Sahel: faut-il négocier avec les jihadistes?

Nusrat al Islam wal Muslimine

Nusrat al Islam wal Muslimine. DR

Le 19/03/2018 à 17h05, mis à jour le 19/03/2018 à 17h07

Faut-il négocier avec les chefs jihadistes dans le Sahel et dépasser le volet du tout sécuritaire? Face à l'incapacité des Etats sahéliens à éradiquer la violence terroriste, la question fait débat.

La vaste bande sahélienne, étendue sur plusieurs millions de kilomètres carrés avec des frontières particulièrement poreuses et impossibles à contrôler, est plongée dans une spirale terroriste faite d'attentats, de prises d’otages et parfois même, d'occupations temporaires de territoire.

Une situation délétère qui a poussé les pouvoirs locaux et leurs alliés occidentaux, notamment la France, à mettre l’accent sur la stratégie du «tout sécuritaire» avec l’opération «Serval», les forces de l’ONU au Mali, le dispositif «Barkhane» et plus récemment à rendre opérationnelle la force antiterroriste du G5 Sahel, une brigade commune composée de soldats du Burkina Faso, du Mali, de la Mauritanie, du Niger et du Tchad.

Mais au-delà de l’indispensable riposte militaire, qui relève d’une réaction basique et qui a montré ses limites puisqu'aucun des leaders des groupes terroristes du Sahel n'a été éliminé ou capturé, ne faudrait-il pas penser aussi à négocier avec les groupes jihadistes, ou tout au moins avec certains chefs de mouvements qui seraient prêts à déposer les armes? 

Ce débat est particulièrement vif au Mali, pays qui sert d’épicentre aux attaques terroristes et dont les 2/3 du territoire, notamment la partie septentrionale, ont été le théâtre d’une occupation terroriste pendant 9 mois, d’avril 2012 à janvier 2013.

Face à cette interrogation lancinante, certaines figures politiques et de la société civile, à l’image de l’opposant Tibilé Drame et du président du Haut conseil islamique, l’imam Mahmoud Dicko, disent pourquoi pas?

Cependant, la réponse du président Ibrahim Boucar Keita (IBK) sonne comme un rejet catégorique et sans concession. Le chef de l’Etat malien estime en effet qu’Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa, deux chefs jihadistes du Nord et du Centre, «se sont auto exclus en tuant, en choisissant le terrorisme comme mode d’action. S’ils veulent revenir dans les rangs, pourquoi pas, mais ils répondront de leurs crimes».

Une position aux antipodes d’une contribution de 13 chercheurs, sous le titre «La France doit rompre avec la rhétorique martiale qui prévaut actuellement au Sahel», publiée il y a quelques jours sur le site Le Monde.fr.

Devant l’évolution de la situation au Mali, qui sombre dans un état de délitement de plus en plus inquiétant, ce collectif d’éminents chercheurs estime que «l’outil militaire français doit être subordonné à un projet politique défini et réalisé par la société sahélienne».

Ce qui pourrait amener les Etats à engager des négociations avec certains chefs jihadistes à travers les nombreux et insondables canaux traditionnels et informels. 

Livrant son avis sur ce débat, Moussa Ould Mohamed Amar, ancien directeur de l’Agence mauritanienne d’information (AMI, un organe du gouvernement), tente de lever une confusion par rapport à la nature des groupes violents.

L’analyste mauritanien soutient que «le gouvernement du Mali peut parfaitement négocier avec les chefs des groupes jihadistes nationaux, Iyad Ag Ghali et Amadou Kouffa, en excluant naturellement les terroristes non originaires du Mali. Les revendications de ces leaders ne sont pas d’ordre religieux. Il s'agit plutôt de doléances politiques et sociales -accès aux hautes fonctions et aux différents avantages que procurent l’exercice du pouvoir d’Etat, emplois (...)- servies dans un emballage religieux. Si le gouvernement afghan et les Etats-Unis négocient avec les talibans, il est concevable que les autorités maliennes adoptent la même approche vis-à-vis des chefs des mouvements islamistes nationaux».

La Mauritanie bénéficie d’une accalmie sur le front des attaques terroristes depuis décembre 2011. Sans établir un lien direct avec ce constat, on peut toutefois rappeler qu’en plus des mesures sécuritaires et militaires, les autorités de Nouakchott ont initié en janvier 2010 un dialogue avec plusieurs dizaines d’individus poursuivis et incarcérés pour terrorisme.

Des négociations à l’issue desquelles une amnistie a été accordée à tous «les repentis, qui n’avaient pas les mains tachées de sang».

Le lancement de ces pourparlers dans une prison de Nouakchott avait offert à El Khadim Ould Semane, cerveau reconnu de plusieurs attentats terroristes en Mauritanie, notamment l’assassinat de 5 touristes français en décembre 2007, une belle tribune pour déclarer devant la presse, son refus de négocier «avec les mécréants» en brandissant des menaces de mort contre les autorités du pays.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 19/03/2018 à 17h05, mis à jour le 19/03/2018 à 17h07