Nigeria. Présidentielle: Mr Jolof, l'humoriste qui fait campagne en patois

DR

Le 21/02/2019 à 12h10

Pour toucher le grand public, l'humoriste Mr Jolof a pris le parti de leur parler dans le langage de la rue : candidat aux législatives de samedi au Nigeria, il a mené sa campagne en pidgin, un patois devenu branché mais considéré avec dédain par la vieille garde politique.

La langue du peuple, qui n'a ni grammaire ni orthographe ni dictionnaire, avait ces dernières années fait son entrée à la télévision, à la radio ou sur le net, dans les pubs ou dans la musique. L'audace de Mr Jolof, Freedom Atsepoyi de son vrai nom, a été de l'introduire dans le monde corseté de la politique nigériane.

Un bon moyen pour toucher les plus de 75 millions de personnes au Nigeria qui parlent le pidgin, équivalent d'un créole ouest-africain traversant les lignes ethniques et religieuses, appris dans la rue pas à l'école.

Avec son air de jeune de 31 ans comme les autres (crane rasé, jean, t-shirt), Mr Jolof n'a parlé quasi exclusivement qu'en pidgin durant sa campagne pour le mandat de député de sa ville natale, Warri, dans l'Etat du Delta (sud), mis en jeu ce samedi. Les scrutins présidentiel et législatifs seront organisés une semaine après leur report par la commission électorale.

Son compte Instagram est suivi par 354.000 abonnés et ses vidéos, dans lesquelles il se moque avec humour des hommes politiques nigérians accusés de mauvaise gouvernance, ont été visionnées des dizaines de milliers de fois.

Dans l'une d'elle, il critique les élus pour le peu de développement touristique dans l'Etat du Delta, l'un des plus riches au monde en pétrole et l'un des plus pauvres du pays.

"You know how much dey go Mauritius? N800,000 or economy ehn ?" ("Vous savez combien ca coûte un billet pour l'île Maurice? 800.000 nairas (2.216 dollars), et en classe éco, hein?"). "If I carry N800,000 go all these our villages them go do am like Mauritius" ("Moi si je ramène 800.000 nairas dans tous ces villages, là, je vous assure que ça va ressembler à l'île Maurice chez nous!").

La classe politique établie n'a pas vu cela d'un bon oeil, y compris dans un Etat pourtant considéré comme le foyer du pidgin au Nigeria. Un responsable du Parti populaire démocratique (PDP), principal parti d'opposition dans le pays mais au pouvoir dans le Delta, a estimé que l'humoriste n'était pas qualifié pour participer aux législatives et que les postes gouvernementaux ne pouvaient revenir à des "débutants";

Avant de devenir la langue des gens "cool", il y a encore quelques années, le pidgin était considéré comme la langue des pauvres, des gens peu éduqués des campagnes, qu'il valait mieux de pas parler pour faire bonne impression. Inspirée du portugais (les premiers Européens arrivés sur les côtes d'Afrique de l'Ouest), de l'anglais (langue des colons), mais aussi du patois de la Jamaïque (des anciens esclaves revenus sur le continent), le pidgin a évolué au gré de l'Histoire et des modes.

Pour Mr Jolof son utilisation était de fait aussi une manière d'atteindre les pauvres.

"Je peux venir et leur balancer une grammaire de première", explique-t-il à l'AFP dans son petit bureau de campagne installé dans un centre commercial. Mais "je pense que les gens que je vais représenter à la Chambre des Représentants comprennent et acceptent d'avantage le pidgin."

Le jeune homme se présente au nom d'un nouveau petit parti, le Congrès de l'action africaine (AAC), pour affronter le PDP qui contrôle quasiment tous les sièges de l'Etat. Plutôt que d'adopter le style du candidat collet monté, il a préféré faire campagne dans sa peau d'amuseur, dans un pays où l'âge moyen est de 18 ans, s'attirant de larges foules de partisans parmi les jeunes.

Il a su les séduire, estime Toye Sokunbi, journaliste au Native Magazine. "Les gens sont fatigués du style vieille école des politiciens", explique-t-il. "Ce type est si drôle et si plein d'esprit. Il est l'un des rares hommes politiques dans ce pays à dire la vérité, ce qui explique pourquoi les jeunes l'aiment bien."

Humoriste populaire et décontracté mais sérieux, insiste Freedom Atsepoyi qui a pris pour la scène le nom du plat préféré des Nigérians à base de riz pimenté. "Je n'y vais pas pour me marrer, j'ai déjà un nom, je veux juste y aller et changer la vie de la population de Warri".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 21/02/2019 à 12h10