Lois de finances en Afrique: quels seront les principaux postes budgétivores en 2024

Le 14/12/2023 à 16h43

Les pays africains ont adopté, ou sont en voie de le faire, un budget 2024 globalement en hausse. Pour de nombreux d’entre eux, notamment subsaharien, la relance économique, les services de la dette et la masse salariale constituent l’essentiel des dépenses prévues.

Les budgets 2024 des pays africains sont battis dans un environnement mondial incertain. Si les baisses des cours du baril de pétrole et des produits agricoles sont notables, l’activité économique mondiale est encore loin de reprendre son dynamisme d’avant Covid-19.

La guerre Russie-Ukraine et les tensions au Moyen-Orient sont autant de facteurs d’incertitudes qui peuvent influer sur l’évolution de l’environnement économique mondiale et d’avoir des impacts négatifs sur les économies africaines déjà fragiles qui souffrent d’une baisse de la demande mondiale, des difficultés d’accès au financement, de la diminution des aides publiques au développement, du durcissement de la politique monétaire…

Dans ces conditions, presque tous les pays africains ont établi des budgets en hausse. Les exigences des relances économiques après trois années difficiles -Covid-19 et la guerre Russie-Ukraine, impliquant une hausse des budgets d’investissement, le poids de plus en plus pesant du service de la dette, l’augmentation des budgets de défense, les subventions pour atténuer les tensions sociales… pèsent sur les dépenses des Etats et donc sur les budgets.

Des pays d’Afrique de l’Ouest et du centre en sont un bel exemple et démontrent l’étroitesse de la marges de manœuvre de ces Etats.

Les neuf missions régaliennes en Côte d’Ivoire

Ainsi, en Afrique de l’Ouest francophone, la Côte d’Ivoire, première puissance économique de l’Uemoa et seconde puissance économique de la Cedeao derrière le Nigeria, se distingue avec un budget de 13.721 milliards FCFA, en hausse de 17,3% par rapport à celui de l’année précédente. Les dépenses budgétaires s’établissent à 8.944,7 milliards FCFA alors que les recettes devraient atteindre 6.569 milliards.

Ce budget est réparti en neuf missions régaliennes: développement des infrastructures et des équipements collectifs (42,5%), santé et actions sociales (13,2%), environnement et cadre de vie (12%), production et développement industriel et commercial (8,7%), défense, sécurité et justice (7,3%)…

Outre l’investissement, la masse salariale est aussi une rubrique budgétivore. La loi de finances se fixe pour objectif un ratio masse salariale/recettes fiscales de 31% en 2024, contre 33,8% en 2023, grâce à une amélioration de la mobilisation des recettes fiscales afin de préserver la stabilité macroéconomique et la création d’un espace budgétaire pour les dépenses sociales essentielles. Ainsi, en 2024, les recettes fiscales devraient augmenter de 884 milliards FCFA. L’objectif est d’augmenter le taux de pression fiscal qui est actuellement de 14,4% du PIB.

Etant un bon élève, la Côte d’Ivoire bénéficie de la confiance du FMI qui a accordé un programme triennal de 3,5 milliards dollars au pays.

Sénégal: continuité ou rupture?

Au Sénégal, seconde puissance économique de l’Uemoa, les députés ont adopté, le 30 novembre dernier, le projet de loi de finances de l’année 2024 d’un montant total de 7.003,6 milliards de FCFA, soit plus de 10,7 milliards d’euros, contre 6411,5 milliards de FCFA en 2023.

Un budget record dans l’histoire du pays alimenté, certainement, par de bonnes perspectives économiques avec le démarrage des exploitations des gisements pétroliers et gaziers à partir du début 2024 et bien évidemment la présidentielle la même année.

Les dépenses du budget général de l’Etat sont évaluées à 5.534 milliards FCFA (en hausse de 11,5%) et des recettes estimées à 4.693,7 milliards, en hausse de 19,8% (+818,8 milliards FCFA). Outre l’élargissement de l’assiette fiscale, le Sénégal va tirer profit des effets des premiers barils de pétrole et des premiers mètres cubes de gaz avec le démarrage des exploitations des gisements gaziers et pétroliers qui vont booster les recettes budgétaires. Ainsi, le déficit budgétaire devrait s’établir à 840,2 milliards FCFA, soit 3,9% du PIB en 2024.

Le budget 2024 devrait notamment pérenniser les acquis du Plan Sénégal Emergent (PSE) en mettant un accent particulier sur le financement de l’agriculture dans l’optique de favoriser une meilleure structuration des filières agropastorales et de développement des chaines de valeur. Toutefois, au Sénégal devant changer de président lors des élections de février prochain, tout dépendra du futur chef d’Etat. Sera-t-il celui de la continuité ou de la rupture?

La masse salariale absorbe 1.273 milliards FCFA, soit 16,12% du budget de l’Etat. A noter aussi que la dette commence à peser lourdement sur le budget. Avec un service de la dette estimé à 1.248 milliards FCFA, soit environ 18% du budget général.

On note que le paiement de la dette du Sénégal, au titre de l’année 2024, est quasi égal à la masse monétaire du pays. Ces deux postes dépassent celui des dépenses d’investissement sur les ressources internes qui s’établissent à 1.134,7 milliards FCFA.

Le volet social est doté d’un budget de soutien aux ménages de 602 milliards FCFA, consacrés à divers secteurs: énergie, santé, éducation et stabilisation des prix.

Au Mali, comme à l’instar de nombreux pays du continent, la masse salariale absorbe l’essentiel des recettes budgétaires. Celles-ci s’établissent, dans le projet de budget de 2024, à 1.055 milliards de francs CFA, soit 51,10% des recettes fiscales et 35,16% du budget général.

Au Mali, l’essentiel est de payer les salaires

Ce qui est colossal et laisse peu de marges de manœuvre à l’Etat. Le plus gros poste budgétaire est celui des dépenses d’investissement en hausse de 4,1% à 1283,19 milliards de francs CFA. Avec cette enveloppe, les autorités souhaitent relancer une économie malienne en crise. Selon le projet de loi de finances, «ces dépenses seront consacrées à la construction d’infrastructures, au développement de secteur productifs et à la promotion de l’agriculture».

A noter aussi que le budget 2024 en faveur du ministère de la Défense et de celui en charge de sécurité se sont inscrits en hausse avec des enveloppes de l’ordre de 472,66 milliards de FCFA et 195 milliards de FCFA, soit un total de 667 milliards de FCFA, représentant 22% du budget général de l’Etat.

Ces budgets s’expliquant par la situation d’insécurité au Mali depuis de nombreuses années et qui implique l’affectation de dépenses relativement conséquentes à la défense et à la sécurité du pays.

Cameroun: le délicat exercice d’équilibriste

Pour le Cameroun, pays d’Afrique centrale et première puissance économique régionale, le projet de loi de finances prévoit un budget qui s’équilibre en dépenses et ressources à 6.740,10 milliards FCFA, en légère hausse de 0,2%. Le budget général d’Etat s’est établi à 6.679,5 milliards FCFA alors que celui du budget des comptes d’affectation spéciale (CAS) ressort à 60,6 milliards.

Les recettes internes et les dons projetés devront s’établir à 5.190,1 milliards FCFA, en hausse de 8,6%, tirées par les recettes fiscales et douanières (3.968,3 milliards) et les recettes pétrolières et gazières (809 milliards).

Du côté des dépenses budgétaires totales, celles-ci devront ressortir à 5.227,3 milliards FCFA, en hausse de 6,3%. Le coût complet du budget d’investissement public est évalué à 1.652 milliards FCFA, soit 31,6% des dépenses budgétaires totales. L’Etat prévoit, entre autres, le bitumage de 600 kilomètres de route, construire plus de 5.000 logements sociaux à Yaoundé et Douala, une centrale à gaz à Limbe…

La masse salariale, 1.428,3 milliards FCFA soit 27,32% des dépenses du budget et 36% des recettes fiscales et douanières, continue de peser sur les ressources du pays et aggraver le déficit budgétaire.

Pour couvrir ce déficit, l’Etat a besoin de 1.577 milliard FCFA. Un montant qui sera levé auprès du marché des capitaux, des banques et des partenaires au développement.

A noter que projet de loi de finances du pays prévoit un taux de croissance de 4,5%, une inflation de 4% et un déficit budgétaire représentant 0,4% du PIB.

Enfin, le Gabon prévoit un budget qui s’équilibre en recettes et en dépenses à 4.162 milliards FCFA, soit 6,3 milliards d’euros, en hausse de 15% par rapport à l’exercice 2023. Les dépenses budgétaires devraient croitre de 8,3% à 2.569 milliards FCFA, les recettes devraient suivre la même courbe pour atteindre 2.730 milliards FCFA. L’essentiel des dépenses concerne l’amortissement de la dette pour un montant de 1.464,1 milliards FCFA dont 836,5 milliards pour la dette extérieure.

Ces cas montrent clairement que les masses salariales et les services de dette des pays africains sont des postes à surveiller. Et pour de nombreux pays africains qui ont recouru à l’endettement au cours de ces dernières années, les factures seront davantage salées les années à venir.

Des situations qui vont impacter les marges de manœuvre des gouvernements dont certains ont d’ailleurs du mal à faire face aux remboursements de leurs dettes vis-à-vis de leurs créanciers publics et privés étrangers. Malheureusement, cette situation ne fait que provoquer la fuite en avant, poussant ces pays à s’endetter davantage à des conditions défavorables les entrainant dans un cercle vicieux d’endettement.

Par Moussa Diop
Le 14/12/2023 à 16h43