Cette force baptisée Mission africaine de transition en Somalie (Atmis), approuvée jeudi par le Conseil de sécurité de l'ONU, se base sur le contingent actuel de l'Amisom, soit environ 19.000 militaires et un millier de policiers issus de pays africains (Ouganda, Kenya, Ethiopie, Burundi...)
Pourquoi remplacer l'Amisom?
Créée en 2007 par l'Union africaine (UA), l'Amisom a eu pour principale tâche de soutenir le gouvernement somalien face à l'insurrection des shebab, islamistes radicaux liés à Al-Qaïda.
Elle les a chassés des principales villes, dont la capitale Mogadiscio en 2011, permettant l'installation d'un gouvernement et d'institutions fédérales ainsi que la tenue de deux cycles d'élections (2012, 2017).
"L'Amisom a contribué à sécuriser et créer un environnement propice à la vie politique et à l'activité économique", estime Samira Gaid, directrice exécutive de l'institut somalien Hiraal spécialisé sur les questions de sécurité.
Mais depuis 2014, "on l'a surtout vue sur la défensive, tenir ses positions", regrette-t-elle: "Il y avait une occasion en 2014-2015 de poursuivre l'offensive et de prendre le dessus sur les shebab (...) Cette occasion n'a pas été saisie."
Ce revirement, au motif qu'elle manquait du soutien de forces somaliennes peu opérationnelles, a laissé de vastes territoires ruraux aux mains des shebab, qui continuent de mener des attentats.
Les shebab considèrent l'Amisom - dont d'importants contingents viennent de pays majoritairement chrétiens (Ouganda, Kenya, Burundi) - comme des "Croisés" occupant des terres musulmanes.
Dans la population somalienne, cette force étrangère suscite également une certaine défiance, notamment après avoir été accusée d'abus sexuels, de meurtres de civils et de divers trafics.
Le gouvernement estime par ailleurs que certains voisins - le Kenya notamment - l'utilisent pour s'immiscer dans ses affaires. Mogadiscio n'a jamais caché son souhait de récupérer au plus vite les prérogatives de sécurité sur son sol.
Mais l'Amisom reste indispensable pour sécuriser des sites et axes stratégiques du pays.
"L'Amisom était embourbée dans un statu quo (...) mais la retirer signifierait revenir en arrière sur les progrès réalisés", explique Omar Mahmood, analyste à l'International Crisis Group.
- Quels changements avec l'Atmis?
Le mandat de l'Atmis affiche une doctrine plus offensive et fixe l'échéance de fin 2024 pour céder la responsabilité de la sécurité du pays à l'armée et à la police somaliennes.
Son calendrier se découpe en quatre phases, jalonnées d'opérations "conjointes" contre les shebab et de retraits progressifs de troupes de l'Atmis à partir de décembre 2022.
"Nous avons vu ces calendriers maintes et maintes fois", relève M. Mahmood, en soulignant que "ces échéances sont soumises aux conditions sur le terrain, comme c'est le cas depuis des années".
Or, ces conditions rarement remplies ont fait que la mission de l'Amisom, initialement prévue pour six mois, a duré quinze ans.
Avec Atmis, "il n'y a pas de grand changement", abonde Mme Gaid. "Il y a le mot "transition+ qui donne l'espoir (...) aux financeurs (l'UE principalement, NDLR) qu'ils arrivent au bout de cette mission coûteuse, ça donne également l'espoir à la partie somalienne que l'Amisom touche à sa fin", résume-t-elle.
Il faut, selon elle, se concentrer prioritairement sur la formation, l'équipement et les infrastructures des forces somaliennes.
- Quelles chances de réussite?
Aucun progrès sécuritaire ne sera possible tant que le pays ne sortira pas de son impasse politique actuelle.
Le pays attend depuis plus d'un an une élection présidentielle. Le mandat du président Mohamed Abdullahi Mohamed, dit Farmajo, est arrivé à échéance en février 2021 sans qu'il soit parvenu à organiser un scrutin. Depuis, le processus avance péniblement, retardé par des conflits au sommet de l'exécutif et entre le gouvernement central et certains Etats fédéraux.
Pour les experts interrogés par l'AFP, les échéances fixées pour Atmis paraissent optimistes, étant donné l'incertitude autour de l'élection présidentielle, tant sur sa date que sur son issue.
Pour Omar Mahmood, quel qu'en soit le résultat, il faudra un long "travail de réconciliation" après un processus électoral "incroyablement clivant": "Une réconciliation est un prérequis pour pouvoir mettre en oeuvre durablement une dynamique sécuritaire."
Selon ces experts, il est également crucial d'arriver à une collaboration - aujourd'hui inexistante - entre le gouvernement et les Etats fédéraux, appelés à être un rouage important d'une sécurisation du territoire 100% somalienne.
Mais pour arriver à une telle transition, il faudra "au mieux cinq ans, peut-être dix", estime Samira Gaid.