Exportations: les pays africains les plus et les moins dépendants des matières premières

Des matières premières.

Le 29/07/2025 à 16h23

La dépendance aux exportations de matières premières est une réalité pour la quasi-totalité des pays africains, mettant à nu la très faible diversification de leurs économies. Cependant, certains pays ont pu démontrer que cette addiction n’est pas une fatalité.

Les produits de base sont le moteur essentiel du commerce mondial. Classés en trois grandes catégories -énergétiques, miniers et agricoles-, ces produits représentent un tiers de la valeur totale des échanges internationaux.

Cependant, certains pays sont fortement dépendants des exportations de ces matières premières. Entre 2021 et 2023, plus de deux tiers des pays en développement -95 sur 143- présentaient une économie quasiment bâtie sur les seules exportations de produits de base, selon la dernière édition de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced) au titre évocateur «La dépendance à l’égard des produits de base est profonde. Les pays en développement doivent ajouter de la valeur pour inverser la tendance

Selon ce dernier documents, l’Afrique concentre l’essentiel de ces économies dépendantes. «Près de 9 pays africains sur 10 sont dépendants des matières premières», rapporte Cnuced.

Cette dernière parle de «dépendance» lorsqu’un un pays tire une part importante de ses revenus des exportations de produits de base: produits énergétique (pétrole, gaz, charbon…), miniers (or, cobalt, lithium, fer, cuivre, manganèse…) et agricoles (cacao, noix de cajou, maïs, thé, café, produits halieutiques, animaux…).

«Une économie est considérée comme dépendante des produits de base lorsque plus de 60% de ses exportations proviennent de ces produits», détaille l’organisation onusienne.

Au niveau du continent, ce pourcentage varie de 21,5% enregistré par la Tunisie (pays le moins dépendant), à 99,5% pour le Soudan du Sud (le plus dépendant).

Selon le critère de dépendance retenu par la Cnuced, seulement cinq pays africains ne sont pas dépendants des matières premières: Tunisie (21,5%), Maroc (26,4%), Eswatini (40,2%), Lesotho (44,9%) et Egypte (52,3%).

Les 5 pays africains dont les exportations ne dépendent pas des matières premières

PaysExportations de matières premières/exportations totalesPrincipaux produits exportés
Tunisie21,5%Industrie agro-alimentaire, énergie, industries mécaniques et électriques, textile...
Maroc26,4%Automobile, phosphates & engrais, agriculture et agroalimentaire, textile...
Eswatini40,2%Substances odoriférantes, sucre brut, produits chimiques, textiles...
Lesotho44,9%textile-habillement, diamant, coton...
Egypte52,3%Produits agricoles, produits manufacturés, produits chimiques, énergie...

Pour le reste, 26 sur les 54pays que compte le continent affichent un taux de dépendance supérieur à 90% et se répartissent comme suit:

Les 26 pays africains les plus dépendants des exportations de matières premières

PaysExportations des matières premières/Exportations
totales
PaysExportations des matières premières/Exportations
totales (en %)
Soudan du Sud99,5%Mozambique95,6%
Tchad99,2%Congo94,4%
Libye98,7%Botswana94,3%
Mauritanie98,6%Guinée équatoriale94,3%
Somalie98,1%Ghana93,9%
Guinée-Bissau97,9%Cameroun 93,6%
Soudan97,9%Érythrée91,1%
Angola97,9%Bénin 92,8%
Guinée97,6%Côte d’Ivoire92,3%
Nigeria96,3%Niger91,1%
Burkina Faso96,0%Zimbabwe90,8%
Mali95,9%Malawi90,6%
Algérie95,8%Burundi 90,1%

Source: Cnuced

L’écrasante majorité des pays dépendants des produits bruts affiche des taux supérieurs à 80%. Même l’Afrique du Sud, pourtant le plus industrialisé du continent, a un taux de 63,9%. Le pays demeure un grand exportateur de produits miniers (40,2%), agricoles (12,4%), énergétiques (11,2%).

Natures des produits bruts exportés

Ces pays exportateurs sont globalement dépendants d’une ou de deux matières premières.

Ainsi, concernant les matières premières énergétiques, le pétrole et le gaz représentent plus de 94,6% des exportations de la Libye dont les produits de base représentent 98,6% des exportations totales.

C’est également le cas pour l’Algérie dont les hydrocarbures (pétrole et gaz) représentent 93,7% des exportations en valeur. Derrière, suivent la Guinée équatoriale (92,4%), l’Angola (91,5%), le Soudan du Sud (89,9%) et le Nigeria (89,7%). Ces six pays sont à la merci des évolutions erratiques des cours de l’or noir.

Les plus dépendants des exportations des minerais sont le Botswana (91,5% des exportations, essentiellement du diamant), la Guinée (85,2%, bauxite, or, diamant, Mali (84,3%, or), RDC (81,5%, cobalt, cuivre) et du Burkina Faso (80,9%, essentiellement de l’or).

Pour ce qui est des produits agricoles, les pays les plus dépendants sont la Guinée-Bissau dont 91,6% des recettes d’exportations proviennent de la noix de cajou (90% des exportations) et produits halieutiques, le Malawi (89,5%, tabac, thé, coton, riz, arachides), Éthiopie (70,9%, café, fleurs, graines oléagineuses), Bénin (68,5%, coton, soja, noix de cajou) et de la Côte d’Ivoire (66,6%, premier exportateur mondial de cacao et des noix de cajou).

Cette forte dépendance vis-à-vis des matières premières présente de nombreux risques. Plus les pays sont dépendants de ces matières, plus ils sont vulnérables aux fluctuations des cours mondiaux et aux chocs économiques, ce qui peut entrainer des instabilités économiques et budgétaires et compliquer la mise en œuvre de stratégie de développement à long terme. Ensuite, cette dépendance peut ralentir le développement du pays en entravant la diversification économique, limitant la création d’emplois de qualité et freinant le développement humain.

En outre, les crises liées à la dépendance aux matières premières peuvent entrainer des instabilités politiques et sociales. Par ailleurs, la spécialisation dans les matières premières alimente les inégalités sociales en bénéficiant généralement qu’à une minorité souvent liée aux classes dirigeantes.

Enfin, cette spécialisation a tendance à condamner les pays dépendants à être victime d’un échange inégal. En effet, ces pays exportent des produits de base, à faible valeur ajoutée, et importent des produits manufacturés à plus forte valeur ajoutée. Ainsi, les échanges extérieurs de la majeure partie des pays africains restent régis par la «division internationale du travail imposée” aux pays en développement durant les colonisations. Une situation à laquelle les pays africains ont du mal à se défaire comme l’illustrent les taux de dépendance aux matières premières.

Face à cette situation, les pays africains se doivent de penser à la diversification économique et le développement de secteurs à forte valeur ajoutée (énergies renouvelables, nouvelles technologies, industrie).

Ces pays doivent monter en gamme dans les chaînes de valeur des différents secteurs en transformant leurs matières premières: le cacao en chocolat, le coton en tissu,…

Pour y arriver, il faut des politiques publiques soutenant le développement de secteurs stratégiques.

Certains Etats ont réussi à réduire leur dépendance à l’égard des produits de base ce qui leur a permis de construire des économies plus diversifiées et plus résilientes.

C’est le cas du Maroc qui a réduit sa dépendance aux matières premières. Durant les années 1990, le Royaume a entamé des réformes institutionnelles et économiques pour développer ses échanges extérieurs et attirer plus de flux d’investissements directs étrangers. Le Maroc a aussi misé avec succès sur ce qu’il a appelé les «Métiers mondiaux du Maroc»: automobile, aéronautique, textile et cuir, agroalimentaire, électronique et offshoring de services.

En 2024, les exportations de véhicules et de composants automobiles se sont établies à près de 16 milliards de dollars, représentant 34,53% des exportations totales du Maroc. Ces expéditions ont consolidé leur place de première source d’exportation, loin devant les phosphates et dérivés-engrais naturels et acides phosphoriques- (environ 9 milliards de dollars), l’agriculture et l’agroalimentaire (9 milliards), le textile (4,6 milliards), l’aéronautique (2,7 milliards)…

Après ce succès, une nouvelle liste de sept secteurs d’activité seront développés: industrie navale, industrie ferroviaire, électricité verte, chimie verte, industrie pharmaceutique, logistique et transport, artisanat et art culinaire. Ce qui va encore d’avantage diversifier l’économie marocaine et les exportations du pays.

Au niveau de nombreux pays africains, c’est également l’heure de la prise de conscience des effets néfastes de la dépendance des matières premières.

Certains pays sont aujourd’hui engagés dans des processus de transformation locale de leurs matières de base.

Ainsi, concernant l’or, le Ghana, le Mali et le Burkina, qui figurent parmi les principaux producteurs du métal jaune en Afrique, ont implanté des unités de raffinage pour ne plus exporter de l’or brut et créer ainsi de la valeur ajoutée localement, tout en créant des emplois et en augmentant leurs recettes.

Au niveau agricole, la Côte d’Ivoire, premier producteur mondiale de cacao et d’anacarde, est aussi engagée dans un processus de transformation locale d’une grande partie de sa production.

La RDC et la Zambie, grands pourvoyeurs de minerais stratégiques (cobalt, cuivre, lithium,…) comptent transformer localement leurs minerais en devenant acteurs dans la fabrication de batteries électriques.

Certains pays comme le Zimbabwe et le Gabon ont annoncé qu’ils allaient interdire l’exportation de leurs minerais bruts -lithium pour le premier et manganèse pour le second- afin qu’ils soient transformés localement.

Reste que de nombreux pays, au-delà des visions panafricanistes et nationalistes, manquent de vision stratégique de transformation de leurs économies. La mise en place de la Zone de libre échange continentale africaine (Zlecaf) devrait pousser les pays à transformer davantage leurs produits de base localement en bénéficiant d’un marché de plus de 1,4 milliard de consommateurs.

Par Moussa Diop
Le 29/07/2025 à 16h23