Pour Le360 Afrique, présent le 19 décembre au Forum Africa Links organisé par Kalimo Consulting Group une multinationale basée à Dakar, l’enjeu consistait à faire parler les acteurs. Diplomates, chefs d’entreprise et journalistes spécialisés ont accepté de revenir sur ce que la CAN produit réellement, au-delà des stades et des écrans, et sur ce qu’elle laisse parfois en suspens, notamment pour les très petites entreprises et les PME africaines, souvent reléguées aux marges de la grande machine commerciale du football.
Ambassadrice du Sénégal au Maroc, Seynabou Dial pose d’emblée le cadre. «La CAN est un signal et une reconnaissance de l’importance du sport comme levier économique et de développement», explique-t-elle, rappelant que «tout tourne aujourd’hui autour de la CAN». Pour la diplomate, la manifestation agit comme un accélérateur macroéconomique temporaire. «Tous les services sont entraînés par l’organisation: hospitalité, transports, sécurité, services connexes. Beaucoup de secteurs vivent à travers la CAN», insiste Mme Dial, soulignant que les retombées dépassent largement la seule billetterie.
Seynabou Dial revient à plusieurs reprises sur cette «économie du sport» longtemps sous-estimée en Afrique. Selon elle, les États ont désormais intégré la nécessité d’investir massivement dans les infrastructures, mais aussi dans le capital humain. «La formation aux métiers du sport est essentielle, tout comme la mise à niveau logistique pour accueillir des événements d’envergure», observe-t-elle, citant la CAN au Maroc et les Jeux olympiques de la jeunesse prévus à Dakar comme jalons d’une stratégie continentale plus structurée. À ses yeux, la dimension économique ne peut être dissociée de la portée symbolique. Pour elle, «Le sport véhicule des valeurs d’intégration, de vivre-ensemble et de fair-play qui participent à la construction d’une Afrique développée et pacifiée.»
Le lien entre sport, jeunesse et développement économique traverse également l’intervention de James M. Strother, président de l’association des entreprises libériennes. Pour lui, la question sportive est indissociable d’un projet de société. «Nous sommes profondément engagés en faveur de l’entrepreneuriat des jeunes», affirme-t-il, avant de revenir sur une interrogation récurrente au Liberia: l’absence du pays à la Coupe du monde.
James M. Strother le répète à plusieurs reprises que «Nous avons besoin de soutien pour permettre à nos jeunes d’atteindre ce niveau.» Le football, insiste-t-il, est une activité économique à part entière. «Tout ce qui génère un rendement est une forme directe de business. Le football apporte de l’argent à l’économie.» Dans son analyse, la progression sportive d’un pays se traduit mécaniquement par une augmentation des revenus, directs et indirects, à condition de réinvestir dans les talents locaux.
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Évoquant l’action du président Joseph Nyuma Boakai, James M. Strother assure que les autorités libériennes cherchent à inscrire le football dans une trajectoire de long terme. «Nous ne cherchons pas de l’argent gratuit, mais des financements à long terme», précise-t-il, voyant dans le Maroc un partenaire stratégique. À Casablanca, il plaide pour une coopération bancaire sud-sud capable de soutenir les PME libériennes. «Le Maroc dispose d’une expertise financière dont nous pouvons nous inspirer pour structurer notre écosystème», souligne-t-il, convaincu que le football peut servir de point d’entrée à une dynamique économique plus large.
Une manne financière à gouverner
Journaliste sénégalais et directeur de publication d’Impact.sn, Momar Dieng adopte un ton plus critique, sans pour autant nier l’ampleur des enjeux. «Il y a de gros enjeux financiers dans l’organisation de la CAN», rappelle-t-il, décrivant une manne qui se structure autour de plusieurs pôles. La Confédération africaine de football en est le principal chef d’orchestre, aux côtés des équipes nationales, du pays hôte et des sponsors.
Momar Dieng insiste sur le mécanisme de redistribution, qu’il juge à la fois central et conflictuel. «La CAF prend l’essentiel de la manne financière et redistribue selon le parcours des équipes», explique-t-il, rappelant que ces flux peuvent générer des tensions internes. Il cite l’exemple du Sénégal, où le partage des primes lors de précédentes éditions avait suscité débats et contestations. Pour Momar Dieng, ces épisodes révèlent un déficit de gouvernance plus large. «Il est peut-être temps d’ouvrir des discussions au niveau de la CAF et même de la FIFA», estime-t-il, appelant à une réflexion collective sur l’équité et la transparence.
La question des droits de diffusion cristallise, selon Momar Dieng, une part croissante des frustrations. «De nombreuses radiodiffusions africaines ont contesté le quota de matchs qui leur a été alloué», rappelle-t-il, soulignant que la limitation de l’accès aux rencontres pose un problème social et politique. L’exclusivité accordée à des groupes comme Canal+ ou beIN Sports restreint l’accès des populations non abonnées, notamment dans les zones rurales.
Pour le journaliste, cette situation dépasse la simple négociation commerciale. «Il y a un enjeu de souveraineté africaine», affirme Momar Dieng, estimant que les États ne peuvent laisser seules les fédérations nationales face à des groupes internationaux puissants. Il évoque même «une forme de colonialisme sportif» qui se prolongerait à travers la captation des revenus du sponsoring et des droits télévisés. À ses yeux, une renégociation collective s’impose pour rééquilibrer les rapports de force.
En filigrane de ces échanges, une question persiste: que reste-t-il de cette économie de la CAN pour les TPE et PME africaines ? Si les grandes entreprises et les sponsors internationaux captent l’essentiel de la valeur, les acteurs locaux peinent souvent à s’inscrire durablement dans la chaîne économique de l’événement. Les discussions à Afric Links ont révélé cette asymétrie, sans toujours y apporter de réponse opérationnelle.
Au fil des échanges, une lecture plus systémique s’est imposée, portée par l’initiateur du Forum Afric Links et PDG de Kalimo Consulting Group. Son intervention a replacé le sport dans une architecture plus large de diplomatie économique et d’intégration continentale.
«Le sport africain, et en particulier la CAN, fonctionne aujourd’hui comme une économie transversale, mais fragmentée», observe-t-il. Selon lui, l’événement révèle autant la montée en puissance du continent que ses fragilités structurelles. «Nous avons des États capables d’organiser des compétitions de niveau mondial, des stades, des flux touristiques, des audiences planétaires. Mais nous n’avons pas encore une chaîne de valeur africaine intégrée autour du sport», tranche-t-il.
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Pour le dirigeant de Kalimo Consulting Group, la question centrale n’est pas celle de la visibilité, mais celle de la captation de valeur. «L’essentiel des revenus générés par le sport africain continue de s’échapper hors du continent, à travers les droits télévisés, le sponsoring international, les plateformes de diffusion et les intermédiaires financiers», analyse-t-il, rejoignant sur ce point les critiques formulées par Momar Dieng. «Tant que l’Afrique ne maîtrise pas ses circuits de financement, de diffusion et de redistribution, le sport restera une vitrine plus qu’un levier de transformation économique.»
Aujourd’hui, le sport est apparu comme un miroir grossissant des ambitions africaines par un potentiel économique réel, mais avec une captation inégale des ressources et malgré une puissance symbolique, mais aussi une dépendance persistante aux acteurs extérieurs. La CAN, en ce sens, n’est ni un simple tournoi ni une panacée. Elle est un test. Test de la capacité des États à organiser, à négocier et à redistribuer. Test, aussi, de leur volonté d’inscrire le football dans une stratégie de développement inclusive.




