Mauritanie: un appel à une arabisation exclusive fait resurgir les vieux démons de la division

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Le 15/09/2019 à 10h45, mis à jour le 16/09/2019 à 16h42

La "guerre" des langues refait surface, après la publication par une association, d'une déclaration exigeant la fin de l'usage du français dans les documents officiels, provoquant de nombreuses réactions.

Cette semaine, dans les médias locaux comme dans les réseaux sociaux, c'est la foire d'empoignade entre une partie des arabophones et les 30% de Mauritaniens qui sont originaires des rives du fleuve Sénégal et dont les langues maternelles sont le Soninké, le Wolof et le Pular. 

La «la guerre» des langues est donc de retour en Mauritanie à cause d’un communiqué de l’Association pour la protection et de la diffusion de l’arabe en Mauritanie, protestant contre l’usage du français dans les documents administratifs officiels, rendu public en début de semaine.

Une sortie médiatique à l’origine de cette inflation de réactions. Cette organisation rappelle que «le français est la langue du colonisateur, alors que l’arabe est la langue officielle de la République islamique de Mauritanie au terme de la constitution».

La déclaration parle aussi des langues nationales «des dialectes utilisés par les communautés négro-africaines : le peul, le soninké et le wolof ». Elle appelle «à mettre fin à l’usage du français, car s’adresser délibérément aux gens dans une langue qu’ils ne comprennent pas constitue un acte prémédité qui ressemble à un défi».

Cette demande relève d’une revendication récurrente de certains arabophones en Mauritanie, pays anciennement colonisé par la France dans lequel l’usage de la langue Molière reste une réalité, en dépit de l’absence de toute référence dans la Constitution. 

«Depuis 1967, l’enseignement en Mauritanie a fait l’objet de plusieurs réformes, avec pour objectif principal l’arabisation, en vue d’une plus grande indépendance culturelle. Ces différentes initiatives ont débouché sur des échecs créant un système éducatif médiocre, fortement décrié pourvoyeur d’une école à plusieurs vitesses. Les plus fortunés envoient leurs enfants à l’étranger ou dans des établissements privés jouissant d’une certaine réputation, alors que le public (l'enseignement public, Ndlr) est devenu inexistant du point de vue de la qualité», se désole un spécialiste de l’éducation.

Un constat face auquel les nouvelles autorités semblent sensibles, si on se réfère au communiqué sanctionnant la réunion du gouvernement du jeudi 12 septembre 2019, qui annonce «une concertation élargie avec toutes les compétences, en même temps qu’une action à deux niveaux pour une nouvelle politique éducative capable de redonner confiance à l’école républicaine et restaurer son respect».

Incitation à la discrimination ?

Réagissant à la déclaration de la Défense et la diffusion de la langue arabe, Cyré Ba, un cadre et activiste des Forces de libération africaines de Mauritanie (FLAM), exilé en France depuis plusieurs dizaines d’années, affirme dans une contribution publiée sur le forum «ridem.org » que l’organisation «devrait tomber sous le coup de la loi 023/2018, pénalisant la discrimination ».

Il ouvre le feu sur les auteurs de la déclaration publiée en début de semaine, qualifiés « d’illuminés racistes, partisans du repli identitaire, de l’exclusion et de la décadence ».

La contribution s’insurge contre «une posture à teinte idéologique qui ne fait plus recette dans les pays arabes, lesquels maintiennent et renforcent les langues anglaise et française, qui ne sont plus «étrangères» ou le mandarin pour le commerce. Mieux, au Maghreb, la langue berbère est reconnue et bénéficie de promotion officielle.

Le Maroc, par exemple, dont la population berbère est estimée entre 15 et 20 millions de personnes vivant souvent dans l’Atlas ou en campagne, et n’apprenant l’arabe qu’à l’école comme les populations de notre vallée du fleuve, a officialisé la langue amazighe (berbère) en 2011.

Une loi généralisant l’usage de cette langue dans les administrations et à l’école, a été votée à l’unanimité par les députés le 10 juin 2019. Celle-ci permettra la délivrance de nombreux documents administratifs en langue amazighe ou l’inscription de celle dans tous les documents de première importance comme la carte d’identité nationale ou le passeport. Une chaîne de télévision Tamazight est consacrée à la culture berbère. Cas de figure impensable en Mauritanie.

Retournant à l’association son propre argument, Cyré Bâ ajoute que cette dernière s’adresse délibérément aux populations du fleuve dans une langue qu’ils ne comprennent pas, ce qui est une manière de les défier de manière préméditée. "Alors il faudrait demander à ces défenseurs d’une Mauritanie exclusivement arabe, quelle est la place des autres gens", explique-t-il.

"Fait nouveau aggravant, ils assimilent des langues nationales reconnues à des dialectes de communautés négro-africaines. Si les mots ont un sens, c’est le retour de l’indigénat", ajoute-t-il.

Saisir les véritables enjeux pour les populations

Pour sa part, le Pr Lô Gourmo vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition), invite les mauritaniens à appréhender les véritables enjeux auxquels fait face le pays. Ce spécialiste du droit signale que «ceux qui font du combat immédiat contre l’usage du français dans la vie administrative du pays un caprice récurrent, sont les mêmes qui cherchent à amplifier le racisme et les discriminations ethniques, sachant que l’arabe, comme langue unique de travail-englobant le Hassanya, un dialecte tiré de cette langue, sera un handicap insurmontable pour les locuteurs du français, pour la plupart appartenant aux communautés négro-africaines».

Et d’ajouter : «Cette guerre des langues qu’on tente de mettre en chantier n’a pour seul effet que de détourner notre peuple multinational de son combat unitaire pour une démocratie pluraliste apaisée et pour un partage équitable des ressources immenses de notre pays».

Enfin, il conclut qu’il «est un droit pour chaque citoyen mauritanien «de converser» avec l’Etat dans sa langue maternelle et dans la langue apprise à travers le système d’éducation national comme langue d’enseignement. Que ce soit le français ou l’ourdou».

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 15/09/2019 à 10h45, mis à jour le 16/09/2019 à 16h42