Cacao: la flambée persistante des prix va-t-elle profiter aux géants africains du secteur?

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Le 17/11/2023 à 12h26

Les contrats à terme pour décembre de la tonne métrique du cacao ont franchi le cap des 4.000 dollars le 13 novembre 2023. Une première depuis 46 ans. Certains analystes estiment que le cours pourrait franchir les 5.000 dollars. Plusieurs facteurs expliquent cette flambée des cours du cacao qui va faiblement profiter aux deux premiers producteurs mondiaux du cacao.

Les planteurs ivoiriens et ghanéens devraient se frottent les mains. Et avec eux, c’est toute la filière du cacao qui est censée retrouver des couleurs. En effet, la flambée des cours du cacao ne s’estompe pas. Le prix du cacao est passé de 2.603 dollars la tonne métrique au 30 décembre 2022 à 4.046 dollars la tonne métrique le 13 novembre 2023, affichant ainsi une progression annuelle 55,44%.

Un niveau jamais atteint depuis 46 ans au niveau de l’International exchange de Londres, la Bourse où est coté le cacao. Un niveau de cours qui dépasse très largement les projections de l’Organisation international du cacao (ICCO) qui faisait état en début d’année de la possibilité que le cours du cacao atteigne les 3.600 dollars la tonne au cours de l’exercice 2023-2024. Un seuil largement dépassé actuellement.

Et selon les experts, le cours pourrait même franchir le seuil des 5.000 dollars durant les prochains mois. C’est dire l’inquiétude des chocolatiers, grands consommateurs de cacao, mais aussi de tous les utilisateurs du chocolat.

La cause principale de cette flambée est bien évidemment la rareté du produit. En effet, le cacao est produit principalement par une poignée de pays, notamment africains. Les deux premiers producteurs, la Côte d’Ivoire et le Ghana, pèsent respectivement 40% et 20% des parts de marché.

Ces deux pays pèsent fortement sur l’évolution des cours de ce marché oligopolistique. Et tout bouleversement au niveau de ces deux pays impacte le cours du cacao.

La flambée actuelle du cours du cacao s’explique essentiellement par les perspectives d’une forte baisse de la production de la Côte d’Ivoire, premier producteur mondial avec une part de marché de plus de 40%. Selon les projections, la production de ce leader mondial devrait baisser à hauteur de 25% en 2023-2024, comparativement à la production précédente à cause des phénomènes météorologiques, notamment les pluies intenses en Afrique de l’Ouest (particulièrement en Côte d’Ivoire et au Ghana), région qui assure presque 75% du marché mondial de cacao.

Une situation climatique qui a poussé la Côte d’Ivoire à suspendre des contrats d’exportation de son cacao pour la saison 2023-2024 en août dernier. «Nous avons été obligés de suspendre nos ventes parce que la situation climatique actuelle nous inquiète. Nous croyons que la récolte principale qui va débuter en octobre ne sera pas bonne», avait annoncé Yves Brahima Koné, le patron du puissant du Conseil café-cacao, organe chargé par l’Etat ivoirien de la régulation, de la stabilisation et du développement de filière du café et du cacao en Côte d’Ivoire depuis 2012.

A cette cause climatique s’ajoutent les faibles niveaux des stocks de cacao en fin de campagne qui ont atteint des niveaux historiquement bas, accentuant la tension sur ce marché dont l’offre est très fortement concentrée sur une poignée de producteurs.

On comprend alors les craintes de la poursuite de la flambée des cours au titre de l’exercice en cours sachant que la flambée enregistrée durant l’année écoulée était portée par un léger déficit du marché de 142.000 tonnes. Or, avec une baisse de sa production de 25%, le déficit sur le marché ivoirien pourrait à lui seul atteindre les 500.000 tonnes, sachant que le pays a produit 2,2 millions de tonnes de fèves de cacao en 2022. D’où la crainte d’une crise du cacao sur le marché mondial et par ricochet la poursuite de la flambée du cours de la fève.

Cette flambée des cours aura des impacts positifs sur les grands producteurs de cacao, notamment les pays africains: Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria, Cameroun…

Cela sera particulièrement le cas de la Côte d’Ivoire, un pays où la culture de la fève représente 15 à 20% du Produit intérieur brut (PIB), assure 40% des recettes d’exportation du pays, emploie près de 600.000 planteurs et fait vivre plus de 6 millions de personnes, soit un peu moins du quart de la population du pays.

C’est dire que pour ce pays, la flambée du cours devrait avoir des impacts positifs en augmentant les revenus des planteurs, les recettes d’exportation et impacter positivement la croissance du pays. Ainsi, pour la Côte d’Ivoire, le prix d’achat minimum garanti du kilogramme de cacao auprès des paysans a été fixé à 1.000 francs CFA, soit 1,6 dollar durant la campagne 2023-2024 qui a démarré le 1er octobre, soit une revalorisation de 11% par rapport à celui de la précédente campagne. L’Etat ghanéen est plus généreux avec un prix minimum atteignant 1,8 dollar.

Reste qu’en réalité, à cause des politiques de rémunération, des déficits d’infrastructures (routes, entrepôts de stockage,…) et des effets du changement climatique, les planteurs africains ne profitent pas pleinement de cette embellie.

Ce sont surtout les firmes multinationales du chocolat qui bénéficient de la donne. Ce sont ces géants qui consomment plus de 70% de la production mondiale qui bénéficient de cette embellie en achetant le produit brut pour le transformer et engranger au passage toute la valeur ajoutée en produisant du chocolat et d’autres produits à base de cacao.

Partant, si les grands producteurs africains désirent ardemment profiter de cette matière première, l’accent doit être mis sur la transformation locale et la mise en place d’une bourse régionale où sera fixée le cours du cacao. Or, actuellement, malgré les efforts et les effets d’annonce, à peine 10% du cacao brut est transformé en Afrique !

Par Moussa Diop
Le 17/11/2023 à 12h26