Juste avant son départ pour une tournée à l'étranger, le président Emmerson Mnangagwa a lui-même pris la parole samedi soir pour annoncer sa décision, aussitôt vilipendée par l'opposition, les syndicats et les automobilistes.
"A partir de minuit (samedi), le prix du diesel à la pompe est fixé à 3,11 dollars américains le litre et celui de l'essence à 3,31 dollars", a-t-il déclaré à la télévision nationale.
Avant cette hausse, les tarifs étaient de respectivement 1,36 dollar pour le litre diesel et 1,24 dollar le litre d'essence.
Cette mesure vise à remédier à "la pénurie persistante de carburant due à la hausse de la consommation dans l'économie et aux activités illégales liées aux taux de change et au commerce (de pétrole)", a expliqué le chef de l'Etat.
Le Zimbabwe souffre depuis des semaines d'une pénurie de carburant, à l'origine d'interminables queues d'automobilistes devant les stations-service du pays.
Lire aussi : Zimbabwe: la nouvelle monnaie est déjà contestée
Le ministre des Finances Mtuli Ncube a expliqué que les prix du pétrole dans son pays étaient inférieurs à ceux pratiqués dans les Etats alentour. Des étrangers en profitent pour en acheter au Zimbabwe et le revendre à l'étranger, a-t-il dénoncé, d'où les récentes pénuries dans le pays.
Cette situation s'explique par la dépréciation du "bond note" zimbabwéen, une sorte de monnaie sous forme d'obligation introduite en 2016 pour pallier la fuite des dollars américains.
Ca ne changera rien
A l'origine identique à celle du billet vert, la valeur du "bond note" a très vite reculé, faute de la confiance des opérateurs économiques. Au marché noir, il s'échange actuellement à un taux d'environ trois pour un dollar.
Samedi, le ministre des Finances a confirmé que son pays comptait réintroduire d'ici à la fin de l'année, sa propre monnaie, le dollar zimbabwéen, afin de remédier à la situation.
Lire aussi : Zimbabwe: une année après la chute de Mugabe, les zimbabwéens désenchantés
La hausse des prix des carburants vise donc à aligner leur prix officiel sur ceux du marché noir, afin de dissuader toute spéculation et de mettre un terme aux pénuries.
Dimanche matin, les automobilistes d'Harare ont accueilli la hausse avec circonspection.
"La hausse des prix ne changera rien", a rouspété Chassen Mugogo, coincé depuis deux nuits dans une file de véhicules pour faire son plein. "Les prix du marché parallèle vont eux aussi grimper, c'est le chien qui se mord la queue".
Mnangagwa a annoncé que les entreprises du pays bénéficieraient d'un prochain "rabais" sur les prix.
Mais, sans surprise, sa mesure a été vivement contestée. "Toute #haussedesprixdupétrole est dangereuse à cause de son effet multiplicateur sur l'ensemble de l'économie", a tweeté l'ex-ministre des Finances Tendai Biti.
"Le gouvernement a officiellement dévoilé son idéologie anti-travailleurs, anti-pauvres et anti-peuple", s'est insurgée sur Twitter la Confédération des syndicats du Zimbabwe (ZCTU). "Nous allons nous mobiliser et nous battre pour notre survie".
Menaces
Le vice-ministre de l'Information, le bien-nommé Energy Mutodi, a tenté de minimiser l'impact de la décision gouvernementale.
Lire aussi : Zimbabwe: des voleurs dérobent une valise de cash appartenant à l'ex-président Mugabe
"Les Zimbabwéens doivent se préparer à une hausse des prix des produits de base à cause du choc", a-t-il tweeté, mais "cette volatilité sera temporaire, les prix se normaliseront ensuite".
L'économie zimbabwéenne est sortie exsangue des trente-sept ans du règne autoritaire de Robert Mugabe, contraint à la démission fin 2017. Le chômage y frappe plus de 90% de la population active et l'Etat peine chaque mois à payer ses fonctionnaires faute de liquidités.
Son successeur Emmerson Mnangagwa a promis de relancer la machine, en vain jusque-là.
Victimes de l'inflation, de la dépréciation des "bond notes" et des pénuries, les médecins et les enseignants se sont mis en grève ces dernières semaines, notamment pour exiger le paiement de leurs salaires en dollars américains.
Samedi soir, le président a promis un "paquet de mesures" pour les fonctionnaires, qui menacent à leur tour de faire grève.
Dans ce climat social très tendu, Mnangagwa a mis en garde "ceux qui tentent de profiter des pénuries de pétrole pour causer des troubles et l'instabilité dans le pays".
Porte-drapeau des manifestations sévèrement réprimées de 2016, le pasteur Evan Mawarire ne l'a pas entendu. "Vous ne nous laissez pas le choix", lui a-t-il répondu, "il est l'heure de mobiliser tous ceux qui aiment vraiment le Zimbabwe".