Cette quinquagénaire menue et énergique, cadre chez Microsoft pour la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, a mis sa carrière en suspens le temps de suppléer son mari, un homme d'affaires accusé de blanchiment d'argent.
Si le parquet considère les soupçons "solides", l'arrestation de Karoui le 23 août, 10 jours avant le début de la campagne présidentielle, avait suscité des interrogations sur une instrumentalisation de la justice.
Toutes les demandes de libération ont été rejetées, et l'épouse de Nabil Karoui ne cesse de marteler que cette incarcération est une "décision politique".
Attablée dans un café culturel de Tunis, Mme Smaoui prend des notes et répond aux questions de jeunes Tunisiens, sur le programme du parti de son mari Qalb Tounes ("Au coeur de la Tunisie"), à grand renfort de statistiques et d'anecdotes sur son expérience dans le numérique.
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Très attentif, Anis Bargaoui, un chômeur de 32 ans originaire de Siliana (nord-ouest) estime qu'"elle a pris une décision courageuse".
Pour Jihane Amri, 29 ans, c'est "une lionne": "comme les femmes tunisiennes, qui sont courageuses".
Mme Smaoui assure aux jeunes n'être ni dirigeante ni membre de Qalb Tounes. "Nabil Karoui ne sortira de prison que grâce à vos votes, par la révolution des urnes", lance-t-elle, à quelques jours du second tour dimanche.
Elle accuse les rivaux de son mari d'avoir peur des "personnes aux idées neuves".
Salwa Smaoui, longtemps restée dans l'ombre de son mari, flamboyant fondateur de la chaîne de télévision Nessma, se montre à l'aise devant un auditoire.
En tant que cadre d'une multinationale, "elle est habituée et apte à faire des discours et à persuader", juge Kerim Bouzouita, conseiller en communication politique.
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Elle n'est montée au front que début septembre mais, très rapidement, le parti a diffusé ses discours sur les réseaux sociaux.
Le sociologue Mohamed Jouili juge que son engagement "est perçu de manière très positive par les familles tunisiennes, partant du principe que la femme ne laisse pas son époux traverser seul les épreuves".
"La conduite de Mme Smaoui est en accord avec l'image familiale que promeut la chaîne Nessma TV", selon le sociologue.
Salwa Smaoui est originaire de Gafsa, où ses parents travaillaient pour la compagnie de production de phosphates, principal employeur de cette région marginalisée.
A quelques jours de la présidentielle du 15 septembre, le premier meeting a eu lieu dans sa ville natale et Mme Smaoui a prononcé son premier grand discours public avec l'accent régional, qu'elle n'a pas habituellement.
Elle a depuis parcouru plusieurs régions, allant au contact des plus pauvres sous l'oeil des caméras, comme le faisait son époux avec son organisation caritative Khalil Tounes, fondée après la mort de leur fils Khalil en 2016.
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Lors d'une visite dans une zone rurale du centre, près de Chebika, Salwa Smaoui a ainsi partagé le thé avec des femmes travaillant dans les champs, ne manquant pas de souligner qu'elle était "là pour remplacer Nabil".
Cette polyglotte maniant le français, l'arabe et l'anglais ne s'est pas limitée à des visites de terrain: elle a multiplié les interventions sur des chaînes internationales et arabes.
"Ses réponses aux journalistes sont intelligentes et mesurées, et ne durent pas plus de deux minutes, ce qui en fait des messages électoraux", estime Bouzouita.
Mais Mme Smaoui a été rattrapée par son passé.
Le site d'investigation Nawaat a publié fin septembre des documents rendus publics par Wikileaks selon lesquels elle avait signé au nom de Microsoft, en septembre 2006, un contrat avec le gouvernement tunisien.
Celui-ci s'y était engagé à utiliser exclusivement des logiciels de Microsoft, ce qui aurait pu permettre au régime de Zine El Abidine Ben Ali de contrôler plus strictement internet.
Mme Smaoui n'a pas réagi publiquement à cet article. Selon Nawaat, elle avait argué à l'époque que l'accord était "conforme aux priorités de l'Etat tunisien" et devait "favoriser l'intégration professionnelle des jeunes diplômés".