Mauritanie: la vie déjà tumultueuse d'un Abdel Aziz en bisbille avec son ami Ghazouani

L'ancien président Mohamed ould Abdel Aziz.

L'ancien président Mohamed ould Abdel Aziz. . DR

Le 07/12/2019 à 10h48, mis à jour le 07/12/2019 à 10h50

A peine revenu en Mauritanie après quelques mois passés à l'étranger, Mohamed ould Abdel Aziz a voulu renouer avec ses vieilles amours de chef de l'Etat. Mais en voulant faire de l'ombre à son successeur, l'ex-homme fort de Nouakchott est peut-être en train de jouer avec le feu.

Ce jeudi 28 novembre, lors des festivités de la fête d'indépendance, le fauteuil réservé à Mohamed ould Abdel Aziz à Akjoujt (250 kilomètres au nord-est de Nouakchott), en sa qualité d'ex-chef d'Etat, est vide. Pourtant, tout semblait indiquer qu'il était revenu au pays sur invitation de Mohamed Ghazouani pour honorer de sa présence cette cérémonie, aux côtés de deux autres ex-chefs d'Etat. Malheureusement, rien ne s'est déroulé comme on l'imaginait.

Selon certaines indiscrétions, la veille il avait été invité à s'expliquer sur plusieurs retraits de sommes importantes des caisses du trésor public ou de la Société nationale de l'industrie minière (SNIM). La démarche l'aurait alors courroucé, au point où il a pris l'initiative de rassembler certains de ses ex-compagnons pour reprendre en main le parti au pouvoir. Malheureusement, il n'a pas été suivi. C'était donc parti pour la détérioration des relations avec son ami et successeur. Un scénario auquel peu de personnes s'attendaient.

Frappé par la limitation constitutionnelle des mandats après les triomphes en 2009 et 2014, Mohamed ould Abdel Aziz a passé le témoin à Mohamed Cheikh ould Ghazouani, général à la retraite comme lui, ex-ministre de la Défense, ancien Chef d’état-major général des armées (CEMGA), ami et partenaire inséparable dans l’exercice du pouvoir depuis plusieurs années, à la faveur d’une cérémonie organisée le 1er août 2019, en présence des leaders des pays voisins.

Quelques semaines au paravent, le président sortant a mis tout son poids dans la balance et mobilisé ses soutiens pour assurer la victoire de son « protégé » au scrutin présidentiel du 22 juin 2019.

Lors de la cérémonie d’investiture, sous le feu des projecteurs et devant les caméras du monde entier, des officiers à la retraite, recyclés dans la politique conformément à une tradition établie au pays du million de poètes depuis 40 ans, qui ont réussi en duo deux putschs sans effusion de sang en 2005 et 2008, donnent l’image d’une parfaite complicité en cette journée historique, qui plonge la Mauritanie dans le cénacle restreint et enviable des pays africains, avec un président de la République, non candidat à sa succession, transmettant le pouvoir à son remplaçant.

Mais depuis cette mémorable journée, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Un nouveau contexte d’antagonisme politique à travers lequel Mohamed ould Cheikh Ghazouani et Mohamed ould Abdel Aziz se disputent désormais le contrôle de l’Union Pour la République (UPR) le principal parti de la majorité, fondé en 2009 sous l’inspiration du second, pour aider à légaliser dans les urnes «le mouvement rectificatif» du 6 août 2008 qui a renversé le régime démocratiquement élu du président Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi.

Après avoir cédé le pouvoir, Mohamed ould Abdel Aziz est en bisbille avec le nouveau locataire du Palais de la République, en dépit d’une amitié de plusieurs années.

Il est aussi lâché par ses partisans, dans la pure tradition d’une classe politique coutumière de l’exercice du retournement de boubous pour accompagner tous les pouvoirs.

Normal, puisque c’est lui qui confère prestige et richesse, dans un contexte où l’Etat est la principale origine de la fortune des citoyens par ses prébendes et autres marchés aux critères d’attribution totalement à la discrétion du prince du moment et de ses proches

collaborateurs.

Et comme pour ne rien arranger, dans le même temps, plusieurs voix s’élèvent dans le but de demander une enquête sur la gouvernance économique de l’ancien président de la République pendant ses 11 années de règne.

Ces personnalités visent notamment la procédure d’attribution de plusieurs dizaines voire, centaines de marchés publics, suivant la procédure du gré à gré. Ainsi, 30 parlementaires issus à la fois des rangs de la majorité et de l’opposition, ont annoncé la mise sur pied

imminente d’une commission parlementaire chargée de conduire ce travail.

Cette démarche répond parfaitement aux revendications de la Coalition des forces démocratiques pour le changement (CFCD), qui réunit le Rassemblement des forces démocratiques (RFD), l’Union des forces de progrès (UFP) et l’Union nationale pour l’alternance démocratique (UNAD).

Une revendication qui va au-delà des élus issus de la majorité et d’un CFCD en pointe dans ce nouveau combat et qui envisage une marche, finalement renvoyée à une date ultérieure, pour réclamer une telle enquête. D’autres leaders politiques envoient des signaux favorables à cette tendance qui a le vent en poupe.

Ainsi, le leader antiesclavagiste, député et candidat classé deuxième à l’élection présidentielle du 22 juin 2019, Biram Dah Abeid, déclare «soutenir toutes investigations indépendantes qui contribuerait à l’éclatement de la vérité sur la mauvaise gestion et

la délinquance en col blanc de la part des responsables et agents de l’Etat, tout en rejetant l’idée d’immunité et l’impunité au profit des éventuels contrevenants».

Quelle lieu de résidence après la «neutralisation» politique ?

La newsletter de la « Lettre du Continent», généralement au diapason de tous les frémissements sous les lambris dorés des palais présidentiels du pré-carré de la France, révélait il y a quelques mois une nouvelle portant «sur les préparatifs du clan de Mohamed

ould Abdel Aziz». Elle signalait que le président ould Abdel Aziz, alors proche de la sortie, et les membres de sa famille «pourraient se rendre dans une résidence secondaire construite aux Emirats arabes unis (EAU), dont les dirigeants actuels entretiennent des relations jugées profondes» avec l’ex-chef de l’Etat.

Des allégations formellement démenties par l’avocat franco-mauritanien, Jemal ould Taleb, avocat de Mohamed ould Abdel et ambassadeur itinérant «il faut vraiment méconnaître le président Mohamed ould Abdel Aziz, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il a transformé l’image de la Mauritanie à l’intérieur et à l’extérieur, autant du point de vue de son développement que de sa sécurité, pour imaginer que son rêve est d’aller se reposer sous le soleil des Emirats arabes unis (EAU), comme s’il n’y avait pas assez de soleil sur les dunes et les oasis de son pays. Comme s’il craignait le ressentiment de son peuple».

Une réaction qui indique clairement que l’option est de prendre «une retraite présidentielle» en restant à l’intérieur, sans rupture avec la politique. D’où la perspective d’une réorganisation de l’UPR pour en assurer la direction. Un projet désormais compromis et même mort-né, avec la réaction inattendue de son ami et la querelle de

leadership qui en est la conséquence.

Autre écueil, le volte-face des partisans de l’ancien chef de l’Etat, qui ont fini de faire le vide autour de sa personne, en désertant les prairies "aziziennes" menacées d’assèchement, pour

envahir massivement les jardins du marabout de Boumdeid (localité de l’Est dont est originaire le nouveau président), dont l’attrait est de plus en plus fort.

Une nouvelle donne qui pourrait donner l’idée de reprendre le chemin de l’étranger pour s’éloigner du vacarme politicien de Nouakchott. Hypothèse envisageable, si et seulement si, les rumeurs concernant une éventuelle interdiction de sortie du territoire national se

révélaient sans fondement.

Il joue avec le feu

Dans ce contexte, la querelle de leadership Ghazouani/Aziz pour le contrôle de l’UPR, occupent les conversations dans les salons de Nouakchott.

Ahmed D, économiste, estime «que le président de la République a commis une erreur stratégique, en acceptant le retour au pays de Mohamed ould Abdel Aziz, qui risque de lui faire de l’ombre pendant une période qu’il devrait mettre à profit pour consolider

véritablement son pouvoir».

Tah ould Ahmed, PDG d’un groupe de presse composé de plusieurs sites arabophones, invite l’ancien chef de l’Etat «à savoir raison garder et mettre de l’eau dans son thé (boisson nationale). Autrement, il risque de pousser son ami à prendre des mesures radicales par rapport à sa gestion fortement dénoncée par de nombreux citoyens».

Même son de cloche chez Mohamed ould N’Dary, notable de Boutilimit (Ouest), homme d’affaire et homme politique «Aziz doit adopter un profil bas et éviter la surenchère. Autrement, il pousserait le nouveau pouvoir à se braquer du fait de ses agissements. Un bras de fer dont l’issue lui sera hautement préjudiciable».

Analyse identique de la part d’un haut cadre dans un ministère de souveraineté ayant requis l’anonymat, qui lâche «Aziz a fini dans la tristesse, à l’image de tous les dictateurs».

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 07/12/2019 à 10h48, mis à jour le 07/12/2019 à 10h50