Burkina Faso: nouvelle jeunesse pour la coopération avec la Russie

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Le 07/10/2022 à 08h59, mis à jour le 07/10/2022 à 09h07

A l'étage d'un bâtiment du grand marché de Ouagadougou, au Burkina Faso théâtre d'un putsch vendredi, le tailleur Alassane a repris son activité des jours normaux après un week-end chargé durant lequel il n'a "cousu que des drapeaux russes" devenus très prisés.

"C'était des grosses commandes d'un coup, mais maintenant on reprend l'activité classique", dit-il devant sa machine à coudre.

Les manifestations se sont multipliées au lendemain du coup d'Etat vendredi qui a porté le capitaine Ibrahim Traoré au pouvoir, destituant le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, lui-même auteur d'un putsch huit mois plus tôt.

Des milliers de manifestants ont battu le pavé, armés de ces drapeaux russes commandés à la hâte aux tailleurs locaux. Des bâtiments français ont été pris à parti.

Ils ont, à coups de slogans anti-France et pro-Russie, mis au centre du coup d'Etat la question de la lutte d'influence entre l'ancien colon et la Russie.

Dans plusieurs pays d'Afrique francophone, Moscou jouit d'un soutien populaire grandissant. L'influence russe s'accroit au fil du renforcement de la coopération militaire et de nombreux pays africains se sont abstenus à l'ONU de condamner l'invasion de l'Ukraine par la Russie.

Au Mali, le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, a ardemment relancé la relation.

Du matériel aérien et terrestre a été livré, et des Russes - instructeurs selon Bamako, mercenaires selon les pays occidentaux - évoluent désormais aux côtés des soldats maliens.

La coopération au Burkina Faso, qui possède plusieurs mines d'or, a certes été relancée ces dernières années - accord de coopération militaire signée en 2018, délégation russe reçue en 2022, rencontre entre Damiba et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov en septembre à New York - mais la mobilisation pro-russe du week-end a surpris.

Moscou "à l'aise"

Faut-il y voir la main de Moscou soucieuse de profiter d'un changement de régime pour étendre son influence, un populisme des putschistes pour s'attirer les bonnes grâces des populations, ou un symbole de la perte d'influence française?

"Sans doute un peu de tout ça, mais il faudra attendre les mois qui arrivent pour avoir le tableau complet", répond un diplomate sahélien, d'autres interlocuteurs interrogés par l'AFP estimant eux aussi qu'il est "trop tôt" pour tirer des conclusions.

Le capitaine Traoré s'est lui contenté de dire que la France était un "partenaire comme les autres".

Reste qu'à Ouagadougou, comme à Bamako, la pensée russophile ne date pas d'hier.

La coopération avec Moscou a "toujours existé, même si elle était moins visible qu'aujourd'hui", explique l'ancien président du groupe parlementaire d'amitié Burkina-Russie entre 2015 et 2020, Henri Koubizara.

Deux générations de mouvements russophiles existent, détaille-t-il. La première est le fruit d'un héritage de la longue coopération entre les deux pays, comme dans d'autres pays d'Afrique de l'Ouest, à l'époque de l'Union soviétique.

De nombreux jeunes burkinabè sont partis étudier là-bas, mais Koubizara raconte qu'au pays, un diplôme russe "ça a toujours été moins bien vu" qu'un diplôme français.

Il y a eu un net relâchement des liens entre l'Afrique de l'Ouest et la Russie qui a débuté lors la perestroïka des années 1985 et a abouti à l'éclatement de l'Union soviétique en 1991, constate-t-il de concert avec le diplomate.

Mais les temps changent, et "aujourd'hui, la Russie se sent de nouveau à l'aise" en Afrique, appréciée par une partie de la jeune génération, selon M. Koubizara.

"Combattre autrement"

Dans un café de Ouagadougou, Lassané Sawadogo, jeune fondateur du mouvement "La France doit partir", devient volubile quand il s'agit de parler de la Russie et de la France.

Le franc CFA (monnaie commune en Afrique francophone décriée par les mouvements citoyens), l'échec de l'opération antiterroriste française Barkhane au Sahel, la Communauté des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) que ses détracteurs disent noyautée par Paris, les ressources naturelles africaines que la France spolierait: tous les sujets chers aux réseaux anti-France y passent. "Je parle beaucoup, pardon", sourit-il.

Il représente la seconde génération de mouvements pro-russes qui a émergé depuis une dizaine d'années. "Nous ne sommes plus dans les années soixante, il faut combattre autrement".

Il revendique "des contacts un peu partout", tant avec les nouvelles autorités qu'avec des mouvements pro-russes des pays voisins, mais "on ne veut pas comparer, on a notre propre histoire à écrire".

Comme de nombreux manifestants de ces derniers jours, Sawadogo plaide pour un renforcement militaire avec Moscou.

Doit-on comprendre un appel aux mercenaires de Wagner, dont le fondateur proche du Kremlin Evguéni Prigojine a d'ores et déjà apporté son soutien à Traoré et qui sont déjà présents dans plusieurs pays d'Afrique?

"Quand vous êtes dans un fleuve en train de vous noyer, si un serpent ou un bâton passe, vous vous accrochez, non?", affirme M. Koubizara, estimant qu'il ne faut pas pour autant "faire (des Russes) une fixation" .

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 07/10/2022 à 08h59, mis à jour le 07/10/2022 à 09h07