Les députés mauritaniens ont décidé de transmettre à la justice un dossier à forte teneur de soufre, visant les pratiques de gestion sous le magistère de l'ancien homme fort de Nouakchott.
L’Assemblée nationale a adopté à la quasi-unanimité (un seul député s’est abstenu) le rapport d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP) formée en janvier 2020, à travers lequel il est rapporté, en détail, des pratiques de prévarication portant sur l’attribution d’une centaine de marchés publics et la gestion de certaines entreprises publiques.
Ce document de plusieurs dizaines de pages porte sur l’adjudication à travers une forêt d’irrégularités «d’une centaine de marchés dans le domaine de l’énergie, des infrastructures, la signature d’un contrat de pêche d’une durée de 25 ans avec la société chinoise Poly Hong Dong Fisheries, le contrat de cession d’un terminal à conteneurs au Port autonome de Nouakchott, la politique commerciale de la Société industrielle et minière (SNIM) et la gestion d’une fondation créée par la même entreprise, la cession du foncier relevant du domaine public à Nouakchott au profit de particuliers, la gestion et la liquidation de certaines entreprises publiques».
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Sur la base de ces entorses, le rapport des élus recommande le déferrement du dossier devant la justice pour situer les responsabilités des différents acteurs de ce qui apparaît comme une véritable nébuleuse.
Tout en laissant le dernier mot aux juges, les députés estiment que les différentes pratiques stigmatisées dans le rapport d’enquête ne relèvent pas de la Haute Cour de justice (HCJ). Du coup, l’affaire sera transmise au ministre de la Justice, lequel devrait saisir le parquet général près la Cour suprême, pour actionner des poursuites devant la justice ordinaire.
Pour de nombreux députés, cet événement «est une étape importante dans l’histoire de la Mauritanie, qui se retrouve ainsi à la croisée des chemins. Ce rapport est une occasion pour demander des comptes au sujet d'actes de pillages de deniers publics, des sanctions contre les présumés auteurs, la restitution des biens spoliés et d'éloigner les présumés coupables de ces forfaits de toutes fonctions de responsabilités», a expliqué Yahya Waghef, qui a procédé à la lecture du document.
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Trois anciens premiers ministres, de nombreux ministres sous le régime de Mohamed ould Abdel Aziz, dont certains sont encore membres du gouvernement, ont témoigné dans le cadre de cette enquête parlementaire, chargeant l’ancien chef de l’Etat pour se dédouaner.
Ces ministres semblent avoir oublié que l’exécution d’un ordre manifestement illégal engage leur responsabilité pénale au même titre que l’instigateur dans l’ombre.
Pour sa part, convoqué par les députés, l’ex-président ne s’est pas présenté pour témoigner.
Lundi, l’Assemblée nationale a adopté une loi organique fixant la composition, les règles de fonctionnement et la procédure à suivre devant la Haute Cour de justice (HCJ). Cette juridiction est prévue par l’article 92 de la Constitution mauritanienne du 20 juillet 1991.
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Elle est la seule compétente pour juger le président de la République en exercice, et les anciens chefs d’Etat, pour «crime de haute trahison» et les membres du gouvernement, en cas d’infractions de nature «à porter atteinte à la sûreté de l’Etat».
C’est la première fois dans l’histoire de la Mauritanie que des députés effectuent un travail de contrôle sur la mauvaise gestion présumée, d’un ex-président de la République.
Mohamed ould Abdel Aziz, général à la retraite, est considéré comme la figure la plus marquante de la scène politique nationale depuis le putsch qui a renversé le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed ould Taya, le 3 août 2005.
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Il est arrivé au pouvoir suprême à la faveur d’un putsch contre le président démocratiquement élu Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi, le 6 août 2008.
Il a été élu président de la République le 18 juillet 2009 et réélu le 21 juin 2014.
Au terme de son second mandat, Aziz a cédé le fauteuil présidentiel à Mohamed Cheikh El Ghazouani, son frère d’armes et ami de 40 ans, le 1er août 2019. Une amitié désormais mise à rude épreuve par les vicissitudes de la politique et les énormes enjeux liés à l’exercice du pouvoir.