"J'attends un logement social depuis 21 ans", explique Andiswa. Sans revenu et frustrées, cette mère sud-africaine et quelque 200 autres familles du Cap se sont donc emparées de lopins de terre pour y ériger des abris de fortune.
Depuis plusieurs mois, ces invasions se multiplient dans les villes du pays et les forces de l'ordre sont débordées.
A un an des élections générales, le Congrès national africain (ANC) au pouvoir a promis d'accélérer la réforme de la terre au profit de la majorité noire, dépossédée pendant l'apartheid.
Pour restaurer "la dignité" des Noirs, son gouvernement prévoit notamment d'exproprier sans indemniser. Sur son flanc gauche, le parti des Combattants pour la liberté économique (EFF) joue la surenchère et appelle à envahir les terres. Un cocktail explosif.
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"On est nés ici. On n'a nulle part d'autre où aller", plaide Andiswa dans sa minuscule bicoque sans fenêtre, construite en toute illégalité en bordure du township de Khayelitsha. "On n'a pas de boulot. On n'a rien", poursuit cette mère de trois enfants.
Depuis le début 2018, la ville du Cap est saisie d'une fièvre sociale: +73% de manifestations par rapport à l'an dernier, dont de nombreuses occupations de terre.
La brigade anti-invasion de la municipalité réagit en détruisant à tour de bras les "structures illégales" et piquets de démarcation plantés sur des terrains occupés: 26.000 depuis le début de l'année, contre 15.000 en 2017.
A trois reprises en un mois, cette troupe de choc a démoli la maison de bric et de broc d'Andiswa, 45 ans. Ses voisins ont subi le même sort.
- Oubliés -
A chaque fois, les familles délogées se sont retroussées les manches et ont reconstruit leurs cabanes au même endroit, avec de vieilles planches, des tôles cabossées, des plastiques et des tissus aux couleurs fanées.
"Ils nous disent qu'on ne peut pas prendre de terres, mais ils ne construisent pas de logement", s'insurge Andiswa. L'ANC, au pouvoir depuis 1994, "nous a promis des maisons mais ce sont des promesses vides. Ils ne font que se remplir les poches".
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Un quart de siècle après la fin de l'apartheid, les autorités ont bien construit 4,3 millions de logements sociaux, mais la pression immobilière reste énorme. Des millions de Sud-Africains noirs attendent toujours un logement décent.
Onze millions de foyers, dont 95% sont noirs, vivent aujourd'hui dans la pauvreté. Des oubliés du système, dont le désespoir éclate désormais au grand jour. En avril, un père désemparé a jeté son bébé du toit de sa maison de tôles, construite illégalement, que la police s'apprêtait à raser.
A quelques kilomètres de chez Andiswa, le long d'une ligne électrique à haute tension et d'un marécage, des dizaines de personnes piochent et démarquent avec des outils de fortune des terrains sablonneux qu'ils viennent de s'approprier.
"Mon loyer est de 540 rands (37 euros) par mois. C'est trop cher pour moi, je ne travaille pas", explique Fistos, un Noir de 22 ans occupé à brûler des branchages.
Comme lui, plus d'un tiers des jeunes (38,6%) sont au chômage en Afrique du Sud, la première puissance industrielle du continent.
"Personne ne se préoccupe des métis", dénonce Titus, en train d'ériger, dans une autre banlieue du Cap, une maison sur un terrain vague pris d'assaut par des dizaines de familles.
Catastrophe
"Le pouvoir s'intéresse aux quartiers riches comme celui de Constantia", peuplé majoritairement de Blancs, "alors qu'il y a plein de terrains vagues où des maisons pourraient être construites", insiste-t-il. "Pendant l'apartheid, si vous étiez noirs et métis, vous étiez pauvres et sans terre. Vingt-quatre ans plus tard, si vous êtes noirs et métis, vous êtes toujours pauvres et sans terre", constate amèrement Mandisa Dyantyi, de l'association Coalition pour la justice sociale.
Mais tous les "squatteurs" ne sont pas aux abois. Peter, qui borne avec un ruban rose l'emplacement de sa future échoppe, possède deux appartements. "C'est la terre de la ville, c'est notre terre, elle nous appartient", affirme ce père de famille opportuniste.
Les expulsions se terminent souvent en violences avec les forces de l'ordre. "Nous n'autoriserons pas les invasions de terres", sinon "c'est l'anarchie", a prévenu le président sud-africain Cyril Ramaphosa. Au bout de trois jours d'occupation, Titus a fini par être délogé par des policiers armés de matraques et de fusils à pompe. Protégés par des barricades, les squatteurs ont riposté à jets de pierres.
"Les saisies de terres sont en augmentation et la réponse du gouvernement de plus en violente. Tous les ingrédients sont réunis pour une catastrophe", prévient Mandisa Dyantyi. Spécialiste de la question foncière à l'Institut de la terre (Plaas) du Cap, Ruth Hall se veut plus optimiste. "La réforme de la terre affectera la stabilité politique de l'Afrique du Sud si l'économie ne se redresse pas", estime-t-elle. "Mais s'il y a croissance et création d'emplois, la question de la terre sera probablement moins pressante."