Après l’Egypte qui a démarré la construction d’un complexe de quatre réacteurs nucléaires d’une capacité de totale de 4.800 MW, pas moins d’une dizaine de pays du continent sont aujourd’hui engagés dans des processus devant aboutir à la production d’électricité via des centrales nucléaires. Un procédé que ne maitrise qu’un seul pays du continent, jusqu’à présent, l’Afrique du Sud.
A priori, avec les objectifs que ce sont fixés de nombreux pays relatifs à l’accès universel à l’électricité et la diversification du mix énergétique, le recours à l’énergie atomique est légitime pour tous les pays du continent, à fortiori pour ceux de l’Afrique subsaharienne affichant un taux d’électrification moyen inférieur à 50%.
A titre d’exemple, le Niger affiche actuellement un taux d’électrification handicapant de 17,5% et ambitionne de le porter à 30% en 2026 et à 80% d’ici 2035. Même, le Nigeria, pourtant première puissance économique du continent, affiche un taux d’électrification de seulement 45%. Des taux très faibles qui entravent le développement de nombreux pays.
Des déficits énergétiques qui poussent, aujourd’hui, de nombreux pays d’Afrique subsaharienne à vouloir tenter le nucléaire civil pour doper leur production électrique. C’est le cas notamment du Kenya, de l’Ouganda, du Rwanda, du Nigeria, du Soudan, du Ghana… et plus récemment du Niger, du Mali et du Burkina Faso.
Ces deux derniers pays ont d’ailleurs signé, la semaine dernière, avec le géant Rosatom, l’Agence russe de l’énergie atomique, leader mondial des projets de construction de centrales nucléaires, des accords de coopération pour développer le nucléaire civil. Il est question de construction de centrales nucléaires par Moscou dans les deux pays.
Avec un taux d’électrification d’à peine 25%, le Burkina Faso, dépourvu actuellement d’énergies fossiles compte miser sur le nucléaire pour doubler sa production à l’horizon 2030 et d’assurer sa souveraineté énergétique. Le pays dépend des importations d’électricité en provenance de la Côte d’Ivoire et du Ghana. Ouagadougou entend mettre à profit son rapprochement avec la Russie pour investir dans le nucléaire civil. Idem pour le Mali, handicapé par son enclavement, et qui voit dans le nucléaire une solution pour réduire son déficit énergétique.
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En plus de cette volonté de s’affranchir de la dépendance, le recours à l’énergie atomique est encouragé par d’autres facteurs. L’énergie nucléaire est réputée «propre», fiable et relativement rentable. Autant de raisons qui poussent les pays du continent, notamment ceux dépourvus de ressources naturelles, à vouloir s’engager dans la voie de l’atome comme source d’énergie, à l’instar de certains pays industrialisés.
A titre d’exemple, en France, le nucléaire représente environ 70% de la production totale d’électricité et le pays dispose du plus grand parc de réacteurs nucléaires au monde (56 en activité). Raison pour laquelle l’Hexagone a été moins affecté par la crise énergétique qui a secoué l’Europe au début du conflit Russie-Ukraine en février 2022.
Toutefois, si le nucléaire peut être envisagé comme source énergétique en Afrique, il n’en demeure pas que celui-ci demeure une option sophistiquée et encore réservée aux pays les plus industrialisés du monde. Actuellement, seule l’Afrique du Sud dispose d’une centrale nucléaire au niveau du continent avec deux réacteurs en activité. Cette installation date de l’époque de l’apartheid.
Mais contrairement aux autres sources d’énergie, le nucléaire est spécifique. D’abord, rares sont les pays (Russie, France, Etats-Unis, Japon, Allemagne…) au monde qui en maitrisent la technologie. Et hormis l’Afrique du Sud, en Afrique, il faudra partir de zéro. En plus des unités clé en main à acquérir, il faudra aussi des années pour former des ressources humaines de qualité à même d’assurer le fonctionnement normal des centrales.
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Ensuite, il y a surtout le nerf de la guerre: les centrales nucléaires sont coûteuses, voire très coûteuses. En France, le coût de construction de six réacteurs nucléaires nouvelle génération EPR2 est estimé à 51,7 milliards d’euros, soit un coût moyen de 8,67 milliards d’euros par centrale.
En Afrique, le complexe nucléaire en construction en Egypte, qui comprendra quatre réacteurs nucléaires totalisant une capacité de 4.800 MW (1.200 MW par réacteur), nécessitera une enveloppe entre 25 et 30 milliards de dollars. Il faudra donc, au minimum, débourser 6,25 milliards de dollars pour chaque réacteur.
Et l’addition n’est pas encore finie: d’autres frais s’ajouteront à la construction d’une unité de ce genre. Une centrale nucléaire comporte quatre composants financiers fondamentaux: le coûts d’investissement pour la construction, les frais de fonctionnement (production, rénovation…), les dépenses liées à la gestion des déchets et les coûts de démantèlement.
Ainsi, en ce qui concerne le fonctionnement, il faut souligner que les réacteurs nucléaires seront alimentés par de l’uranium 235 pour produire de la chaleur au moyen de la fission.
En effet, si le Niger en est grand producteur d’uranium, pour l’utiliser dans une centrale nucléaire, il faut d’abord l’extraire et le transformer pour obtenir, suite à un long processus complexe, de l’uranium enrichi. Actuellement, aucun pays africain ne dispose des moyens pour produire cette combustible.
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Cette technologie étant maitrisée par une poignée de pays, les Etats africains qui investiront dans des centrales nucléaires seront dépendants de leurs fournisseurs en combustibles.
En plus, il faudra aussi se charger des déchets nucléaires des centrales. Autant de charges qui viendront alourdir les coûts des centrales tout en créant des dépendances autrement inquiétantes vis-à-vis des fournisseurs des centrales nucléaires.
Par ailleurs, avant d’investir dans le nucléaire, les pays africains doivent aussi mettre à niveau leur réseau électrique. En effet, l’Agence international de l’énergie atomique (AIEA) recommande que la capacité du réseau d’un pays soit environ 10 fois celle de la centrale nucléaire à installer.
Ainsi, pour une centrale nucléaire de 500 MW, il faut que le réseau électrique dispose d’une capacité de 5.000 MW. Quand on connait la qualité des réseaux électriques de presque tous les pays d’Afrique subsaharienne, notamment ceux de l’Ouest, la mise en place des centrales nucléaires nécessitera des investissements colossaux rien que pour les réseau électriques.
En définitif, l’investissement dans le nucléaire nécessitera des sommes colossales aux pays africains qui seraient tentés de se lancer dans cette voie.
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Cela alors que la rentabilité de cet investissement, s’il s’avère exact, l’est moins comparativement à d’autres sources énergétiques, notamment les renouvelables. Ainsi, en se basant sur le cas français, la référence mondiale en matière d’énergie nucléaire, le coût du mégawattheure d’électricité nucléaire reste supérieur à celui des énergies renouvelables.
Selon les données d’une note de la Commission de régulation de l’énergie (CRE) français, rendue publique par un site d’information spécialisés le 18 septembre 2023, le coût de production du mégawattheure d’électricité nucléaire se situe, en 2023, entre 69,9 et 74,8 euros, selon EDF alors que la CRE le situe entre 57 et 60 euros. D’après cette note, cette énergie n’est pas compétitive face aux renouvelables, sachant que le coût du mégawattheure de l’éolien terrestre, toujours en France, se situe entre 30 et 60 euros, tandis que celui du photovoltaïque au sol autour de 35 euros.
C’est dire que si le nucléaire n’est pas compétitif en France, pays qui maitrise excellemment cette énergie, qu’en sera-t-il pour les pays africains?
Enfin, l’autre facteur qui ne milite pas pour le nucléaire en Afrique, notamment au Sahel, est celui de la sécurité et à la sureté des centrales nucléaires.
En effet, les pays africains qui se lancent dans l’énergie nucléaire doivent investir massivement dans la sécurité et la sureté de ces unités, surtout dans un contexte régional marqué par une insécurité croissante dans de nombreux pays africain, comme c’est le cas des pays du Sahel.
Au-delà des craintes légitimes que pourraient faire peser des groupes terroristes qui pullulent dans cette région depuis des décennies, face à des armées dépourvues de moyens, les risques d’accidents de réacteurs peuvent avoir des conséquences désastreuses.
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Autant de facteurs qui poussent les Nations unies à avancer qu’«un programme nucléaire réussi, nécessite un large soutien politique et populaire et un engagement national sur au moins 100 ans». Une période qui couvre le cycle de vie complet d’une centrale: construction, production d’électricité et démantèlement.
Une chose est sure, les dirigeants africains qui ont signé des accords pour la création de centrales nucléaires n’ont pas sollicité l’aval de leur peuple. Pour eux, la question n’est pas le choix du nucléaire qui pose problème mais celui de répondre à une demande croissante d’énergie. Avec une population qui croit rapidement, qui s’urbanise, et des économies en pleine expansion, selon eux, l’énergie nucléaire ne doit pas être négligée par le continent.
Bref, si le nucléaire est une alternative pour la production d’électricité en Afrique, elle doit être la dernière option à être envisagée au niveau de nombreux pays, notamment ceux du Sahel qui ont d’autres sources alternatives moins coûteuses, qui ne créent pas de dépendance et encore moins de problèmes de sécurité et de sureté notables.
Et ce pour plusieurs raisons. D’abord, il y a des sources alternatives, notamment dans le renouvelable, particulièrement le solaire. En effet, au niveau du solaire, les réserves totales d’énergie théoriquement disponibles ont été estimées à près de 60 millions de TWh/an en Afrique, contre 37,5 millions de TWh/an pour l’Asie, Moyen-Orient (hors Egypte) inclus, et seulement 3 millions de TWh/an pour l’Europe. L’Afrique détiendrait ainsi 40% des gisements d’énergie solaire du monde. Malgré ces potentialités, en 2017, la capacité de production de toute l’Afrique totalisait 4,15 GWc (gigawatts-crête) contre 8,5 GWc pour la France!
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A ce titre, plus proche des pays sahéliens et avec un potentiel beaucoup moindre, le Sénégal a fait le pari des énergies renouvelables au cours de ces dernières années. Le pays a axé ses investissements sur des parcs solaires de petites tailles -de 20 à 30 MW- et sur l’éolien avec le plus grand parc de la sous-région. Grâce à de nombreuses centrales solaires de 20 à 30 MW et à une centrale éolienne de 158 MW, le pays dispose d’une capacité de production de 400 MW en énergie renouvelable.Ces investissements ont permis d’améliorer significativement la capacité de production installée, d’éliminer les délestages et de s’approcher d’un taux d’électrification de 80%, soit l’un des plus élevés de l’Afrique de l’Ouest.
Des pays comme le Mali et le Niger ont des potentialités de développement des énergies renouvelables -éolien et surtout solaire- beaucoup plus importantes que le Sénégal et gagneraient à se lancer dans ces sources énergétiques qui présentent de nombreux avantages, comparativement au nucléaire.
D’abord, le coût global de l’investissement dans le solaire est beaucoup moindre, comparativement au nucléaire, surtout avec le photovoltaïque dont le prix a chuté de 80% en moins de dix ans.
Ensuite, les centrales solaires sont plus flexibles avec des capacités qui peuvent être adaptées à une ville ou à une région, comme le fait le Sénégal qui a opté pour des centrales solaires de petites tailles implantées dans différentes régions. Grâce à cette approche, le Sénégal est devenu leader de la région ouest-africaine avec des énergies renouvelables représentant plus de 30% de son mix énergétique en 2022, contre 17% en 2018 et presque 0% en 2010.
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En clair, la source la plus viable pour les pays de la région sahéliennes et ouest-africaines, qui bénéficient d’un ensoleillement durant toute l’année, est le solaire. Une source énergétique à même de répondre aux besoins immédiats et futurs de ces pays et ce d’autant plus que les coûts du photovoltaïque ne cesse de baisser.
En plus, un mix énergie solaire, éolienne et hydroélectrique permettrait aux pays de la région de mieux faire face au problème de stockage de l’électricité que pose certaines centrales solaires.
Outre les énergies renouvelable, les pays africains peuvent aussi faire le pari l’hydroélectrique. C’est le cas de l’Ethiopie qui a misé sur les barrages hydroélectriques pour booster sa production électrique. Avec le Grand barrage de le Renaissance éthiopienne, le pays commence à produire de l’électricité et une fois finalisé, le barrage hydroélectrique devrait permettre une production additionnelle de 6450 MW. Avec les autres barrages hydroélectriques érigés par le pays au cours de ces dernières années, l’Ethiopie arrivera à améliorer sensiblement sa production électrique sans recourir à des investissements colossaux aux conséquences incalculables.
A ce titre, en termes de coût, il faut souligner que le grand barrage éthiopien, le plus grand d’Afrique, devrait coûter environ 5 milliards de dollars pour une capacité électrique installée de 6.450 MW. On est loin des 25 milliards de dollars que l’Egypte doit débourser pour sa centrale de 4.800 MW. On comprend le cas égyptien sachant que le pays ne dispose que d’un seul cours d’eau, le Nil dont les ressources sont aujourd’hui menacées par le barrage éthiopien et les sécheresse, et que le pays compte plus de 110 millions d’habitants.
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Or, contrairement à l’Egypte, le Niger, le Mali et le Burkina Faso sont traversés par d’importants cours d’eau: le fleuve Niger (3e fleuve d’Afrique en longueur après le Nil et le Congo), le Mouhoun -ex-Volta noire-, le Nakambé -ex-Volta Blanche-… et peuvent, en conséquence, mettre en place des barrages hydroélectriques à même de leur fournir suffisamment de l’électricité pour répondre à des besoins loin d’être énormes.
Ces trois pays peuvent s’inspirer de l’exemple réussi des pays de l’Organisation de la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) qui regroupe la Mauritanie, le Mali et le Sénégal qui exploitent en commun le barrage hydroélectrique de Manantali.
Autre exemple, le Kenya, un pays aussi peuplé que les trois pays cités réunis -Niger, Mali et Burkina Faso- a fait passer son taux d’électrification de 12 à 60% en une décennie en misant principalement sur des combustibles non fossiles. Actuellement, plus de 60% de la capacité de production électrique de ce pays vient de l’énergie hydraulique et géothermique.
L’avantage de ces ressources est que les investissements sont moindres, ne génèrent pas de dépendances, en tout cas pas de la même ampleur que le nucléaire, vis-à-vis des fournisseurs, et ne posent pas de problèmes de sécurité et de sureté.
En conclusion, avant de s’engager dans des investissements colossaux qui vont maintenir une certaine dépendance de ces pays vis-à-vis de leur partenaire, le meilleur choix à faire demeure celui des énergies renouvelables, notamment le solaire dont les coûts ne cessent de baisser alors que les rendements augmentent.