«La montée en puissance» du G5 Sahel, brigade antiterroriste commune à 5 pays - Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad - coachée par la France, ne semble pas susciter un énorme espoir chez Ahmedou Ould Abdallah, ancien représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies (ONU) en Afrique de l’Ouest.
Cet ancien ministre mauritanien des Affaires étrangères, puis haut fonctionnaire international à la retraite, dirige actuellement le Centre de stratégie pour la sécurité au Sahel et au Sahara (C4S) basé à Nouakchott.
Fin connaisseur des réalités de la diplomatie sécuritaire de la région, il présente un tableau sombre de la situation au Sahel, zone avec des populations en profonde détresse économique et sociale «prêtes à s’allier avec le diable» et dans laquelle «Daech recrute en terre fertile». Une conviction exprimée à travers un entretien exclusif avec le site «Geopolis».
Mettant le doigt là où ça peut faire mal, le promoteur du C4S dénonce «la politique démagogique de certains pouvoirs qui entretiennent des ententes occultes avec des mouvements djihadistes».
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L’ancien chef de la diplomatie mauritanienne stigmatise l’attitude de quelques pays du Sahel «qui veulent le beurre et l’argent du beurre. Des gouvernements diffusant une campagne insidieuse contre les forces étrangères qui leur viennent en aide. Une véritable aberration» qu’il aurait constatée au cours de sa riche carrière au service de la paix et de la sécurité régionale.
Ahmedou Ould Abdallah va plus loin et explique ce double jeu. «Il y a plusieurs raisons à cela. La nécessité de survie de certains régimes qui sous-tend une politique démagogique. On veut une présence extérieure pour renforcer le pouvoir en place et lui donner du prestige, et en même temps, on mène une campagne insidieuse qui encourage et renforce l’adversaire à travers cette présence extérieure. Il y a aussi, je le pense sincèrement, des ententes occultes entre mouvements djihadistes et certains gouvernements, ou groupes de pression autour de ces gouvernements».
Il évoque par la suite la réalité d’un Sahel théâtre de tous les trafics et du crime transfrontalier organisé «ce qui contribue à maintenir l’insécurité et l’instabilité. Cette situation profite à certains régimes coupés des réalités des populations, abandonnées à elles-mêmes».
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Le contexte ainsi décrit offre un alibi sécuritaire permettant aux gouvernants «de se servir sans le moindre contrôle dans les fonds publics. On détourne sous prétexte de lutte contre le terrorisme. On recycle les fonds de défense, les fonds destinés au renseignement, et les aides consenties par les partenaires extérieurs, que ce soit les pays du Golfe, les Etats-Unis, l’Union Européenne (UE) ou la France».
Les pays du G5 Sahel, organisation créée en 2014 en vue de coordonner les efforts de développement, les actions de lutte contre le terrorisme et l’insécurité, couvrent une superficie totale de plus 5 millions de kilomètres carrés, avec une population estimée à 60 millions d’habitants.
Ces Etats, situés dans une zone aride et désertique, sont confrontés à l’extrême pauvreté, au phénomène du changement climatique et à l’équation démographique matérialisée par une natalité très forte dans un contexte de profonde misère, à l’image du Niger.
Il y a également la question du chômage et une absence totale de perspectives, ce qui pousse les jeunes du Sahel à prendre la voie de l’immigration clandestine, ou intégrer les rangs des mouvements djihadistes qui les convertissent au terrorisme grâce à un discours démagogique et populiste.
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De nouveaux venus arrivent massivement sur le marché du travail chaque année sans diplômes. «Ils sont éliminés du système scolaire, non pas parce qu’ils sont de mauvais élèves, mais parce qu’ils ne sont pas de la famille, de la tribu qu’il faut. Tout comme ces diplômés à qui on ne donne pas de travail parce qu’ils ne sont pas de l’ethnie et de la religion qu’il faut».
Ces pratiques désolantes renforcent la césure identitaire et plombent les chances de naissance de véritables nations dans ces Etats créés originellement pour répondre aux besoins de la colonisation.
Sur la base de ce constat, il convient alors de se prémunir contre les dangers liés au mode de gouvernance dans les pays du Sahel, pour se donner les moyens de combattre les autres dangers «hypothétiques et réels» tels que le terrorisme.
Dans cet entretien, Ahmedou Ould Abdallah pose aussi l’équation de sécurité collective que les pays du Sahel continuent à sous-traiter auprès de la France et de l’Europe (Serval, Barkhane, GAR-SI…).