Sénégal: un homme s’immole devant la présidence, sa famille poursuit l’Etat

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Le 09/11/2018 à 15h16, mis à jour le 09/11/2018 à 15h17

La famille de Cheikh Diop va poursuivre en justice l’Etat du Sénégal. L’avocat de cet ex-détenu, qui a été amputé d’une main, et qui s’est par la suite immolé par le feu devant le Palais de la République, a annoncé que la famille s'apprête à demander justice.

Au cours d'une semaine riche en faits divers ultra-médiatisés, l'affaire Cheikh Diop a occupé les gros titres de la presse plusieurs jours durant. Et ce n'est pas encore fini. 

Maître Assane Dioma Ndiaye, avocat de l’ex-détenu qui a succombé à ses brûlures, après s’être immolé par le feu devant les grilles du Palais présidentiel, a annoncé avoir déposé une plainte contre l’Etat du Sénégal. A en croire cet avocat, c’est le retard de l’indemnisation de son client qui avait été amputé suite à une injection mal faite par le personnel de santé de la maison d’Arrêt de Reubeuss qui a conduit à son suicide.

«Évidemment, ce sera une relance du dossier Cheikh Diop. Vous savez que depuis deux années, Cheikh Diop court derrière une indemnisation dans les conditions que tout le monde connaît aujourd’hui. Il a reçu une injection à la maison d’arrêt le 28 août 2016 et début septembre de la même année, il a commencé à constater une gangrène. Les médecins qui l’ont reçu ont constaté qu’il n’avait jamais eu d’antécédents pathologiques notables. Le médecin qui a établi le rapport, et qui a procédé à l’amputation le 20 septembre, soit trois semaines après l'injection, a bien indiqué que le début de la gangrène remonterait à trois semaines. Ce qui correspond à la date de l'injection», a soutenu en détails maître Assane Dioma Ndiaye.

Selon cet avocat, il n’y a aucun doute sur la «causalité entre la piqûre et l'amputation» de la main de Cheikh Diop. Aucun doute non plus, selon lui, que ce préjudice subi par son client est imputable à l’Etat.

«(...) Cheikh Diop était entre les mains de l’Etat, parce que si vous êtes en détention, c’est l’Etat qui est débiteur de votre sécurité et de votre état de santé. (Pourquoi alors, ndlr) on lui oppose une résistance face à son indemnisation, alors qu’il a frappé à toutes les portes? Vous comprendrez que la famille a, aujourd’hui, l’obligation morale de continuer ce combat», a-t-il ajouté.

Maître Assane Dioma Ndiaye est même allé jusqu’à qualifier «d’arbitraire, de tyrannique, et de dictatorial» le fait que l’Etat ne se soit pas soumis au droit dans cette affaire, qui a ému la majorité des Sénégalais.

«Nul n’est au-dessus de cette redevabilité. Le premier d’ailleurs, c’est l’Etat qui doit s’astreindre à cette obligation de redevabilité. L’Etat est un sujet de droit et quelqu’un disait que c’est un miracle que l’Etat accepte de se soumettre au droit. Parce que si l’Etat ne se soumet pas au droit, c’est l’arbitraire, c’est la tyrannie, c’est la dictature », a-t-il expliqué.

Cheikh Diop, immigré sénégalais en Europe, et qui s'est immolé par le feu le vendredi 2 novembre devant les grilles du Palais présidentiel. En vacances au Sénégal, il a voulu entamer des démarches pour permettre à son jeune frère d’aller lui aussi tenter sa chance en Europe. Mais les documents qu’un intermédiaire lui avait fournis, pour que son frère puisse voyager, n’étaient pas conformes.

Après une enquête sommaire, Cheikh Diop a été arrêté et détenu à la maison d’arrêt et de correction de Reubeuss, à Dakar.

Et c’est la que le destin de cet immigré sénégalais a basculé. Suite à une simple migraine, le personnel de santé en poste à la maison d’arrêt lui a aministré une piqûre. C’est cette même injection qui a été à l’origine de la gangrène dont souffrait la victime et qui a conduit à l’amputation de sa main.

Après avoir attaqué l’Etat du Sénégal par l’intermédiaire de son avocat maître Assane Dioma Ndiaye, il a été décidé que Cheikh Diop allait être dédommagé. Mais semble-t-il, certains responsables n’avaient pas eu l’intention de mettre à exécution ce dédommagement.

Deux ans après sa terrible mésaventure, Cheikh Diop, qui s’est toujours plaint de cette injustice, a mis fin à ses jours dans les conditions que l'on sait. Son agonie aura duré deux jours, avant qu'il ne rende l'âme, et son décès brutal a entraîné la colère des Sénégalais sur les réseaux sociaux. 

Par Moustapha Cissé (Dakar, correspondance)
Le 09/11/2018 à 15h16, mis à jour le 09/11/2018 à 15h17