Nigéria: quand la presse se nourrit d’horreurs

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Le 23/09/2016 à 17h15

Il ne se passe pas un seul jour sans que la presse nigériane ne relate de sordides faits divers. Les journaux les plus sérieux semblent en faire leurs choux gras. Tantôt c'est un jeune enfant décapité qui trône à la une des journaux, tantôt c'est un tueur à gage qui se trompe de cible.

Kiosque Le360 Afrique. Le reporter de Radio France Internationale (RFI) a dû être sidéré par l’horreur diffusée quotidiennement dans le pays des Yoruba, Ibo, Bénin et Haoussa. "Il faut avoir le cœur bien accroché pour lire la presse nigériane". Le ton est donné et il commence par The Punch, quotidien lu par plusieurs millions de personnes sur internet, mais également grâce à sa version imprimée tirée à 200.000 exemplaires. Aujourd’hui justement, trône à la une, la photo d’un jeune homme qui vient d’être arrêtée. A ses côtés, la tête d’une jeune fille, sa nièce qu’il vient de décapiter. L’auteur de ce crime l'a avoué selon la police, même si de telles déclarations sont soumises à caution. Des prêtres de pratiques occultes lui auraient dit "qu’il pourrait devenir riche en sacrifiant la jeune fille". Répugnant fait divers.

Pourtant, note RFI, The Punch est ce qu’il y a de plus sérieux. La moindre information est recoupée. Les reporters sont envoyés aux quatre coins de l’immenses pays : à Lagos, bien sûr, mais aussi à Port Harcourt, Ibadan, Abuja, Kano. Sauf que l’absence de censure quand il s’agit de traiter les horreurs choque le lecteur de culture latine. Ici, on n’est pas très loin des tabloïdes anglais : "les coupables des pires exactions et leurs victimes sont pris en photo", souligne la chaîne de radio.

Moins c'est ragoûtant, mieux ça vend

Dans un pays où la presse est considérée comme l’une des plus corrompues au monde, les lecteurs ont tendance à tout remettre en question. Cependant, ceux de The Punch, payés régulièrement sont considéré plus intègres que la plupart de leurs confrères, dont certains ne perçoivent un salaire qu’un mois sur deux. Le quotidien laisse un numéro à joindre avec cet avertissement dans sa quatrième de couverture : "Si nos journalistes acceptent ou réclament des pots-de-vin, appelez-nous".

C’est une presse qui se nourrit de l’horreur. Et il faut que les croyances locales leur facilitent la tâche. Malgré la modernité apparente du Nigéria, les sacrifices humains y sont monnaie courante. Les croyants aux cultes vaudou ou yoruba croient dure comme fer que de tels sacrifices permettent de devenir riche. "Il s’agit de voler la destinée de quelqu’un, donc autant tuer un enfant qu’un vieillard", affirme Ola Fatunde, un universitaire interrogé dans le reportage. 

Mon père est un sorcier

Quand ce n'est pas un meurtre rituel, c'est un autre fait divers aux sombres motivations qui revient à la une. The Punch n'a d'ailleurs pas le monopole de l'horreur. Il y a quelques jours, c'est une femme qui venait de poignarder son propre père qu'elle a accusé d'être un sorcier. Elle perdait tous ses enfants et ne parvenait pas à garder un mari bien longtemps. Une autre fois, c'est un pêtre qui avait maintenu prisonnier, avec de lourdes chaînes, son propre enfant pendant un mois, parce qu'il lui volait de la nourriture. Alors, le prêtre voulait lui donner une leçon. 

Des tueurs à gages à 100 euros

Quand on ne veut pas se salir les mains, on fait appel à un tueur à gage pour 40.000 nairas (environ 100 euros) à Lagos et 30.000 dans le nord du Nigéria. Toujours d'après le reporter, tout ceci figure à la une des journaux et les articles sont rédigés avec force détails. Mais, à propos des tueurs à gage, autant bien les choisir, prévient The Punch, car "ils sont mal formés et peuvent se tromper de cible". C'est arrivé au Nord du Nigeria où un père a été tué à la place de son fils. Le meurtre a été commandité par la belle-famille qui a découvert le pot-aux-roses et a bien regretté ses 30.000 nairas. Du coup, le cisaire a posé plus de problèmes qu'il n'en a résolus. 

Par Mar Bassine Ndiaye
Le 23/09/2016 à 17h15