Le 18 dernier, la cellule de propagande du gouvernement d'Union nationale libyen publiait sur sa page face une image d'armements présentés comme l'acquisition récente pour contrer l'offensive de Khalifa Haftar. Vraie ou pas, cette information montre combien la situation est en train de se compliquer en Libye. Entre les achats d'armes qui peuvent finir entre les mains de milices puis de djihadistes et les soutiens affichés d'Etats étrangers, la Libye pourrait est devenue pour la seonde fois après la chûte de Khaddhafi une véritable poudrière.
Khalifa Haftar, l'homme fort de la province orientale, est soutenu notamment par les Emirats arabes unis et l'Egypte. A l'inverse, la Turquie et le Qatar lui sont hostiles et appuient les forces loyales au Gouvernement d'union nationale (GNA) de Fayez al-Sarraj, reconnu par la communauté internationale et basé à Tripoli.
Le 4 avril, après avoir gagné des positions dans le sud libyen, Khalifa Haftar a lancé un assaut en direction de Tripoli, avec l'espoir d'une conquête rapide de la capitale. Mais ses troupes se sont heurtées à une résistance plus farouche que prévue des forces pro-GNA, aidées par divers groupes armés de l'Ouest.
Depuis, les positions militaires sont figées aux portes de la capitale, où des combats d'intensité modérée persistent en banlieue sud.
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Dans le même temps, les renforts humains continuent d'arriver des deux côtés, de même que les livraisons d'armes. Celles-ci se font d'habitude discrètes, en raison de l'embargo sur les armes imposé par l'ONU depuis la révolte de 2011 qui a renversé le régime de Mouammar Kadhafi.
Mais les forces du GNA ont brisé un tabou samedi en annonçant avoir reçu des "blindés, des munitions et des armes qualitatives".
Si elles n'ont pas précisé le pays d'origine, elles ont publié des photos de dizaines de blindés turcs BMC Kirpi sur le quai du port de Tripoli.
En consultant les sites de navigation maritime, on peut identifier le navire battant pavillon moldave qui les transportait, parti de Turquie et propriété d'une compagnie turque.
- Soutien "assumé" -
"La Turquie semble assumer totalement" ce soutien, commente Arnaud Delalande, consultant sur les questions de défense et spécialiste de la Libye.
Et "la livraison ce dimanche de blindés de fabrication jordanienne (KADDB Al-Mared 8x8 APC) à l'Armée nationale libyenne (ANL, autoproclamée par Khalifa Haftar) démontre qu'aucune des deux parties n'envisage de céder", ajoute-t-il, évoquant la perspective d'"une guerre d'usure".
Des comptes Facebook pro-Haftar ont publié dimanche des photos et vidéos, non authentifiées, de ces blindés jordaniens prétendument livrés à l'ANL.
Interrogé par l'AFP, une source militaire de l'Est du pays n'a ni confirmé ni démenti cette livraison. Mais les "renforts ne cessent d'affluer", a-t-elle admis.
"Le soutien de la Turquie aux forces affiliées au GNA contribuera à réduire l'écart en matière d'armement entre les deux camps", affirme à l'AFP Wolfram Lacher, chercheur à l'Institut allemand de politique internationale et de sécurité (SWP).
Selon lui, Haftar a dans un premier temps disposé d'un "avantage de taille", avec des dizaines de blindés de fabrication émiratie, qu'il "pourrait maintenant perdre".
La médiatisation du soutien turc pourrait toutefois accélérer la course à l'armement, note l'expert, notamment en incitant les pays pro-Haftar à renforcer leur aide à l'ANL, "voire à intervenir encore plus directement".
- "Davantage de destruction" -
"Cette guerre est en train de devenir une guerre par procuration entre puissances rivales du Moyen-Orient", ajoute-t-il. Et "plus les deux parties recevront des armes de leurs soutiens étrangers, plus la guerre durera longtemps, plus elle sera destructrice et difficile à résoudre", prévient Wolfram Lacher.
Depuis début avril, les combats ont fait plus de 450 morts, 2.000 blessés et près de 70.000 déplacés, selon les agences de l'ONU.
Les appels de la communauté internationale à une trêve et au dialogue ont été ignorés des deux côtés.
Après six semaines de combats aux portes de Tripoli, les lignes de front ont peu bougé.
A ce jour, "les forces aériennes sont équivalentes avec une quinzaine de chasseurs-bombardiers de chaque côté, ainsi que quelques hélicoptères utilisables uniquement de nuit car trop vulnérables aux tirs venant du sol", relève Arnaud Delalande.
Une intensification de l'appui aérien émirati, notamment via les drones Wing Loong, déjà engagés depuis 2016 dans l'Est, pourrait selon lui "faire basculer le rapport de forces".
Des experts de l'ONU enquêtent actuellement sur une possible implication militaire des Emirats dans le conflit en Libye, à la suite de tirs de missiles air-sol de type Blue Arrow en avril avec des drones Wing Loong de fabrication chinoise équipant l'armée émiratie, selon un rapport auquel l'AFP a eu accès.
Dans son dernier rapport en septembre, le groupe d'experts de l'ONU avait noté l'arrivée en Libye d'un "plus grand nombre de véhicules d'infanterie blindés et de pick-ups équipés de mitrailleuses lourdes, de canons sans recul, de mortiers et de lance-roquettes".
L'importation des armes est une constante ces dernières années, remarque Jalal al-Fitouri, analyste libyen. Mais son intensification, et "l'engagement des deux camps dans une guerre d'usure", "ne fera que provoquer davantage de destruction", prédit-il.