«Nous demandons des services essentiels. A la place, on nous envoie 112 voitures de police. Que sommes-nous, des terroristes? , lâche Najet Messaadi, furieuse. Son neveu de 18 ans, Mohanad Jedaida, est à l’hôpital incapable de parler après avoir été touché à la tête par une grenade lacrymogène pendant l’une des protestations ayant suivi la mort des trois lycéens de 18 à 19 ans, lundi. «Ils rajoutent de la douleur à notre douleur. Nous avons déjà dû enterrer trois jeunes», s’énerve Mme Messaadi.
La mère de Mohanad, Mounira, s’est évanouie en cherchant son fils dans la manifestation. « On nous demande quel est le problème? On ne veut pas une deuxième Révolution, nous voulons juste nos droits », lance-t-elle.
Mezzouna, environ 7.000 habitants, se trouve à 70 km de Sidi Bouzid, où a démarré il y a quinze ans la Révolution tunisienne qui a renversé le dictateur Ben Ali et donné le coup d’envoi du Printemps arabe.
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Pneus brûlés, routes barrées: des dizaines de jeunes ont manifesté leur colère plusieurs nuits de suite à proximité du poste de la Garde nationale.
«Des choses basiques, pas un miracle»
Cela fait des années que les habitants alertaient de risques d’écroulements dans l’unique lycée de la ville. L’accident du 14 avril «ne vient pas de nulle part, il résulte de la mauvaise gestion d’une série de responsables», explique à l’AFP Walid Jed, un activiste local. «Nous demandons des choses basiques, pas un miracle», lance M. Jed, soulignant que les ambulances, parties de Regueb à 30 km de Mezzouna, ont mis beaucoup de temps à arriver.
«Ce retard a aggravé la situation, il a sans doute conduit à la mort de certains jeunes qui auraient pu être sauvés», accuse-t-il. En outre, la famille d’un jeune «n’a pas pu trouver de l’eau pour le lavage (rituel) de son corps avant l’enterrement, ce n’est plus acceptable», dit M. Jed.
L’accès à l’eau est un autre des problèmes criants des régions rurales déshéritées de Tunisie, s’ajoutant à des infrastructures défaillantes (transports, écoles, santé) et à de graves difficultés économiques.
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Le pays, qui manque de ressources, connaît un chômage élevé de 16%, qui grimpe à 25% chez les jeunes diplômés, poussant des générations entières à émigrer légalement ou clandestinement.
A l’aube vendredi, le président Kais Saied a fait une apparition à Mezzouna sur le site des manifestations, alors que beaucoup de protestataires étaient partis dormir. «Jugeant légitimes leurs demandes», il a fustigé sans les identifier des «traîtres» ayant «détruit les transports ou les hôpitaux» du pays. Selon lui, des manifestants violents «ont été envoyés» à Mezzouna pour provoquer la garde nationale.
«Victimes de l’incurie»
Dans la maison de Mohamed Amine Messaadi, 18 ans, mort dans la chute du mur du lycée, une paire de crampons de foot est posée près d’une lampe et d’un petit bureau où s’empilent des manuels scolaires. Des vestiges d’un avenir sans lendemain.
Le jeune Mohamed a quitté Mezzouna à plusieurs reprises pour s’enrôler dans des clubs de football de grandes villes comme Sfax, à une heure et demie de voiture plus à l’est. Mais sa dernière équipe ne l’a pas gardé à l’automne dernier, faute d’argent. «Il était triste de revenir, ce n’était plus la même personne, il a arrêté de prier et parfois il faisait l’école buissonnière», soupire son père, Salem.
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Sa mère, Chafia Fahem, enseigne l’arabe dans le lycée de son fils. «Dans toutes les salles de classe, nous dispensons les cours en ayant peur que les murs nous tombent dessus. On est toujours à un doigt de la catastrophe», dit-elle.
Comme l’immense majorité de Tunisiens, les parents de Mohamed ont tout misé sur l’éducation de leurs enfants. Ils se sentent trahis: «nous sommes des victimes de l’incurie du système éducatif», dit Mme Fahem. Son mari a du mal à accepter la perte de leur fils: «la nuit je me pince pour vérifier que tout cela est vrai et je vais sur Facebook pour voir si les gens en parlent».