Violation de l’accord d’association: pourquoi la Commission de l’Union Européenne lance deux procédures contre l’Algérie

Le 17/07/2025 à 09h23

Dénonçant le non-respect des engagements pris dans le cadre de l’Accord d’association avec l’Algérie, la Commission européenne a lancé une procédure de règlement des différends contre l’Algérie, puis a demandé la création d’un groupe spécial d’arbitrage pour statuer sur les restrictions aux importations et aux investissements décidées par l’Algérie mais jugées contraires aux engagements pris par les deux parties.

Après les dénonciations et les menaces, l’Union européenne a décidé de passer à l’acte en lançant une procédure d’arbitrage contre l’Algérie. En cause, le non-respect par l’Algérie de ses engagements pris dans le cadre de l’Accord d’association qui lie les deux parties.

Ainsi, l’UE a demandé, dans un communiqué publié le lundi 14 juillet, la création d’un groupe d’arbitrage «dans le différend concernant les restrictions commerciales et d’investissement de l’Algérie, qui, selon l’UE, violent l’accord d’association, UE-Algérie». À travers cette décision, l’UE souhaite «rétablir les droits des exportateurs de l’UE et de ses entreprises opérant en Algérie qui sont affectés négativement par les restrictions».

Pour l’UE, «le commerce et l’investissement avec l’Algérie sont devenus de plus en plus difficiles pour les opérateurs économiques de l’UE en raison d’une série de barrières érigées par les autorités algériennes depuis 2021». Ces obstacles visés par Bruxelles, comprennent, «un système de licences d’importation pratiquement équivalent à une interdiction d’importation de certains produits, une interdiction totale d’importation de produits en marbre et en céramique, un plafond sur la propriété étrangère et des exigences de réenregistrement onéreuses pour les entreprises important des marchandises d’Algérie et une politique globale de substitution des importations».

Conséquence, malgré un accord d’association entré en vigueur en 2005, visant à libéraliser les échanges de marchandises avec un démantèlement tarifaire progressif, les importations algériennes en provenance de l’Union européenne ont fortement diminué ces dernières années, passant de 22,3 milliards d’euros en 2015 à seulement 14,9 milliards d’euros en 2023, soit un recul de plus de 33%.

Cette régression en évidence l’impact progressif des restrictions imposées par l’Algérie sur les exportations européennes. En 2023, les exportations algériennes se sont élevées à 35,37 milliards. Alger a donc enregistré un excédent commercial de 20,50 milliards d’euros.

Pour justifier ces mesures restrictives, Alger avance la nécessité de rationaliser ses importations pour protéger sa production nationale. Seulement, cette justification est loin de correspondre à la réalité car un nombre important des produits concernés ne sont pas fabriqués en Algérie et s’ils l’étaient, c’est en quantité insuffisante.

C’est le cas particulièrement de l’automobile dont Alger interdit l’importation alors qu’elle n’en produit presque pas.

En réalité, Alger cherche surtout à réduire, autant que possible, les sorties de devises et préserver ses réserves de change, ne se préoccupant nullement des conséquences négatives de ces restrictions, aussi bien sur son marché intérieur que de ses relations avec ses partenaires commerciaux.

Ensuite, ces restrictions sont utilisées comme une arme politique par le régime qui lèse les entreprises des pays favorables à la proposition d’autonomie sous souveraineté marocaine de ses provinces sahariennes. Les premières à en pâtir sont les entreprises espagnoles et françaises.

Face à cette situation, l’Union européenne qui fait bénéficier l’Algérie d’un traitement de faveur dans le cadre de l’accord d’association, avec des avantages accordés aux produits algériens importés, a lancé une procédure de règlement des différends pour contester ces mesures restrictives, qui, selon elle violent l’accord d’association.

Il s’agit d’un mécanisme prévu dans l’accord d’association et qui s’accompagne d’une demande de consultation avec les autorités algériennes.

A travers cette procédure, l’Union européenne cherche, via le dialogue, à lever les restrictions imposées à plusieurs secteurs allant des produits agricoles aux véhicules à moteur.

Reste à savoir quelle sera la réaction des autorités algériennes. L’enjeu est vital pour Alger sachant que l’Union européenne est son principal partenaire, représentant plus de 50,6% de ses échanges commerciaux en 2023. La situation est d’autant plus corsée qu’Alger exporte essentiellement du gaz et du pétrole vers le marché européen, son principal débouché pour les hydrocarbures. Or, ces ressources représentent plus de 95% de ses recettes d’exportation du pays.

Le renvoi du différend au Conseil d’association UE-Algérie pour consultation n’est que la première étape d’une procédure formelle de règlement des différends. Rappelons qu’en juin 2024, l’UE avait engagé le processus de règlement du différend en demandant des consultations. Toutefois, celles-ci n’avaient pas permis de résoudre les problèmes soulevés par l’UE.

Cette fois, consciente qu’il n’y aura pas d’avancées dans le cadre de cette demande de consultation, l’UE a demandé, le 15 juillet, la création d’un groupe spécial d’arbitrage dans le différend relatif aux restrictions commerciales et d’investissement de l’Algérie.

«L’UE a nommé aujourd’hui son arbitre et l’Algérie devrait en nommer un deuxième dans un délai de deux mois. Le troisième arbitre devrait être nommé par le Conseil d’association, conformément à l’accord d’association. Les trois arbitres statueront ensuite sur la question et leur décision sera contraignante pour les parties», lit-on dans le communiqué de l’UE.

Mais il n’est dit qu’Alger accepte cette procédure, le président Abdelmadjid Tebboune n’ayant cessé de marteler sa volonté de renégocier l’accord d’association avec l’UE. Alger met en avant le «déséquilibre» chronique de la balance commerciale hors hydrocarbures.

Seulement, pour l’UE, toute évaluation doit tenir compte des exportations de pétrole et de gaz algériens vers les pays de l’UE. Par ailleurs, Alger souhaite dresser un état des lieux de l’impact du démantèlement sur les recettes douanières et le budget de l’Etat algérien.

Pour l’UE, si Alger n’a pas su tirer profit de l’accord, c’est à cause de ses retards structurels qui font que son économie soit faiblement diversifiée, comme en atteste la part des hydrocarbures dans ses recettes d’exportation.

Par ailleurs, en ce qui concerne les investissements, si Alger a assoupli la règle 51/49 qui impose au moins que 51% du capital dans tous les projets économiques impliquant des étrangers soient détenus par l’Etat ou les opérateurs algériens, Bruxelles souhaite une clarification de ce qu’Alger considère comme secteurs «stratégiques» toujours soumis à cette règle. Le flou qui entoure ce qualificatif permet à Alger de continuer à appliquer cette règle à chaque fois qu’elle le souhaite.

Mais Alger est cette fois-ci obligée de revoir sa position pour éviter des sanctions de la part de l’UE, son principal partenaire commercial. L’issue de cette procédure pourrait définir les contours des futures relations économiques entre les deux parties.

Une chose est sure, Alger aimerait bien se passer des tensions commerciales avec son principal partenaire au moment où elle s’apprête à faire face, à partir du 1er août prochain, aux surcoûts tarifaires de 30% sur ses exportations à destination des États-Unis.

Par Moussa Diop
Le 17/07/2025 à 09h23