Vendredi à Tobrouk, dans l'extrême est du pays, des manifestants ont forcé l'entrée du parlement à l'aide d'un bulldozer avant d'y mettre le feu.
Les manifestants, dont certains ont brandi le drapeau vert de l'ancien régime de Mouammar Kadhafi, ont crié leur colère contre l'incurie de leurs dirigeants et la détérioration des conditions de vie dans un pays pourtant doté des réserves pétrolières les plus abondantes d'Afrique.
Le Parlement est l'un des symboles de la division de la Libye entre un camp basé en Cyrénaïque (Est), dont le chef de file est le maréchal Khalifa Haftar, et un gouvernement basé à Tripoli (ouest), dirigé depuis 2021 par Abdelhamid Dbeibah.
Le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a appelé «tous les acteurs à s'abstenir de toute action qui pourrait nuire à la stabilité» et les a exhortés «à se rassembler pour surmonter l'impasse politique persistante», a rapporté le porte-parole de l'ONU Stéphane Dujarric dans un communiqué.
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Des pourparlers menés sous l'égide de l'ONU ont échoué cette semaine à résoudre les divergences entre les institutions libyennes rivales.
Le camp Haftar appuie un gouvernement rival formé en mars dernier. Ses partisans bloquent depuis mi-avril des installations pétrolières clefs comme moyen de pression pour déloger l'exécutif de Tripoli.
Samedi en soirée, l'autoproclamée Armée nationale libyenne (ANL) du maréchal Haftar a affirmé dans un communiqué «soutenir les revendications de citoyens», tout en appelant les manifestants à «préserver les biens publics».
«Il est clair qu'aucune entité politique ne jouit d'un contrôle légitime sur l'ensemble du pays et tout effort visant à imposer une solution unilatérale se traduira par la violence», a pour sa part estimé l'ambassadeur des Etats-Unis à Tripoli, Richard Norland.
Il a exhorté «les dirigeants libyens et leurs soutiens étrangers à restaurer la confiance des citoyens dans l'avenir du pays».
"Extrêmement pénible"
Samedi, des manifestants ont bloqué des routes dans la cité portuaire de Misrata (ouest), après avoir saccagé et incendié la veille le siège du Conseil municipal, selon un journaliste local.
La nuit tombée, des manifestants se sont rassemblés à plusieurs points de Tripoli, fermant des routes et brûlant des pneus, selon des images diffusées par la presse locale.
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La veille, des milliers de personnes ont battu le pavé à travers le pays, de Benghazi (est) à Tripoli, en passant par les villes orientales de Tobrouk et al-Baïda, ainsi qu'à Sebha dans le sud désertique.
«Nous voulons avoir de la lumière», ont scandé les manifestants, en référence aux coupures d'électricité qui durent une douzaine d'heures quotidiennement, voire 18 heures les jours de forte chaleur.
«Depuis plus d'un an, l'écrasante majorité des efforts de diplomatie et de médiation concernant la Libye ont été monopolisés par la notion d'élections, lesquelles n'auront pas lieu avant au moins deux ans, vu l'échec des négociations de Genève jeudi sous les auspices de l'ONU», a expliqué à l'AFP l'analyste Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye.
Or, l'économie «aurait sans doute dû être la véritable priorité absolue de tous», a-t-il estimé. «Sur ce front, l'année 2022 a été extrêmement pénible pour les Libyens, pour plusieurs raisons: la Libye importe presque toute sa nourriture et la guerre en Ukraine a affecté les prix à la consommation, comme dans beaucoup de pays de la région.»
"Inacceptable"
Le secteur névralgique de l'énergie, qui du temps de Kadhafi, tué durant la révolte populaire de 2011, permettait de financer un Etat providence, est depuis mi-avril une victime collatérale des divisions politiques, avec une vague de fermetures forcées de sites pétroliers, conséquence d'un bras de fer entre les deux gouvernements rivaux.
La Compagnie nationale de pétrole (NOC) a affirmé jeudi que les blocus pétroliers entraînaient aussi une baisse de la production de gaz nécessaire à l'approvisionnement du réseau électrique.
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Depuis la chute de Kadhafi, la Libye a connu une dizaine de gouvernements, plusieurs guerres entre forces rivales et n'est jamais parvenue à organiser une élection présidentielle.
Outre les coupures de courant, les Libyens vivent au rythme des pénuries de liquidités et d'essence. Les infrastructures sont à plat, les services défaillants.
A l'Est comme à l'Ouest, des milices mènent «d'immenses trafics qui provoquent des pénuries graves d'essence pour la population ordinaire. Enfin, il y a la kleptocratie, la corruption systématique à l'Est comme à l'Ouest que les belles voitures et villas des élites rappellent constamment au grand public», a souligné Harchaoui.
Pour l'ambassadeur de l'Union européenne en Libye, José Sabadell, les manifestations «confirment que les gens veulent du changement à travers des élections et leur voix doit être entendue».