Le baril du Brent de la Mer du Nord, référence d’une grande partie de la production pétrolière mondiale, est tombé, le 9 avril dernier, sous la barre des 60 dollars, en s’affichant brièvement à 59,77 dollars en séance, son plus bas depuis février 2021, avant de remonter et terminer, un mois plus tard, à 64 dollars.
Depuis le début de l’année, le prix du baril a perdu 14,09% de sa valeur. Et comparé à sa valeur lors du dernier pic de mai 2022, le baril s’est délesté de 47,54% de sa valeur.
Derrière cette baisse continue du baril ces trois dernières années, entrecoupées de hausses liées à des conjonctures géopolitiques, on peut lister plusieurs facteurs: baisse relative des tensions géopolitiques liées à la guerre en Ukraine, ralentissement de l’économie mondiale et la baisse des tensions au Moyen-Orient. Mais ce n’est pas tout. Plus récemment, les craintes d’une guerre commerciale après la décision du président Donald Trump d’imposer des taxes tous azimuts à tous les pays et l’annonce de la hausse de la production du pétrole des pays de l’Opep+ passée à 411.000 barils/jour supplémentaires (contre 137.000 initialement prévus) dans le but d’entraver la croissance de l’industrie pétrolière (schiste) aux Etats-Unis, ont également pesé sur le cours de l’or noir.
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En clair, le prix du pétrole peine à remonter la pente, malgré la suspension des «droits de douane réciproques» sur une période de 90 jours. Selon les prévisions de certaines banques d’investissement, le cours du baril ne devrait pas évoluer au-delà des 60 dollars.
C’est le cas de la banque d’investissement américaine Goldman Sachs qui a revu à la baisse ses prévisions du prix du pétrole pour l’année en cours et celle d’après. La banque prévoit désormais un prix moyen de 60 dollars le baril en 2025 et 56 dollars en 2026, après la décision des pays de l’Opep+ d’augmenter leur production pour maintenir la cohésion interne de l’ensemble.
La banque américaine considère la décision de l’Opep+ comme «une stratégie d’équilibre à long terme visant à maintenir la cohésion interne et à réguler stratégiquement l’offre de schiste américain."
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Cette baisse du prix du baril s’accompagne d’effets positifs pour les pays importateurs qui voient leurs factures énergétiques s’alléger et de conséquences moins heureuses pour les producteurs de pétrole du fait que chaque dollar de moins sur la vente d’un baril occasionne un manque à gagner et donc des recettes d’exportation en baisse et des perspectives de croissance, surtout pour les pays rentiers dépendants quasiment des hydrocarbures, révisées à la baisse.
Pire encore, la situation est aggravée pour ces dernier par le repli du dollar, le baril de pétrole étant libellé avec la devise américaine.
Le prix du baril a perdu 14,09% de sa valeur depuis début 2024. Et comparé à sa valeur lors du dernier pic de mai 2022, le baril s’est délesté de 47,54% de sa valeur. . DR
En conséquence de quoi, les producteurs africains de pétrole seront tous affectés. C’est le cas notamment des quatre grands producteurs du continent: Nigeria, Angola, Libye et Algérie. Pour ces pays, très dépendants des hydrocarbures, des prix bas sont synonymes de moins de recettes d’exportations et fiscales, et donc moins de ressources pour faire face aux services de la dette et au financement de leur développement.
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Des contreperformances qui s’expliquent essentiellement par l’absence de diversification de leurs économies et leur difficultés à sortir du tout pétrole. Cependant, ces quatre grands producteurs africains ne seront pas affectés de la même manière.
Le Nigeria peut compter sur la diversification et le raffinage
Disposant des 10e réserves mondiales de pétrole et 8e pour le gaz, le pays est aussi un grand exportateur de brut. En 2024, selon les données du Bureau national des statistiques (NBS), les exportations d’hydrocarbures (pétrole brut et autres produits pétroliers dont le GNL) se sont établies à 44,48 milliards de dollars, représentant 88,26% des exportations totales du pays qui ressortaient à 50,4 milliards de dollars.
Ces chiffres illustrent la dépendance du Nigeria aux hydrocarbures pour ses recettes en devises. Le pétrole brut avec 37,80 milliards de dollars, domine les exportations d’hydrocarbures du pays, devant le gaz naturel liquéfié (GNL), les produits raffinés et d’autres produits dérivés qui totalisent 6,70 milliards de dollars.
Généralement, les exportations du brut représente 70% des exportations totales du pays. Et lors des flambées du cours du baril, la proportion des hydrocarbures peut atteindre 90 à 95% des recettes d’exportations nigérianes.
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En clair, le secteur exportateur nigérian est très dépendant des hydrocarbures. Et les excédents commerciaux du pays sont fortement fonction de l’évolution du cours du baril de pétrole.
Autre signe de cette dépendance, 40% des recettes fiscales de l’Etat fédérale dépendent des hydrocarbures. Et sachant que le prix moyen de référence du pétrole brut fixé dans le budget national 2025 du Nigeria est de 75 dollars le baril, soit 11 dollars au-dessus du prix actuel du baril de Brent sur le marché international, on comprend bien évidement les conséquences de la baisse des prix du pétrole sur les recettes budgétaires du pays.
Cette situation va impacter la balance commerciale du pays et surtout le niveau des réserves de change. Une donne qui risque d’impacter négativement la valeur de la monnaie nigériane, le naira, déjà très affaiblie face au billet vert à cause des nombreuses «dévaluations».
Toutefois, contrairement à la Libye, à l’Algérie et à l’Angola, le Nigeria devrait être moins impacté par la baisse des cours de l’or noir. D’abord, le pays le plus peuplé d’Afrique pourra compenser en partie la baisse du prix du brut sur le marché international par une augmentation de sa production. Cette dernière est entrain de remonter la pente avec une production en hausse de 14% à 1,54 million de barils/jour (mb/j) en 2024 et qui devrait atteindre 1,7 mb/J en 2025, selon les projections des autorités.
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Ensuite, le pays sera de moins en moins dépendant des exportations du brut. En effet, avec la méga-raffinerie de Dangote (650.000 b/j) et les autres raffineries publiques remises en marche, le pays dispose actuellement d’une capacité de raffinage conséquente dépassant les 800.000 b/j. L‘autorité de régulation nigériane du pétrole en amont (NUPRC) a invité les producteurs du brut à livrer quotidiennement 770.500 barils de pétrole aux raffineries du pays, en se basant sur l’article 109 du Code pétrolier (Petroleum Industry Act) de 2021.
Par ailleurs, le pays poursuit sa diversification économique. Outre la plus grande raffinerie de pétrole du continent lui permettant de raffiner localement une partie de son brut et d’exporter des produits pétroliers au niveau de la sous-région, le pays dispose de la plus grande unité de production d’engrais, des unités pétrochimiques, de production de ciments et agro-alimentaires… Reste que l’impact de la baisse des cours du brut ne sera pas négligeable et illustre la forte dépendance de la 3e économie africaine aux hydrocarbures.
Pour réduire les effets des fluctuations du cours du pétrole sur son économie, le Nigeria doit impérativement diversifier davantage son économie. Pour y arriver, le pays doit d’abord contenir son énorme déficit énergétique. En effet, bien que disposant d’importantes ressources en hydrocarbures, le pays affiche un faible taux d’électrification. La faiblesse de la production d’électricité constitue un handicap énorme à la diversification de l’économie nigériane.
L’Algérie ou l’échec de la diversification
L’Algérie, dont l’économie est fortement dépendante des hydrocarbures, est durement impactée par la baisse du cours du baril de pétrole. Il faut souligner que la dépendance aux hydrocarbures reste un facteur lourd dans la balance budgétaire algérienne.
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En 2023, les hydrocarbures (pétrole et gaz) ont généré 50 milliards de dollars de recettes d’exportation, grâce à un cours moyen de 84 dollars le baril, contre 60 milliards de dollars en 2022 avec un cours moyen de 104 dollars le baril. En 2024, ces recettes ont baissé à 44 milliards de dollars avec un cours moyen de 75 dollars le baril. La dépendance aux hydrocarbures est des plus claires.
En 2024, 93% des recettes d’exportations de l’Algérie provenaient des hydrocarbures. Toutefois, le pourcentage réel dépasse ce niveau si on tient compte des produits dérivés des hydrocarbures.
Par ailleurs, les recettes budgétaires du pays dépendent des impôts et taxes générés par les hydrocarbures. Au moins 40% des recettes proviennent des hydrocarbures.
Pour confectionner son budget, l’Algérie a retenu comme hypothèse un cours du baril à 70 dollars, proche de celui des précédents exercices. Seulement, ces dernières années, le cours du baril s’établissait au-dessus de cette référence. Du coup, l’Etat se retrouvait avec des «recettes exceptionnelles» provenant d’un cours supérieur à celui projeté dans la loi de finances.
En 2024, par exemple, les recettes des hydrocarbures étaient de 3.035 milliards de dinars (22,8 milliards de dollars), avec un prix moyen du baril de 82 dollars, supérieur à l’hypothèse de 70 dollars retenue pour la confection du budget.
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Seulement, pour cette fois-ci, le cours moyen du baril pourrait être inférieur au cours de référence du budget. Sachant que les recettes pétrolières et gazières sont estimées à 3.600 milliards de dinars, soit autour de 27 milliards de dollars, représentant 42,24% des recettes du budget de l’Etat algérien, la baisse du cours du baril se traduira par moins de recettes et donc une aggravation du déficit budgétaire déjà abyssal.
En effet, avec un budget prévu de près de 16.800 milliards de dinars, soit 126 milliards de dollars, sur la base de l’hypothèse du baril à 70 dollars, le budget devait accuser un déficit significatif estimé à 22% du PIB. Et avec la baisse du cours, ce déficit risque de se creuser davantage alors que l’État algérien n’a pas de marge de manœuvre suffisante qui lui aurait permis de renflouer sa caisse à cause de l’étroitesse de l’assiette fiscale due à la forte dépendance aux hydrocarbures.
Outre la baisse du prix du baril, les recettes des hydrocarbures et dérivés (95% des revenus tirés des exportations) seront également affectées par la baisse du dollar, ce qui qui donne moins de pouvoir d’achat de la monnaie américaine vis-à-vis des autres monnaies.
Par ailleurs, la production algérienne a baissé de 973.000 barils/jour en 2023 à 907.000 en 2024.
Ainsi, contrairement au Nigeria, le pays ne pourra pas compenser le repli du cours par une augmentation des quantités produites. Cela est également valable pour le gaz dont le cours est corrélé à celui du brut et dont l’augmentation des exportations est freinée par la forte demande intérieure qui ne cesse de grignoter sur la part réservée à l’export.
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Tous ces facteurs font que l’Algérie risque de se retrouver avec moins de ressources tirées des exportations d’hydrocarbures. Ces éléments auront des impacts sur le déficit budgétaire, la balance commerciale et les réserves en devises du pays.
A noter que le déficit budgétaire projeté par la loi de finances 2025 est déjà abyssal. En effet, l’Algérie qui souhaite renforcer sa résilience, a prévu un budget de près de 16.800 milliards de dinars soit 126 milliards de dollars et un déficit significatif estimé à 22% du PIB, sur la base de l’hypothèse d’un baril à 70 dollars. C’est dire que ce déficit se creusera davantage si le baril ne remonte pas d’ici la fin de l’année. Ce qui est peu probable, sauf en cas de très fortes tensions géopolitiques.
Pour rappel, selon le Fonds monétaire international (FMI), l’Algérie a besoin d’un baril compris entre 100 et 110 dollars pour retrouver un budget d’équilibre. Malheureusement, le cours actuel du brut s’éloigne de plus en plus de ce cours d’équilibre, creusant davantage le déficit budgétaire du pays.
L’impact de la baisse du cours du pétrole se fera d’autant ressentir que l’économie algérienne reste très peu diversifiée en dépit des effets d’annonce des autorités sur l’augmentation des exportations hors pétrole. Ces dernières semblent même reculer ces dernières années.
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Après avoir atteint 6,9 milliards de dollars en 2022, elles ont baissé à 5,01 milliards en 2023 et environ 4,7 milliards de dollars en 2024. Dès lors, on peut légitimement s’interroger sur le crédit à accorder aux prévisions sans analyses objectives des dirigeants algériens qui annoncent des recettes hors hydrocarbures de 30 milliards de dollars entre 2028 et 2030.
Malheureusement, sans diversification, malgré ses énormes potentialités (minerais, agriculture,…), l’économie algérienne restera longtemps à la merci des évolutions erratiques des cours des hydrocarbures.
L’Angola addicte aux hydrocarbures
L’Angola, 2e producteur de pétrole africain, derrière le Nigeria, avec une production de 1,1 million de barils/jour en 2024, est une économie excessivement dépendante des hydrocarbures.
En 2024, les exportations d’hydrocarbures ont atteint 34,7milliards de dollars, représentant 95% de l’ensemble des exportations. Les exportations d’hydrocarbures sont constituées de 91% du pétrole brut, 7,8% de gaz naturel liquéfié et 1,2% de produits pétroliers raffinés. Les exportations du brut angolais ont été négociées en 2024 au prix moyen de 80 dollars le baril. Un cours très élevé comparé à celui qui prévaut actuellement au niveau du marché.
Du fait de sa faible diversification économique, le secteur des hydrocarbures pèse de l’ordre d’un tiers du PIB, 60% des recettes budgétaires et 95% des revenus d’exportation du pays.
En conséquence, l’évolution économique du pays est très intimement liée à celle du cours de l’or noir. C’est grâce à ce dernier que le pays affiche de manière structurelle un excédent commercial qui a atteint 22,7 milliards de dollars en 2024, assurant à hauteur de 246% la couverture des importations par les exportations.
Du coup, le repli du cours du baril va impacter négativement l’économie angolaise. Cela se traduira par une baisse significative des recettes d’exportation du pays. Outre l’effet prix, la baisse du dollar vis-à-vis d’autres devises va aussi accentuer la baisse des ressources générées par les exportations d’hydrocarbures.
Par ailleurs, 60% des recettes budgétaires étant dépendantes des hydrocarbures, le repli actuel du cours du baril se traduira par une baisse très significative des ressources budgétaires.
Or, l’Angola fait face à un service de la dette important. En 2024, celui-ci a engloutit 75% des recettes et devrait absorber 65% de celles de 2025. C’est dire qu’en dehors du service de la dette, l’Etat angolais ne dispose pas de marges de manœuvre pour faire face aux autres dépenses budgétaires et encore moins aux investissements publiques pour soutenir son économie.
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Le problème est que l’économie angolaise, plus que celle de l’Algérie, est très faiblement diversifiée. Toute l’économie a été bâtie autour de la rente pétrolière. L’agriculture, malgré les importantes potentialités, et les mines ont été négligées par les dirigeants.
Ainsi, les produits exportés hors hydrocarbures et diamant représentent seulement moins de 1,5% des exportations totales du pays.
Conséquence, en cas de maintien du cours du pétrole à un prix inférieur à 70 dollars le baril, outre la baisse de l’excédent commercial, le pays verra aussi ses les réserves de change se réduire avec un impact négatif sur le cours de la monnaie locale, le Kwanza.
Libye: les hydrocarbures représentent 97% des exportations
Disposant des premières réserves de pétrole prouvées du continent, estimées à 48 milliards de barils, la Libye ballotte entre le 2e et le 3e rang des producteurs de pétrole africains. En 2024, l’or noir a représenté près 68% du PIB et 97% des exportations et 90% des recettes fiscales de l’Etat . En clair, la Libye est un pays mono-exportateur d’hydrocarbures. En 2023, les hydrocarbures ont généré 23,3 milliards de dollars au pays. C’est dire que la croissance économique libyenne dépend de la stabilité des prix et de la production de pétrole et de gaz.
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Cependant, contrairement aux trois autres grands producteurs africains du pétrole, la production libyenne est très volatile. En effet, en plus de l’évolution du cours du baril, les revenus libyens dépendent de la situation sécuritaire et de l’évolution de la scène politico-institutionnelle. Même si le pays a la capacité de produire plus de 1,3 million de barils par jour mais à cause des facteurs déjà cités, il ne pourra pas atteindre cette capacité de production.
Face à la baisse des cours, l’augmentation de la production est seule à même d’assurer au pays la préservation du niveau de ses recettes. Mais le pays peine, depuis quelques années, à attirer des investissements dans le secteur pétrolier, malgré le potentiel important, sachant que le pays recèle environ 41% des réserves de pétrole prouvées d’Afrique. En raison de l’insécurité, les investisseurs évitent de s’aventurer dans le pays. Et les perspectives du prix de l’or noir bas ne les encouragent pas.
Conséquence, le pays sera très affecté par la baisse du cours du baril de pétrole. Toutefois, cette situation sera moins ressentie du fait de sa faible population.
La dépendance ds 4 pays africains des hydrocarbures
Pays | Production en 2024 (mb/j) | Part des hydrocarbures dans les exportations totales | Part des hydrocarbures dans les recettes budgétaires |
---|---|---|---|
Nigeria | 1,54 | 90% | 40% |
Angola | 1,18 | 95% | 60% |
Libye | 1,10 | 93% | 90% |
Algérie | 0,90 | 97% | 42,24% |