Franc CFA-CEMAC: pourquoi la dévaluation ne fait pas partie du programme

DR

Le 02/07/2017 à 17h23, mis à jour le 03/07/2017 à 13h07

Les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEMAC) sont englués dans une crise économique aigüe. Confrontés à d’énormes problèmes de liquidités, ils ont fait appel au FMI qui, pour une fois, ne préconise pas une dévaluation de la monnaie. Pourquoi?

C’est un euphémisme de soutenir que les pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique centrale (CEMAC), qui regroupe 6 pays –Cameroun, Congo, Centrafrique, Guinée équatoriale, Gabon et Tchad- sont en crise. Tous les indicateurs le démontrent. En 2016, la croissance du PIB a été de 1%, le déficit budgétaire est monté à 5,1% du PIB (plus de 15% pour la République du Congo), celui du compte courant à 6,7% et le niveau d’endettement à 43,6% (plus de 70% pour le Congo).

Pire, les réserves de changes des pays de la CEMAC ont fondu à 4,4 milliards de dollars en 2016, contre 10,1 milliards de dollars en 2015 et 15,1 milliards de dollars fin 2014. Autrement dit, les pays ont perdu plus des deux tiers de leurs réserves en l’espace de deux ans et la situation ne s’améliore pas depuis le début de l’année en cours, dans le sillage de la chute des cours du pétrole donc ces pays sont exportateurs.

Conséquence, en décembre dernier, les réserves des pays assuraient à peine 2 mois d’importations de biens et services, alors que le minimum requis au sein de la CEMAC est de 3 mois. Au Gabon, les réserves de changes étaient tombées à 1,4 mois d’importation en décembre dernier.

Du coup, les pays de la zone font face à un problème de liquidité exceptionnel et ont du mal à respecter l’engagement de posséder 50% de leurs réserves de change dans les comptes du Trésor public en France pour garantir la convertibilité extérieure du FCFA.

D’où les appels à répétition au Fonds monétaire international (FMI) afin de juguler la crise. En décembre dernier, à Yaoundé, face à Christine Lagarde, directrice du FMI, et Michel Sapin, ministre français de l’Economie et des finances d’alors, mais aussi garant de la parité fixe entre le franc CFA et l’euro, les pays de la zone ont convenu d’ouvrir des négociations pour un soutien du FMI aux pays de la région.

Et conscient de la gravité de la crise, le FMI est intervenu au cours de ces dernières semaines.

Ainsi, pour faire face à cette situation, le FMI a promu des programmes de prêts sur trois ans de 666 millions d’euros au Cameroun, 642 millions de dollars au Gabon et tout dernièrement 312 millions de dollars au Tchad.

Seulement voilà, qui dit intervention du FMI dit aussi ajustement structurel, orthodoxie financière, dévaluation. Ce qui rappelle les mauvais souvenirs des années 1980 en Afrique et plus particulièrement au niveau de la zone du franc CFA.

Cette fois-ci, face à l’impossibilité d’une dévaluation, les pays de la CEMA acceptent des ajustements structurels: réductions des dépenses, augmentation des recettes fiscales, etc. Dans le cadre de la réduction des dépenses, le FMI traque surtout les subventions et certaines dépenses sociales. Au Gabon, cela se traduira par le départ à la retraite de 1.200 fonctionnaires et la réduction de 30% des effectifs des représentations diplomatiques gabonaises à l’étranger.

Outre ces conditions, les pays de la CEMAC acceptent également, face aux problèmes de liquidités, de contraindre les opérateurs économiques de la région, publics et privés, qui disposent d'avoirs à l’extérieur de la zone de les rapatrier immédiatement.

Ainsi, pour les dirigeants de la zone CEMAC, et pas seulement eux, tout est acceptable sauf la dévaluation. Pour les dirigeants des pays de la CEMAC, la parité fixe du franc CFA avec l’euro (1 euro pour 655,957 FCFA) doit rester inchangée. 

Et pour une fois... Même le FMI qui généralement recommande à tous les pays africains dans cette situation de dévaluer leur monnaie où de la laisser se déprécier -c’est le cas du Nigeria, d’Egypte, de la Tunisie- ne semble pas d'avis d'appliquer ce remède aux pays de la CEMAC. Pourquoi?

Plusieurs facteurs expliquent l’absence de cette obligation.

D’abord, à la date d’aujourd’hui, ce n’est pas le franc CFA qui est incriminé dans cette crise. Pour preuve, si les pays de la CEMAC sont confrontés à une situation économique difficile, les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) qui ont également le franc CFA comme monnaie, affichent une croissance solide et des perspectives de croissance intéressantes selon le FMI et la Banque mondiale. D’ailleurs, la Côte d’Ivoire et le Sénégal figurent parmi les pays africains devant afficher les plus fortes croissances en 2017 et 2018 au niveau du continent. La région UEMOA ayant affiché une croissance de l’ordre de 6,5% au moment où la CEMAC n’a réalisé qu’une évolution de 1% en 2016. Mieux, pour 2017, l'UEMOA table sur une croissance de l'ordre de 7% alors que la CEMAC table, dans le meilleur des cas, sur une croissance du PIB de l'ordre de 1,7%, grâce au Cameroun. 

Ensuite, pour les autorités monétaires du Franc de la Communauté financière africaine (FCFA) émis par la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), et celles du Franc de la Coopération financière africain (FCFA) de la Banque des Etats d’Afrique centrale (BEAC), qui partagent le sigle franc CFA et qui sont liés par des accords identiques avec la France, il n’est pas question d’une dévaluation qui touche une seule région alors que la France a une politique monétaire unique vis-à-vis des deux régions.

Or, on voit mal les pays de l’UEMOA, non touchés par la crise, accepter une telle opération surtout quand on sait que la première économie de cette région craint tout mouvement social qui pourrait réveiller les vieux démons. Partant, une dévaluation en zone CEAC saperait à jamais la cohésion au niveau de la zone Franc CFA (CEMAC et UEMOA). A ce titre, le président béninois Patrice Talon soulignait dernièrement que «la dévaluation du franc CFA va générer pour l’espace ouest-africain beaucoup de pauvreté et de misère dans une situation déjà assez difficile».

En outre, et c’est un facteur fondamental pour les dirigeants politiques de la région, les souvenirs douloureux de la dévaluation du 11 janvier 1994 restent entiers. La réduction de la parité franc français/franc CFA de 50% avait eu des conséquences néfastes sur les pouvoirs d’achat des populations des pays des deux zones FCFA. Les pressions inflationnistes de la dévaluation sont importantes et pourraient entraîner des révoltes dans les pays où certaines populations n’attendent qu’une étincelle pour laisser exploser leur mécontentement.

Par ailleurs, du côté de la France, pays garant de la convertibilité du franc CFA, une dévaluation risquerait d’accroître encore le désamour vis-à-vis de cette monnaie que beaucoup d’intellectuels africains qualifient d’instrument d’arrangement néocolonial qui s’avère être un obstacle au développement des pays francophones de la zone Franc CFA.

Enfin, l’impact réel de la dévaluation n’est pas prouvé et n’encourage pas les pays de la région à dévaluer le FCFA. En effet, le pétrole dont les cours sont indexés sur les cours mondiaux représente l’essentiel des exportations des pays de la région. En dehors du pétrole, les pays n’exportent que des matières premières pour lesquels le changement de parité n’a aucune influence sur les recettes. Du coup, une telle opération ne permet pas se traduire par de vrais gains à l’export pour les pays de la CEMAC dont les économies ne sont pas diversifiées.

Reste que cette situation ne fait pas l’unanimité. Ainsi, pour certains opérateurs et hommes politiques, le franc CFA est perfectible. Et le fait qu’il soit indexé à l’euro, sous la forme de la parité fixe conventionnelle, rend cette monnaie régionale trop forte. D’où le besoin de flexibilité souhaité par certains.

Partant, une dévaluation ne peut indéfiniment être écartée en cas de poursuite de la crise. Et les risques d’une aggravation de celle-ci sont bien réels. Selon certaines projections d'experts, le pétrole, qui représente 27% du PIB de la région CEMAC et surtout 90% des revenus de la région, risque de voir son cours baisser encore. Ainsi, après une chute de 20,18% depuis le début de l’année, certains experts tablent sur un cours du baril compris entre 30 et 35 dollars.

Et si un tel scénario se produit, les appuis financiers du FMI seront négligeables pour faire face aux déficits budgétaires en dépit des efforts qui seront entrepris par les Etats pour réduire leur train de vie et une dévaluation sera inéluctable même si ses effets ne sont pas garantis.

En attendant, cette crise économique régionale souligne une fois de plus la nécessité de la diversification et de la transformation des économies de la zone CEMAC, en plus de solutions d’ajustements conjoncturels. Cette crise doit sonner la fin de la politique visant à bâtir toute l’économie autour de la rente pétrolière.

Par Moussa Diop
Le 02/07/2017 à 17h23, mis à jour le 03/07/2017 à 13h07