Afrique du sud: Marikana, ancien fief incontesté de l’ANC, se tourne vers l’EFF radical de Julius Malema

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Le 28/07/2016 à 10h21

Marikana, théâtre il y a 4 ans de la tragédie la plus sanglante de l'Afrique du sud postapartheid, offre, avec son lot de frustrations face aux promesses non-tenues, l’exemple le plus éloquent de cette Afrique du sud nouvelle, où la désaffection caractérise la relation entre les votants et l'ANC.

Dans les bidonvilles s’étendant à perte de vue dans cette localité située à environ 140 km à nord-ouest de Johannesburg, un seul discours ponctue les discussions: la colère face à l’échec de l’ANC de traduire en réalité ses promesses d’améliorer les conditions de vie de la population.

Cette colère prend une dimension particulière, sachant que cette localité ouvrière construite autour des plus importantes mines de platine au monde, a été en 2012 le théâtre d’un véritable carnage.

Pas moins de 44 mineurs en grève ont trouvé alors la mort, dont 34 abattus par la police. Il s’agit de l’événement le plus sanglant depuis la fin de l’apartheid en 1994 à tel point que de nombreux habitants de Marikana l’ont vécu comme une trahison de la part du gouvernement de l’ANC.

L’actuel vice-président Cyril Ramaphosa était à l’époque membre du conseil d’administration de la compagnie Lonmin, qui employait les ouvriers tués.

Quatre ans après le massacre, la colère, toujours palpable, est en passe de s’exprimer à travers un vote sanction contre l’ANC lors des communales de la semaine prochaine.

Ce vote sera un sérieux test pour la formation au pouvoir, qui fait face à une opposition dont les arguments gagnent en force et en crédibilité sur fond d’une crise économique suffocante qui plombe le pays depuis 2015 et des scandales dans lesquels le chef de l’ANC et président de la république, Jacob Zuma, se trouve embourbé.

Les sondages réalisés jusque-là prédisent une défaite de l’ANC dans au moins trois des plus grandes et plus influentes métropoles du pays (Johannesburg, Pretoria et Nelson Mandela Bay).

S’ils se confirment, ces revers pourraient porter une sérieuse atteinte à un parti habitué à des victoires faciles dans toutes les élections tenues en Afrique du sud depuis la libération du joug du régime de la ségrégation raciale il y a un peu plus de 20 ans.

Il s’agit d’un tournant important pour l’ANC et pour le pays arc-en-ciel d’autant plus que ce scrutin intervient deux ans avant les élections présidentielles.

Les observateurs de la scène politique sud-africaine soulignent que la situation à Marikana illustre parfaitement l’affaiblissement de l’influence de l’ANC. «Nous voulons de l’eau potable, de l’électricité et des logements salubres. Depuis 1994, rien n’a changé dans cette localité», indique Sibusisso, un résident de Marikana.

Les habitants de cette localité déplorent en particulier les promesses non tenues du gouvernement, qui s’était engagé, au lendemain du massacre de 2012, de mettre en œuvre un programme d’urgence pour le développement économique et social de cette zone. «Marikana est le témoin par excellence des échecs de l’ANC», indique Gary Van Staden, analyste politique au cabinet NKC African Economics.

L’aggravation de la situation économique et sociale dans cette localité est une aubaine pour l’Economic Freedom Fighters (EFF), une formation radicale conduite par Julius Malema, ancien président de la jeunesse de l’ANC. «Le massacre de 2012 et l’aggravation de notre situation sont le résultat de la politique de l’ANC», lance Sibusisso, qui affirme qu’une grande partie des votants dans sa localité s’aligne sur les positions de l’EFF.

Lors des élections communales de 2011, l’ANC a remporté 92% des voix à Marikana. Ce pourcentage a été réduit à seulement 38% lors des élections législatives de 2014, soit deux ans après le massacre. Lors de ce dernier scrutin, l’EFF a remporté 25% des voix.

Par ailleurs, le géant bidonville de Marikana est souvent cité comme exemple des profonds déficits socio-économiques qui plombent ces établissements humains informels.

Une récente étude réalisée par le ministère sud-africain de la gouvernance coopérative et affaires traditionnelles, qui supervise les autorités locales, a montré que près de 30% des bidonvilles du pays souffrent d’un dysfonctionnement alarmant, avec un déficit chronique en matière d’infrastructures et de services de base. Cette situation a conduit à une série de soulèvements souvent violents.

«Il s’agit d’un cycle vicieux de mauvaise gestion de la chose locale, sous-tendue par une corruption rampante», indique Karen Heese, de Municipal HQ, une organisation spécialisée dans la recherche en matière de gouvernance locale.

Lors d’un récent déplacement à Marikana, le chef de l’EFF, Julius Malema, a fait le parallélisme entre la situation actuelle de cette localité et celle de l’Afrique du sud sous l’apartheid.

«Vous ne pouvez pas continuer de voter pour des gens qui ont tué vos proches. L’actuel gouvernement doit être sanctionné de la même manière que le régime de l’apartheid», a dit Malema, dont le discours semble trouvé un écho favorable parmi les 160 000 habitants de ce grand bidonville.

Par Le360 Afrique (avec MAP)
Le 28/07/2016 à 10h21