L'élection présidentielle du 22 juin, sans la participation du chef de l’Etat en exercice, Mohamed ould Abdel Aziz, barré par des dispositions constitutionnelles relatives à la limitation des mandats, est l'un des évènements marquants en Mauritanie au titre de l'année 2019.
Pour cette bataille inédite, on retrouve sur la ligne de départ six candidats: Mohamed ould Cheikh El Ghazouani (majorité compagnon de toujours du président sortant depuis plusieurs années). Sidi Mohamed ould Boubacar (indépendant-ancien Premier ministre), Biram Dah Abeid (indépendant-leader antiesclavagiste), Kane Hamidou Baba (Coalition Vivre Ensemble-CVE), Mohamed ould Maouloud (Coalition des Forces pour un Changement Démocratique-CFCD-leader de l’Union des Forces de Progrès). Et Mohamed El Mourtaj El Wavi (Indépendant).
Un scrutin remporté dès le premier tour par le candidat Mohamed Cheikh ould Ghazouani, avec plus de 52% des suffrages, selon les résultats proclamés par la Commission Electorale Nationale Indépendante (CENI).
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Des chiffres contestés par tous les candidats se réclamant de l’opposition, à savoir Biram Dah Abeid, Kane Hamidou Baba, Sidi Mohamed ould Boubacar et Mohamed ould Maouloud, qui ont dénoncé en chœur «un scrutin frauduleux». Une mascarade confirmant la trajectoire historique des consultations électorales en Mauritanie, dominées par l’absence de culture de la transparence, et finalement réduites à un exercice cosmétique destiné à la consommation des partenaires occidentaux.
Un épisode de contestation électorale ponctué par la colère de la rue. Quelques échauffourées sont enregistrées à Nouakchott, dans plusieurs localités de la vallée du fleuve Sénégal, et les cités minières et ouvrières du Nord, Zouerate et Nouadhibou.
Situation tendue qui débouche sur plusieurs dizaines d’arrestations dans les rangs des responsables et militants de la Coalition Vivre Ensemble (CVE, mouvance nationaliste négro africaine). En somme, un lendemain de présidentielle qui plonge le pays dans une répression à caractère ethnique, au risque de réveiller les démons endormis de la fin des années 1980.
Le pouvoir convoque un chapelet d’infractions pour justifier les rafles: «un complot ourdi par des étrangers, des actes de sabotage, violences et voies de fait sur agents de la force publique, atteinte aux biens publics et privés, troubles à l’ordre public…».
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Les recours introduits par les candidats de l’opposition devant le Conseil Constitutionnel sont rejetés.
Le président élu est investi le 1er août 2019, au cours d’une cérémonie organisée dans l’imposant Centre International des Conférences de Nouakchott (CICN), en présence de plusieurs chefs d’Etat issus de l’espace Afrique de l’Ouest (Sénégal, Gambie, Guinée) et du G5 Sahel (Burkina Faso, Mali, Niger et Tchad- partenaires de la Mauritanie dans lutte contre le terrorisme).
Commentant cet événement, l’Agence Mauritanienne d’Information (AMI-un organe sous contrôle gouvernemental) parle «d’une investiture inédite porteuse d’espoir».
En effet, poursuit l’AMI, «nous vivons aujourd’hui indubitablement la première alternance démocratique et pacifique au sommet de la République. Un événement historique inédit dans notre parcours en tant que nation, marqué par le passage magnifique du relai d’un président élu à un autre plébiscité».
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Dès son installation au palais de la République, Ghazouani jette son dévolu sur un style aux antipodes des méthodes «fortes» de son prédécesseur. Dans le cadre d’une démarche républicaine, il reçoit à tour de bras, partisans et opposants, pour des échanges sur la situation du pays et les perspectives d’avenir.
Moussa ould Hamed, analyste politique retient surtout de ce changement de locataire du palais présidentiel «un soulagement largement partagé par les Mauritaniens, dont le premier objectif était la mise hors du jeu politique, du président sortant Mohamed ould Abdel Aziz. Ce qui explique, quelque part, l’état de grâce dont bénéficie le nouveau détenteur du pouvoir.
Par ailleurs, cette période se prolonge au-delà des délais de la tradition républicaine, suite au conflit qui a éclaté rapidement entre Mohamed ould Cheikh El Ghazouani, qui a largement les faveurs de ses compatriotes, et Mohamed ould Abdel Aziz.
Une crise dont l’épilogue, c'est-à-dire la sortie médiatique de l’ancien chef de l’Etat, le 20 décembre dernier, sonne comme le chant du Cygne de son auteur, un baroud d’honneur qui devrait être suivi d’un voyage hors du pays pour une longue période».
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Appelé à analyser ce passage du pouvoir en douceur entre deux officiers à la retraite, dans le contexte d’un pays avec une armée au cœur du jeu politique et exerçant le pouvoir d’Etat par des régimes d’exception ou des personnalités recyclées dans la vie civile depuis 1978, le Pr Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition) est formel: «Je ne pense pas qu’il ait eu alternance au sens démocratique du terme, en tant que changement de pouvoir résultant d’un processus répondant réellement aux normes standards du concept».
Ce spécialiste du droit estime que «le départ de Mohamed ould Abdel a résulté d’une combinaison de facteurs tous étrangers au jeu démocratique. Il a installé un véritable appareil de contrôle du processus électoral lui permettant à défaut de pouvoir passer outre l’interdiction absolue du 3e mandant, d’être au bout du compte, le faiseur de roi. Même si, plus tard, ce roi ne semble pas être pour lui, un roi d’apparat, un fantoche».
Sur les perspectives d’évolution, le Pr Lô ajoute: «Il n’y aura renforcement de la démocratie qu’en amont de l’alternance, qui est toujours la résultante d’un véritable processus consensuel et non un simple faire valoir. Aujourd’hui, le pays demeure toujours en crise en attente d’une véritable révision déchirante des conditions d’exercice des règles démocratiques. Le maintien du statuquo instauré par Aziz débouchera fatalement sur la persistance d’un Azizisme sans Aziz».