L’enquête menée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a permis de mettre la main sur 200.000 documents du cabinet d’avocats Conyers Dill & Pearman, qui révèle un vaste scandale d’optimisation fiscale qui a causé du tort à plusieurs pays africains, dont le Sénégal.
Le Sénégal a mis fin, au début de ce mois de juillet 2019, à la convention de non double-imposition qui le liait à l’île Maurice.
Cette décision de l’Etat du Sénégal avait été notifiée au ministre mauricien des Affaires étrangères.
Elle faisait suite à la publication de l’étude intitulée «Paradise papers», faite par le cabinet Appleby.
En prenant cette décision, les autorités sénégalaises avaient sans doute compris le stratagème dont usaient certaines multinationales étrangères pour échapper à l'impôt au Sénégal où leurs revenus leurs étaient réellement acquis.
S'il est établi qu'il ne s'agit pas d'une fraude, les experts s'accordent à dire que l'évasion fiscale est avérée dans le cas de plusieurs multinationales.
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En effet, plusieurs entreprises comme la société canadienne SNC Lavalin minières, partenaire de la Grande côte opération (GCO), qui exploite le Zircon au Sénégal et Sabodola Gold, appartenant à 89,60% à Sabodola Gold Mauritus, avaient créé des sociétés-écran pour échapper au fisc sénégalais.
Les craintes du président Macky Sall, qui disait, un mois avant la sortie des Mauritius Leaks, que le Sénégal avait perdu 150 milliards de francs Cfa depuis la signature de cet accord de non double-imposition se révèlent ainsi véridiques.
C'est le mardi 23 juillet dernier, que le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) a commencé à révéler les informations contenues dans les 200.000 documents du cabinet Conyers Dill & Pearman, lesquels lui ont été transmis via une clé USB, par une source anonyme.
Dans ce qu'il est convenu désormais d'appeler les "Mauritius Leaks", il faut comprendre une vaste machine à optimisation fiscale dont les pays africains sont les premières victimes.
De grandes multinationales telles que Wal-Mart, Whirlpool, Total, la Banque européenne d'investissement (BEI) et la Banque africaine de développement (BAD), ont toujours fait appel aux avocats de Conyers Dill & Perman, pour développer leurs activités sur place, révèle l'ICIJ.
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Il faut dire que les autorités mauriciennes savent comment s’y prendre pour attirer les clients fortunés.
Elles proposent une fiscalité dont rêvent les entrepreneurs.
«Elle affiche un taux statutaire d'imposition sur les sociétés de 15 %, mais d'après nos calculs, le taux minimal dont les entreprises peuvent bénéficier, est souvent de 0%», précise, dans le quotidien français Libération, Maïmouna Diakité, chercheuse principale pour l'Afrique francophone au sein de l'ONG Tax Justice Network.
Sur l'île Maurice, en effet, en se contentant de répondre à certains critères à propos de la taille de l’entreprise (le nombre de salariés, par exemple), ou encore à propos du secteur d’activité, on peut bénéficier de conséquentes baisses fiscales.
Selon certains spécialistes, le système bancaire mauricien est en outre similaire à celui de certains paradis fiscaux tels la Suisse, le Panama et les Îles Caïmans.
Il est presque impossible aux autorités des pays partenaires de voir clairement qui sont véritablement derrière les multiples sociétés-écran qui figurent dans le registre de commerce mauricien.
«C'est l'un des pays qui accueille le plus de sociétés-écran au monde», ajoute, à ce sujet, Maïmouna Diakité.
Il faut toutefois noter que le secret de l’Île Maurice réside dans la multitude de convention qu’elle signe avec les pays africains, comme c'est le cas avec le Sénégal depuis 2002.
Le stratagème consiste à permettre aux entreprises qui s’installent dans l’île de payer moins de taxes que dans leurs pays d’origine.
Et cette pratique est comprise par les fiscalistes, toujours à la recherche de pays où la fiscalité est la moins élevée pour optimiser les coûts des grandes multinationales.
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Les accords que l’île Maurice a conclu avec les pays africains permettent aux entreprises basées sur son territoire de se soustraire à la fiscalité en règle dans ces pays.
Ces sociétés-écran lui règlent, par la suite, une ardoise fiscale presque insignifiante. Et avec d’autres conventions fiscales avec des pays occidentaux, «ces profits sont rapatriés vers les sièges sociaux et les actionnaires en minimisant, de nouveau, les taxes à payer», explique sur RFI, Johan Langerock, expert ès questions de fiscalité pour l'ONG Oxfam.
Cette «gymnastique fiscale est dommageable au pays africains comme le Zimbabwe, le Kenya, le Swaziland, le Sénégal, ou encore le Rwanda, qui se sont fait "gruger" de plusieurs milliards de dollars au profit des multinationales étrangères», déclare encore Johan Langerock.
«L'île Maurice, juste derrière les Émirats arabes unies, est le pays le plus agressif pour obtenir des taux réduits sur le paiement des intérêts, dividendes auprès des États africains à travers ces traités. Le Sénégal a évalué à 150 milliards de francs CFA, les pertes liées à la convention signée avec la république de Maurice», rappelle justement l’experte de Taxe Network, Maïmouna Diakité.