Le coeur de la mobilisation, qui réclame un gouvernement civil dans un pays sous la férule de l'armée quasiment en continu depuis 65 ans, a désormais un bastion: Khartoum-Nord, banlieue reliée à la capitale Khartoum par un pont sur le Nil.
Là, mercredi, au moins 11 des 15 manifestants tués au cours de la journée la plus sanglante depuis le coup d'Etat du 25 octobre sont tombés sous les balles des forces de sécurité qui visaient, selon un syndicat de médecins prodémocratie, "la tête, le cou ou le torse".
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Alors qu'ailleurs dans la capitale, et à travers le Soudan, les défilés se sont dispersés avant la nuit, à Khartoum-Nord, les anti-putsch continuent de défendre leurs barricades jeudi en début d'après-midi: aux grenades lacrymogènes, ils répondent par des jets de pierres.
La violence semble être cependant descendue d'un cran après une journée macabre dans un pays totalement coupé du monde, sans internet ni même téléphone.
Jeudi, les téléphones marchaient de nouveau, mais internet était toujours coupé par l'armée.
Alors que lors des précédentes grandes manifestations, de nombreuses capitales ont mis en garde les généraux, cette fois-ci, et malgré un nombre record de morts depuis le coup d'Etat, les réactions ont été rares.
- "Manifester pacifiquement" -
La vice-secrétaire d'Etat américaine pour les Affaires africaines Molly Phee, qui venait de quitter Khartoum, a condamné "la violence contre des manifestants pacifiques", tandis que le Togolais Clément Voule, rapporteur de l'ONU pour la liberté d'association, a appelé "la communauté internationale à faire pression sur le Soudan pour faire cesser immédiatement la répression".
Mais la chape de plomb a déjà changé la donne: tandis que les manifestants étaient des dizaines de milliers le 30 octobre et le 13 novembre, seuls des milliers ont défilé mercredi.
Et jeudi, les appels à la "désobéissance civile" n'ont rencontré aucun écho dans la rue où la circulation avait repris normalement.
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La veille, les forces de sécurité avaient bloqué les ponts de la capitale et les avenues qu'empruntent traditionnellement les manifestants --en 2019 pour dire non au dictateur Omar el-Béchir et désormais au général Abdel Fattah al-Burhane, auteur du putsch.
Mercredi, Soha, une manifestante de 42 ans, avait décrit une "répression féroce".
Alors que plus de 250 manifestants avaient été tués lors de la révolte ayant mis fin à 30 ans de dictature Béchir, l'Association des professionnels soudanais --un des fers de lance du soulèvement de l'époque--, a dénoncé un nouveau "massacre" qui ne fait que "conforter les slogans" scandés depuis le 25 octobre: "ni négociations, ni partenariat, ni compromis" avec l'armée.
"Nous continuerons à manifester pacifiquement jusqu'à la chute des putschistes", renchérit le parti Oumma, le plus grand du pays, alors que militants, journalistes ou simples passants ont été arrêtés par centaines.
Mercredi soir, le syndicat des médecins accusaient les forces de sécurité de pourchasser les opposants au putsch jusque dans les hôpitaux et de tirer des grenades lacrymogènes sur blessés et ambulances.
- Navette américaine -
Assurant n'avoir jamais ouvert le feu, la police, elle, ne recense qu'un seul mort et 30 blessés parmi les manifestants à Khartoum-Nord du fait du gaz lacrymogène, contre 89 policiers blessés.
Le 25 octobre, le général Burhane a rebattu les cartes d'une transition chancelante depuis des mois. Il a fait rafler la quasi-totalité des civils au sein du pouvoir et mis un point final à l'union sacrée formée en 2019 par civils et militaires.
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En début de semaine, Mme Phee a fait la navette entre le Premier ministre Abdallah Hamdok en résidence surveillée et le général Burhane.
Car, a annoncé secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, le monde pourra soutenir de nouveau le Soudan si "l'armée remet le train (de la transition) sur les rails".
Mais le général Burhane semble inflexible: il s'est récemment renommé à la tête de la plus haute des institutions intérimaires, le Conseil de souveraineté, en en écartant les quatre membres partisans d'un pouvoir entièrement civil.
Parallèlement, la rumeur donne chaque jour de nouveaux noms pour remplacer M. Hamdok mais à chaque fois, ces personnalités --toutes apolitiques-- annoncent avoir refusé.