Une loi réprimant les actes de «Violence basée sur le genre» (VBG) est à l’origine d’un intense débat entre la frange traditionnaliste de la société mauritanienne et les organisations locales de droits humains.
Dans l’esprit, ce texte soumis au parlement par le gouvernement est inspiré par un souci de progrès social. Il a déjà été approuvé par le Sénat, chambre haute du parlement. Soumis une première fois à l’Assemblée nationale, chambre basse, le texte, jugé un peu sensible, a été présenté devant une commission restreinte de cette institution. Il sera à nouveau présenté aux députés pour approbation le jeudi 12 janvier.
La nouvelle loi définit les actes de Violence basée sur le genre (VBG) et énonce de lourdes peines contre les individus reconnus coupables de ces crimes désormais «imprescriptibles». Ces formes de violences spécifiées par la nouvelle loi portent sur «le viol, les coups et blessures, le rapt, la séquestration, les insultes, les diverses formes de traitement inhumain, cruel et dégradant, etc.».
Ainsi, selon la loi, «est puni de 10 jours à 2 ans de prison, tout mari ayant insulté sa femme par un mot humiliant pouvant porter atteinte à sa dignité ou à son honneur».
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Mieux, selon le ministre de la Justice, «le texte confère également à la femme une palette de libertés liées à la dignité humaine, à savoir celle «de travailler, d’étudier, de voyager,…».
Un autre fait saillant, celui de l'accompagnement des victimes. En plus des réparations civiles, elles bénéficieront aussi de la possibilité d’une prise en charge par l’Etat, à travers les services sociaux du ministère de la Santé.
La loi confère également aux ONG de défense des droits humains la possibilité de se constituer partie civile dans le cadre du traitement des affaires portant sur des cas de violence tels que les agressions sexuelles.
Le texte sur les VBG introduit aussi la création de sections spécialisées sur le sujet auprès de toutes les juridictions criminelles du pays.
Fronde des religieux
Réagissant face à la perspective d’adoption de la nouvelle loi, le Rassemblement national pour la réforme et le développement (RNRD-Tawassoul), un parti de l’opposition se réclamant du courant islamiste modéré, dit non «à un projet de loi susceptible de remettre en cause les fondements islamiques du droit mauritanien».
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Un ton identique à celui sermon de l’imam de la grande mosquée de Nouakchott, Lemrabott Ould Habibou Rahmane, dans son prêche de vendredi dernier. Celui-ci a, en effet, affirmé que certaines dispositions de la loi «sont contraires à la charia. En dehors d’Allah, le Tout puissant, personne n'est à l’abri des d’erreurs». Une manière de demander aux élus de veiller à la modification des passages contestés. La Charia est considérée comme la principale source du droit mauritanien.
Les points soulevés par les opposants au texte concernent notamment l’âge d’autorisation du mariage fixé à 18 ans, contrairement aux pratiques dans la société mauritanienne. Mais aussi, et surtout, l’usage du terme «genre». Un concept dont certains observateurs fustigent «l’origine occidentale» tout en mettant en exergue le risque qu’il introduise des éléments favorables à la reconnaissance de droits en faveur des homosexuels. Une hérésie en Mauritanie.
Pourtant, au niveau du Sénat, le ministre de la Justice, Brahim ould Abdallahi, avait déclaré que le projet de loi est «conforme aux principes de la Charia» et a reçu «l’aval des oulémas et imams mauritaniens».
Forte mobilisation des ONG de droits humains
Partant, les associations de la société civile, inspiratrices de ce texte, dénoncent «une résistance conservatrice, obstacle à toute avancées en matière d’émancipation de la femme, et qui se cache derrière des arguments pseudo-religieux».
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Contactée par «le360 Afrique», Mme Sy Lalla Aicha Ouedraogo, présidente du Comité de solidarité avec les victimes de violation des droits humains en Mauritanie (CSVVDH), annonce «une forte mobilisation des ONG de droits humains pour faire face aux forces rétrogrades, dont les manœuvres visent à vider de sa substance et anéantir une loi marquée par des progrès incontestables».
Elle rappelle «que la disposition fixant l’âge minimal pour le mariage des jeunes à 18 ans existe dans le Code du statut personnel, adopté en 2001, mais n’a jamais attiré l’attention de ceux qui protestent aujourd’hui».
Reste qu’au-delà de ces deux camps et des avancées indéniables en matière de défenses des droits de la femme, certains Mauritaniens affichent aussi des craintes que l’esprit de la loi ne soit pas détourné par certaines femmes dans le cadre de règlements de comptes. Et cela d’autant plus que, comme l’a souligné, à haute voix et ironiquement, le ministre de la Justice, tout en mettant en garde les hommes contre les femmes, que «les plaintes introduites par les femmes auprès des tribunaux feront désormais l’objet d’une poursuite immédiate».