07h00, mis à jour le 02/12/2016 à 09h14