Si l’on considère un échantillon 14 monnaies africaines de 27 pays (le franc CFA étant la monnaie commune à 14 pays), seules quatre se sont dépréciées par rapport au billet vert entre fin décembre 2024 et fin juin 2025.
Contrairement à la période allant du déclenchement du Cobid-19 à fin 2024, période durant laquelle de nombreux pays africains ont fait face à l’explosion des déficits budgétaires, aux tensions inflationnistes, à une conjoncture économique défavorable, au recul des réserves de changes et aux pénuries de devises, les six premiers mois de 2025 ont confirmé l’amélioration de l’environnement économique au niveau du continent.
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Outre des taux de croissance élevés que devraient enregistrer de nombre pays du continent en 2025 et 2026, selon le FMI et la Banque mondiale, l’inflation est en net recul, les déficits budgétaires et comptes courants s’améliorent et les réserves de change augmentent sensiblement. De leur côté, les banques centrales revoient leurs taux directeurs à la baisse pour stimuler la croissance via les crédits et la consommation. Autant de facteurs qui ont contribué à rendre les monnaies des pays africains moins fragiles.
Aussi, aucune dévaluation n’a été enregistrée durant les six premiers mois de l’année, contrairement aux deux dernières années qui ont été marquées par la dévaluation de la livre égyptienne, du naira nigérian, du birr éthiopien…Mais ces facteurs n’expliquent pas à eux seuls le bon comportement des monnaies africaines.
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Un autre facteur semble avoir joué un rôle clé. Il s’agit du comportement de la monnaie américaine depuis le retour du président Donald Trump au pouvoir. Alors que 1 dollar s’échangeait contre 0,97 euro le 31 décembre 2024, à fin juin 2025, ce même dollar ne vaut plus que 0,85 euro, faisant perdre au dollar 12,37% de sa valeur en six mois, à cause de la politique menée par le locataire de la Maison Blanche.
Les incertitudes de cette politique, notamment les droits de douane imposés au reste du monde, ont plombé la monnaie américaine, en dégradant les perspectives de croissance économique américaine, en augmentant les tensions inflationnistes, en décourageant les investisseurs des actifs américains (actions, obligation, dollar) qui ont déplacé leurs fonds vers d’autres pays, notamment européens. Conséquence, toutes les monnaies africaines plus ou moins à l’euro adossées, dont le franc CFA, le dirham marocain, le dinar tunisien,… ont performé vis-à-vis du dollar.
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Ce comportement des monnaies africaines n’est pas sans effets sur les économies. Outre le fait qu’elle rend les factures à l’importation libellées en dollar relativement moins importantes en monnaies locales, la dépréciation du dollar est aussi une bonne chose pour les services de la dette des pays africains libellés en grande partie en dollar américain. L’appréciation des monnaies vis-à-vis du dollar contribue aussi à faire baisser l’effet de l’inflation importée et à réduire les gaps des taux de change entre les marchés officiels et parallèles.
Toutefois, en ce qui concerne les exportations, notamment celles libellées en dollar notamment les hydrocarbures et les matières premières, la dépréciation du dollar constitue un manque à gagner, surtout dans une conjoncture marquée par le repli des cours des hydrocarbures.
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Globalement, le comportement diverge d’une monnaie à l’autre. Le cedi du Ghana est la monnaie qui s’est le plus appréciée vis-à-vis du dollar les six premiers mois de l’année, passant de 14,68 cédis pour 1 dollar à seulement 10,3 cédis pour le même dollar, soit une forte appréciation de 29,83%. L’amélioration de la situation économique, la baisse de l’inflation (tombée à 13,70% en juin contre 23,8% en décembre 2024) et la hausse des réserves de change expliquent cette appréciation.
La Banque centrale du Ghana (BoG) a surtout renforcé ses réserves en or de 11 tonnes pour s’établir à 30,5 tonnes. Une hausse qui s’inscrit dans une stratégie économique visant à réduire la dépendance aux devises étrangères et à stabiliser la monnaie locale.
Pour y arriver, le Ghana, premier producteur d’or d’Afrique, a mis en place le Programme national d’achat d’or qui oblige toutes les compagnies minières opérant au Ghana à vendre 20% de leur production à la Banque centrale du pays. Ces réserves ont une valeur marchande de 2,72 milliards de dollars. Une partie des lingots d’or sert à couvrir certaines dépenses, notamment l’achat de carburants, réduisant la pression sur les réserves de change. Une politique qui a permis de porter les réserves de change à 11,44 milliards de dollars en avril 2025, offrant plus de cinq mois d’importation de biens et de services, contre un niveau historiquement bas de 1,6 mois en novembre 2023.
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Cette politique consolide la position de la BoG en tant que pilier de la stabilité monétaire et de la résilience économique du pays et a contribué à l’appréciation du cédi ghanéen depuis le début de l’année.
En ce qui concerne le franc CFA, la monnaie de 14 pays africains de l’Union économique et monétaire ouest-africain (Uemoa) et l’Union monétaire d’Afrique centrale (Umac), sa performance vis-à-vis du dollar américain s’explique uniquement par son ancrage à l’euro avec une parité fixe (1 euro = 656 francs CFA). Conséquence, le franc CFA s’est apprécié presque de la même manière que l’euro vis-à-vis du dollar. Ainsi, l’appréciation du franc CFA n’est aucunement le résultat de performances économiques des pays de la zone CFA, mais de son ancrage à l’euro.
Le rand sud-africain aussi s’est bien comporté en s’appréciant de 6,35% vis-à-vis du billet vert au terme du premier semestre 2025. Une situation qui tient plus au recul du dollar qu’à l’appréciation proprement dite du rand sous l’effet des performances de l’économie sud-africaine.
Les 5 principales monnaies africaines qui se sont le plus appréciées durant le premier semestre 2025 vis-à-vis du dollar
Le cedi du Ghana s'est apprécié de 29,83% par rapport au dollar au terme des six premiers mois de l’année, passant de 14,68 cedis pour 1 dollar à seulement 10,3 cedis pour le même dollar. La forte hausse des réserves de change et la forte baisse de l'inflation ont joué un rôle dans l'appréciation de la monnaie ghanéenne.. DR
Par ailleurs, les monnaies des pays d’Afrique du Nord se sont toutes appréciées ces six derniers mois vis-à-vis du dollar. Le dinar tunisien, le dirham marocain, le dinar algérien et la livre égyptienne se sont appréciés respectivement de 9,44%, 7,95%, 4,51% et 2,44%.
Ces appréciations s’expliquent par plusieurs facteurs.
Pour le dinar tunisien, l’amélioration de la conjoncture économique et surtout des réserves en devises, grâce notamment aux transferts de la diaspora et des recettes touristiques et l’appréciation de l’euro, ont contribué à son appréciation.
Pour le dirham marocain, la bonne résilience de l’économie, la solidité des indicateurs macroéconomiques, la faiblesse de l’inflation, la diversification économique, la qualité du pilotage monétaire par Bank al-Maghrib,… sont autant de facteurs qui ont contribué à l’appréciation du dirham vis-à-vis du dollar (+7,95 %). Le dirham doit aussi sa performance à son ancrage sur un panier de devises composé de l’euro (60%) et du dollar (40%). Or, durant les six premiers mois de l’année, l’euro s’est fortement apprécié vis-à-vis du dollar, et a fortement contribué à tirer la performance de la monnaie marocaine par rapport au billet vert.
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La livre égyptienne s’est appréciée légèrement de 2,44% ces six premiers mois de l’année, après les fortes dépréciations de 2023 et 2024, à cause des dévaluations consécutives à la crise économique et financière de ces dernières années. La monnaie égyptienne a aussi profité de la hausse des réserves de change du pays qui ont atteint plus de 48,14 milliards de dollars à fin avril 2025, grâce au soutien des pays du Golfe par le biais des investissements et des placements à la Banque centrale d’Egypte.
Pour la livre égyptienne, après les dévaluations de 2023 et 2024 qui ont permis d’égaliser les taux de change des marchés officiel et parallèle, elle a commencé à reprendre des couleurs en s’appréciant de 2,44% au terme des six premiers mois de l’année en cours. L’absence de dévaluation, le bon comportement de l’économie, la reconstitution des réserves de change qui se situent à 48 milliards, le repli de l’inflation à 14,9% début juin 2025, contre 24,1% en décembre 2024, ont contribué à cette légère appréciation vis-à-vis du billet vert.
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Si le dinar algérien s’est apprécié de 4,51% vis-à-vis du dollar au niveau du marché officiel, le véritable baromètre de change du dinar algérien est le celui du marché parallèle.
L’Algérie a préféré laisser coexister ces deux marchés avec un énorme différentiel de taux de change. Alors que le cours de change officiel est de 129,91 dinars pour 1 dollar, sur le marché parallèle il faut 226 dollars pour avoir 1 dollar, soit un gap de 96,09 dinars.
C’est dire que la performance du dinar vis-à-vis du dollar est plus qu’artificielle et ne reflète aucunement une quelconque bonne santé de l’économie algérienne. La forte dépendance aux hydrocarbures, la faible productivité de l’économie, la compression artificielle de l’inflation, la faible allocation de voyages (100 euros/personne) incitant au recours au marché noir, les déficits budgétaires croissants… expliquent ce gap entre les deux marchés.
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Les rares monnaies africaines qui se sont dépréciées vis-à-vis du dollar de fin décembre 2024 à fin juin 2025 sont essentiellement celles des pays d’Afrique de l’Est. C’est le cas du birr éthiopien. Après une très forte dépréciation en 2024 suite à l’abandon par le gouvernement de sa politique de longue date de fixation du taux de change, entrainant une forte dévaluation de la monnaie, celle-ci a perdu -6,13% de sa valeur depuis le début de l’année s’échangeant, à fin juin dernier, à 135,20 birrs pour 1 dollar.
C’est aussi le cas le cas du shilling tanzanien qui a perdu -8,33% de sa valeur vis-à-vis dollars. Le risque politique n’y est pas étranger. Le shilling kenyan est resté stable avec une évolution de -0,1% à 128,50 shillings pour 1 dollar.
Ailleurs, le kwanza angolais s’est légèrement déprécié de 0,55% à 912 kwanzas pour 1 dollar.
Évolution des taux de change des principales monnaies africaines face au dollar à fin juin 2025
Monnaies | Pays | Cours de change de 1 dollar à fin juin 2025 | Variation par rapport au cours à fin décembre 2024 |
---|---|---|---|
Cedi | Ghana | 10,30 | +29,83 % |
Francs CFA | Zones Francs CFA | 559,46 | +11,22 % |
Dinar tunisien | Tunisie | 2,88 | +9,44 % |
Dirham marocain | Maroc | 9,00 | +7,95 % |
Rand | Afrique du Sud | 17,70 | +6,30 % |
Dinar algériens | Algérie | 129,21 | +4,51 % |
Livre égyptienne | Egypte | 49,57 | +2,44 % |
Shilling ougandais | Ouganda | 3556,73 | +2,18 % |
Naira | Nigeria | 1536,94 | +0,43 % |
Franc congolais | RDC | 2861 | +0,26 % |
Shilling Kenyan | Kenya | 128,50 | -0,10 % |
Kwanza | Angola | 912 | -0,55 % |
Birr | Ethiopie | 135,20 | -6,13 % |
Shilling Tanzanien | Tanzanie | 2627,09 | -8,33 % |
Source: diverses sources
Du côté des perspectives, pour le reste de l’année, plusieurs banques américaines et européennes avancent que le dollar continuera de pâtir du creusement des déficits américains (budgétaires, comptes courants) et de la baisse des investissements internationaux. Nombre d’entre-elles tablent sur 1 euro à 1,20 dollars fin 2025. Ce qui ne manquera pas de contribuer à l’appréciation des monnaies africaines vis-à-vis du dollar durant l’année 2025, comparativement à 2024.