«Depuis ce matin, à peine cinq personnes se sont arrêtées », dit cette femme. « Tout le monde préfère aller à la station», déplore-t-elle.
Car depuis deux semaines, le litre de «Kpayo», l’essence illégale vendue depuis toujours sur le bord des routes béninoises, a doublé de prix, passant de 350 à 700 francs CFA (0,5 à 1 euro).
Il dépasse désormais celui vendu dans les stations-service (au prix du marché, soit 650 FCFA), seules autorisées à vendre du carburant au Bénin.
En cause, la fin des subventions sur le carburant actée le 29 mai par le Nigeria voisin, qui partage une frontière avec le Bénin, et où le prix a triplé depuis.
C’est la première mesure prise par le nouveau président nigérian Bola Tinubu, qui voit en ces subventions un gouffre financier insoutenable, dénonçant notamment l’immense trafic de contrebande de l’essence subventionnée vers les pays voisins.
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«Pourquoi devrions-nous (...) nourrir les contrebandiers et être le Père Noël des pays voisins», a-t-il fustigé samedi, pour justifier sa mesure, très impopulaire au Nigeria.
Depuis des décennies, l’essence à bas prix du Nigeria, est transportée illégalement par la route chez ses voisins, en premier lieu le Bénin, où elle est revendue sur le marché noir, par une multitude de vendeurs informels, comme maman Jeannine.
«Vous savez, cette essence donne à manger à des milliers de personnes au Bénin», se désole cette veuve de 48 ans avec cinq enfants à charge, qui dit ne pas avoir assez d’économies «pour commencer une nouvelle affaire».
L’ampleur du trafic est telle que le prix de la course de taxi a presque doublé à Cotonou. Au Cameroun, autre voisin du Nigeria, plusieurs syndicats de taxi-motos se sont mis en grève.
«Prier Dieu»
Victorien Assogba Kossi, chemise jaune sur le dos, comme tous les zemidjans (taxi-motos) de Cotonou, se demande «ce qui ne va pas au Nigeria...».
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«C’est parce que la frontière est fermée?», interroge le chauffeur qui n’a jamais entendu parler des subventions nigérianes.
«Nous allons prier Dieu pour que ça baisse», dit l’homme de 46 ans, qui dit avoir coupé dans les rations de maïs pour ses enfants avec la baisse de l’activité.
A quelques kilomètres de là, Nicolas Evedjere, lui, se frotte les mains. Ce gérant d’une station-essence n’a jamais autant vendu que ces derniers jours.
«On a dû fermer ce matin, car on n’avait plus rien à vendre, la clientèle a été multipliée par dix», lance tout sourire cet homme, qui dit cependant être peiné «de voir (ses) frères souffrir».
Les fournisseurs n’avaient pas anticipé une telle explosion de la demande, ajoute-t-il.
Devant les stations-essence, qui ont encore à vendre, de longues files d’attente sont désormais visibles aux heures de pointe.
Une bonne nouvelle pour l’Etat béninois, qui espère ainsi augmenter ses recettes fiscales, les vendeurs informels ne payant pas d’impôt.
«Ces dernières années, le gouvernement béninois a encouragé le développement de stations-service dans le pays pour réduire l’importance de l’essence de contrebande sur le marché», indique à l’AFP le porte-parole de l’exécutif béninois, Wilfried Léandre Houngbédji.
Fermeture des frontières
«Si nous ne l’avions pas fait, nous ferions actuellement face à de graves pénuries», se félicite-t-il.
Cet épisode illustre à nouveau la très forte dépendance du Bénin envers son voisin nigérian, géant ouest-africain de 215 millions d’habitants et première économie du continent.
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Il rappelle au Bénin la fermeture des frontières imposée à l’été 2019, du jour au lendemain par l’ancien président nigérian Muhammadu Buhari, qui avait duré 18 mois et asphyxié l’économie béninoise.
Hasard du calendrier ou pas, le président béninois Patrice Talon a tout récemment limogé son ministre des Affaires étrangères, et nommé le 6 juin à sa place, Shegun Bakari. Cet entrepreneur béninois est de la même ethnie (Yoruba) que le président Tinubu, et on le dit «proche» de ses cercles.
Si au poste frontière de Seme-Krake, sur la côte Atlantique, l’agitation habituelle des cambistes, vendeurs, transporteurs et petits commerçants impliqués dans le trafic d’essence n’est plus, une autre effervescence persiste.
Côté nigérian, passé les barrages des douanes, une multitude de voitures aux coffres remplis de sacs de riz (arrivés depuis le port de Cotonou au Bénin) sont déchargés à la vue de tous, transposés dans de nouveaux véhicules.
La céréale asiatique, interdite d’importation au Nigeria qui tente d’encourager sa production locale, continue à faire vivre les contrebandiers.
(*) le prénom a été modifié à la demande de l’intéressée.