Sénégal: l'activiste Kémi Séba risque entre 5 et 10 ans de prison

Le 27/08/2017 à 09h25

Visé par une plainte de la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) pour avoir brûlé publiquement un billet de 5.000 FCFA, l'activiste Kémi Séba sera jugé suivant la procédure rapide du flagrant délit, mardi. Il risque une lourde peine, mais relance le débat sur le franc CFA.

Après une audition d’enquête préliminaire à la Division des investigations criminelles (DIC), Kémi Seba, un activiste franco-béninois, panafricaniste aux fortes convictions et pourfendeur devant l’éternel de l’hégémonie occidentale et du franc CFA, a été placé en détention préventive à la Maison d’arrêt et de correction de Rebeuss (Dakar), vendredi soir 25 août.

Une décision qui fait suite à une plainte de la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO). Un deuxième activiste du nom de Ben Taleb Sow a été également interpellé et placé sous mandat de dépôt. 

Ils sont tous les deux poursuivis pour avoir publiquement brûlé un billet de 5.000 francs CFA, monnaie ayant cours légal au Sénégal, à l’occasion d’une manifestation organisée sur la place de l’Obélisque.

Ainsi, Séba et son compagnon d’infortune, avec lequel il partage une vision commune de l’Afrique, seront-ils jugés mardi 29 août courant suivant la procédure du flagrant délit, pour une infraction d’une extrême gravité et dont la sanction pénale prévoit 5 à 10 ans de prison.

Au plan formel et pris à la lettre, l’acte posé par ces activistes panafricanistes est prohibé par la loi. Leur démarche, spectaculaire et même symboliquement «violente» aux yeux de certains, car renvoyant au souvenir historique des autodafés, est en outre mal perçue par les autorités.

Elle symbolise néanmoins l’option d’hommes politiquement engagés, qui contribuent à donner une plus grande médiatisation au débat sur l’usage du franc CFA, une soixantaine années après la vague des indépendances en Afrique.

Sur le plan de la souveraineté nationale, la subsistance de cette monnaie apparaît en effet comme «un maintien du pacte colonial» à de nombreux observateurs.

Ces derniers insistent également sur les conséquences économiques de cette situation, notamment la parité fixe avec l’euro, et les possibilités de transfert illimité de capitaux, qui saignent les pays de la zone CFA à hauteur de plusieurs milliers de milliards de francs CFA.

Des ressources dont les Etats ont grandement besoin pour faire face à la nécessité d’assurer les services de base (santé et éducation) et les infrastructures indispensables au décollage économique.

Illustration avec cet ouvrage de Chérif Salif Sy, un économiste sénégalais, ancien haut responsable sous le règne du président Abdoulaye Wade, très actif dans le cadre du Nouveau partenariat pour le développement économique de l’Afrique (NEPAD), qui estime que le franc CFA, créé en 1945, en partage entre 14 pays, «ne favorise pas l’intégration» et souligne le phénomène «de la fuite des capitaux».

Ainsi, en 2000, le Sénégal aurait perdu plus de 2.000 milliards de francs CFA du fait de ce phénomène.

Le franc CFA est lié à l’euro par un système de change à parité fixe en contrepartie duquel les Etats versent 50% de leurs réserves de change au Trésor français.

Ce système est qualifié «de servitude monétaire» par de nombreuses voix au sein de la société civile et des intellectuels africains.

Par ailleurs, le maintien du franc CFA serait un frein au développement d’un secteur privé fort, capable d’accompagner l’ambition de l’émergence et l’avènement d’une véritable bourgeoisie nationale, selon l’avis de nombreux économistes.

Toutefois, en Afrique, cette monnaie trouve des partisans qui mettent en avant la «stabilité» qu’elle garantit par rapport à certaines fluctuations économiques et monétaires aux conséquences imprévisibles.

Ce débat occupe le devant de la scène au moment où courent des bruits de dévaluation au sujet du franc CFA de la zone Afrique centrale, peut-être même en Afrique de l’Ouest. Des «rumeurs» qui tranchent avec le silence radio des officiels sur le sujet.

Par Cheikh Sidya (Nouakchott, correspondance)
Le 27/08/2017 à 09h25