Nigeria: le berceau de Boko Haram fête la Saint-Valentin

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Le 15/02/2017 à 18h20

Malgré la menace permanente que fait planer Boko Haram, chrétiens et musulmans ont fêté la Saint-Valentin à Maiduguri, loin des interdits des extrémistes.

Audu Suleiman Salomon est tombé amoureux de Lucy au premier regard, assure-t-il. Mais il a mis cinq ans à convaincre sa douce de le rejoindre, à Maiduguri, coeur de l'insurrection de la secte islamiste nigériane Boko Haram.

Quelques mois plus tard, il épousait la femme de sa vie. C'était "le 24 octobre 2015", lance-t-il avec fierté. En ce jour de Saint-Valentin, un nouveau-né dans le porte-bébé, ils sont venus immortaliser leur amour dans un studio photo poussiéreux du centre de la capitale de l'Etat du Borno, en proie aux attentats et aux attaques sanglantes depuis près de huit ans.

Ce 14 février, le studio de photographie ne désemplit pas. Les employés impriment les clichés à la chaîne ou les envoient en copie numérique. Accoudés au comptoir, couples et familles unies attendent, impatients d'afficher leur amour sur les murs de leur salon ou de leur profil Facebook.

Ces murs, ternis par l'humidité, seraient presque une parenthèse enchantée: le reste de la région souffre toujours de la guerre et de la faim. Le conflit a fait 20.000 morts depuis 2009, et 2,6 millions de personnes ont fui leur foyer.

En un coup de PhotoShop, les génies de l'image transportent leurs modèles de la journée dans un appartement de luxe ou dans les sous-bois de Central Park. Il n'y qu'à choisir son décor.

"L'amour est important, nous avons eu à affronter beaucoup d'épreuves ici, surtout au niveau de la sécurité", explique Audu Suleiman Salomon devant les yeux admiratifs de son épouse. "Il y a beaucoup de déplacés. Mais si les familles sont déplacées ensemble, si elles peuvent rester unies, je pense que même le manque de sécurité n'est pas une épreuve."

Evangeline, Sira et Helen sont venues entre copines pour se faire tirer le portrait. Leurs petits amis n'ont pas pu se libérer.

"Mon fiancé est en voyage, mais où qu'il soit, je sais qu'il est en train de célébrer avec moi", confie Helen, les traits maquillés et habillée d'une robe jaune.

En un clic, les clichés sont envoyés directement sur WhatsApp à l'autre bout du pays. "La crise n'aide vraiment pas (à entretenir des relations amoureuses). Mais aujourd'hui, nous voulons oublier les problèmes et célébrer", explique son amie Sira.

Un monde libre

La Saint-Valentin est loin d'être une fête traditionnelle dans le nord-est du Nigeria où les musulmans, majoritaires dans le Borno, vivent sous la loi coranique de la charia.

La secte de Boko Haram, fondée par Mohamed Yusuf au début des années 2000 à Maiduguri, voulait imposer un mode de vie ascétique, dans une ville réputée assez libre dans la région. "Mais les gens se sont habitués peu à peu à fêter la Saint-Valentin", explique le propriétaire du studio, Sani Danladi, à l'AFP. "Avant personne ne savait ce que c'était. Avec les réseaux sociaux, c'est partout, alors, ils copient, sans même savoir d'où ça vient."

Et ce n'est pas le petit businessman qui s'en plaindra. "C'est bon pour les affaires, j'aime beaucoup cette journée!" s'amuse-t-il, satisfait que les grands rituels de la société de consommation occidentale soient adoptés dans cette partie du monde.

Même si "la Saint-Valentin est pour tout le monde, chrétiens et musulmans", comme l'affirme un autre père de famille venu se faire tirer le portrait avec son épouse et ses deux filles, il est toujours plus facile de parler d'amour et surtout de le montrer dans la minorité chrétienne de la région.

Dans les quelques bars de la ville, on organise des fêtes "spéciales Saint-Valentin" dès l'après-midi pour profiter des bières et des basses avant le couvre-feu obligatoire de 22 heures.

Au Lac Chad Hotel, ou au Pinnacle, les filles, en hijab ou robes moulantes, fument et flirtent, sous les regards habitués de leurs amis. "Ce n'est pas un crime de venir chercher un petit ami", s'indigne Joy, jolie étudiante, née dans le sud du Borno. "On vit dans un monde libre, non?", ajoute-t-elle, comme si l'on pouvait en douter.

Joy a peut-être grandi en temps de guerre, et sous les interdits des extrémistes, mais cela ne l'empêche pas de rêver du prince charmant.

"Un jour, je veux me marier au meilleur et au plus extraordinaire des hommes. Il m'aimera, m'adorera, me chérira, et nous aurons une belle maison." Elle hésite. "Et aussi, j'ouvrirai ma propre entreprise."

Même à Maiduguri, les contes de fées changent avec le temps.

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 15/02/2017 à 18h20