Ce rapport, remis au Conseil de sécurité de l'ONU le 7 août, n'est pas encore rendu public. L'AFP en a pris connaissance vendredi, alors que le Mali fait depuis plusieurs mois face à une nouvelle contestation politique majeure.
Une coalition d'opposants, de religieux et de personnalités de la société civile demande depuis juin la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) en l'accusant notamment ainsi que son entourage de corruption et de népotisme. Au moins quatorze Maliens ont été tués en juillet dans des troubles selon l'ONU.
Ce rapport détaille la "méfiance" et la "confusion" créées par l'obstruction par de hauts responsables maliens de l'application de l'accord de paix signé en 2015 entre Bamako et les groupes armés, feuille de route censée résoudre la profonde crise sécuritaire débutée en 2012 avec le soulèvement de groupes armés indépendantistes touareg, puis jihadistes dans le nord du pays.
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Les responsables maliens, qui ont "menacé et retardé" l'application de l'accord, devraient selon les experts être "tenus responsables" par le Comité de sanctions de l'ONU, qui doit se réunir prochainement.
Parmi les personnalités visées, l'ancien chef d'Etat major de l'armée de terre (2019-2020), le général Keba Sangaré, qui est notamment accusé de "prises de décision douteuses" lors du redéploiement programmé d'éléments de l'armée malienne dans le nord du pays fin 2019.
- "Tactiques dilatoires" -
Ce redéploiement progressif de l'armée nationale dans les principales villes du nord du pays doit se faire sous la forme de bataillons mixtes d'une armée dite reconstituée composés à ratio égal des forces armées maliennes, des combattants de l'ex-rébellion et des groupes armés progouvernement.
Certains de ces bataillons mixtes ont fini leur entrainement officiel le 2 septembre 2019, dit le rapport onusien, mais ont reçu leur lieu d'affection par l'état-major "seulement en décembre", retard "largement" imputable à une décision de M. Sangaré selon les experts.
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Entre temps, la plupart des soldats (pour la majorité originaires du nord du Mali, sans famille à Bamako selon l'ONU) "n'ont pas reçu de moyens de transport pour retourner dans leur région d'origine".
Certains ont essayé de rentrer chez eux par leur propres moyens. Mais 20 d'entre eux, voyageant dans un bus public, ont été enlevés par des hommes armés sur la route entre Bamako et Gao début septembre. Ils restaient fin août "disparus", disent les experts de l'ONU.
Ces événements symbolisent à la fois les "erreurs de planification" mais aussi les "tactiques dilatoires du gouvernement" dans l'application de l'accord de paix.
Le général Sangaré est également ciblé pour son rôle lors de l'attaque en février d'Ogossagou, un village peul du centre du Mali déjà attaqué en 2019 (160 morts). L'armée malienne, qui avait été déployée dans Ogossagou après cette première attaque, avait été largement critiquée par les ONG pour avoir quitté les lieux quelques heures avant la seconde attaque, le 14 février 2020.
- Alimenter les "divisions internes" -
M. Sangaré, en sa qualité de Chef d'état-major de l'armée de terre et en charge de la région du centre du Mali, "a été appelé à de nombreuses reprises et a reçu des messages l'informant de la menace, de la préparation et du début" de l'attaque, selon le rapport.
Mais il a "donné une fausse assurance à sa hiérarchie (...) que l'unité ne partirait pas avant l'arrivée de l'unité de remplacement".
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L'unité sur place a quitté Ogossagou en fin d'après-midi, celle de remplacement n'est pas arrivée avant l'attaque durant la nuit, et au moins 35 personnes ont été tuées dans le village sans défense. M. Sangaré a été limogé suite à l'attaque.
Les experts pointent également du doigt les services de renseignement maliens, devenus selon eux "vecteurs" d'une "stratégie non officielle (des autorités) visant à entraver la mise en oeuvre de l'Accord".
Selon le rapport, la Direction générale de la sécurité d'Etat (DGSE) "a incité, encouragé et facilité la fragmentation de la Coordination des mouvements de l'Azawad", la principale alliance signataire de l'accord de paix de groupes armés ex-rebelles, en "finançant" des "individus clés qui ont créé des groupes dissidents" du MNLA, groupe armé membre de la CMA, en 2016.
De plus, la DGSE a "alimenté les divisions internes" au sein de la Plateforme, l'autre alliance de groupes armés signataire de l'accord de paix, dit le rapport.
Le général Moussa Diawara, à la tête de la DGSE, est ciblé par les experts comme étant "personnellement intervenu" dans un détournement lié au processus d'attribution des quotas d'intégration d'anciens combattants ex-rebelles dans l'armée.