Génocide: des Namibiens rejettent un accord "irrespectueux" avec l'Allemagne

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Le 03/06/2021 à 10h14, mis à jour le 03/06/2021 à 10h14

"Une gifle". Descendant de victimes des massacres perpétrés contre les peuples Herero et Nama en Namibie sous l'ère coloniale, reconnus la semaine dernière par l'Allemagne comme "génocide", Salomo Hei rejette l'accord de "réconciliation" conclu entre Berlin et Windhoek.

Après plus de cinq ans d'âpres négociations, l'Allemagne a reconnu "un génocide" sur le territoire d'Afrique australe colonisé entre 1884 et 1915, et versera à la Namibie plus d'un milliard d'euros d'aides au développement sur 30 ans.

Un "pas dans la bonne direction", selon le gouvernement namibien mais un accord rejeté par de nombreux Namibiens et "géré de manière très maladroite", estime auprès de l'AFP Salomo Hei, qui vit dans la capitale. "Il n'y a eu aucun égard pour les vies humaines perdues".

Les représentants des Herero et Nama dénoncent aussi les termes de l'accord, affirmant ne pas avoir été invités à la table des négociations.

"Nous avons appris l'annonce par la radio et les journaux", raconte Esther Muinjangue, ancienne directrice de la Fondation pour le génocide des Herero. Aujourd'hui vice-ministre de la Santé, elle reproche notamment à l'Allemagne de ne pas indemniser directement les familles des descendants.

Les colons allemands ont tué des dizaines de milliers de Herero et de Nama lors de massacres entre 1904 et 1908, considérés par de nombreux historiens comme le premier génocide du XXe siècle.

En août 1904, les troupes impériales pourchassent quelque 80.000 Herero dans le désert du Kalahari, violant les femmes et massacrant les prisonniers.

Quelques mois plus tard, le général allemand Lothar von Trotha ordonne leur extermination: au moins 60.000 Herero et 10.000 Nama sont tués en quatre ans. Des milliers d'autres sont envoyés dans des camps de concentration.

Ces crimes commis sous la colonisation empoisonnent depuis longtemps les relations entre les deux pays.

La Namibie exigeait des excuses officielles et des réparations mais l'Allemagne s'y est opposée à plusieurs reprises, invoquant les millions d'euros d'aide au développement versés à la Namibie depuis son indépendance en 1990.

Les descendants des victimes réclament que l'Allemagne soit reconnue responsable d'avoir décimé les deux peuples, mais aussi de les avoir privés de leurs moyens de subsistance.

"Lorsque je rentre dans mon village, je traverse des hectares de fermes qui autrefois appartenaient aux Herero", raconte Salomo Hei, soulignant les "disparités de revenus" persistantes entre les Nama, les Herero et les autres Namibiens.

Pour la militante Nama Sima Goeieman, cet accord est "irrespectueux" et "retourne un peu plus le couteau" dans la plaie. "Est-ce que 1,1 milliard d'aide au développement est une façon de montrer des remords?", interroge-t-elle.

"A bon compte"

Esther Muinjangue, dont le grand-père est issu d'un viol par un soldat allemand, s'interroge sur ce montant: "Comment ont-ils quantifié les pertes en vies humaines?".

Un "montant insultant", ont estimé lundi les représentants Herero et Nama, qui ont appelé le gouvernement namibien à renégocier l'accord présenté au Parlement la semaine prochaine.

Les deux communautés ont clamé leur désaccord dans les rues de Windhoek. Agitant des pancartes "Vendus!", "Laissez-nous tranquilles", ils ont manifesté dès l'annonce d'un accord entre les deux Etats.

Dénonçant le manque de transparence autour des négociations, ils ont accusé Berlin de faire pression sur un gouvernement namibien en manque d'argent.

Selon eux, l'Allemagne tente de se soustraire à toutes "réparations" qui soumettraient Berlin à certaines obligations financières, en vertu du droit international.

"C'est ce qui rend beaucoup de gens furieux", souligne John Nakuta, professeur de droit namibien. "L'Allemagne s'en tire à bon compte".

Berlin fait un effort pour tourner la page du génocide, reconnaît le chercheur au Nordic Africa Institute, Henning Melber. Et "l'accord marque des avancées dans un débat qui aurait dû avoir lieu depuis longtemps" sur la justice post-coloniale, souligne-t-il.

"Il faudrait s'en réjouir sauf que c'est fait d'une manière qui suscite tant de frustrations". Finalement, estime-t-il, "c'est trop peu, trop tard".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 03/06/2021 à 10h14, mis à jour le 03/06/2021 à 10h14