Nigeria: quand la pratique de la politique inspire les réalisateurs de Nollywood

DR

Le 05/03/2019 à 09h57, mis à jour le 05/03/2019 à 11h14

Alliances, trahisons, assassinats, magie noire (parfois), argent (toujours) et coups de théâtre inattendus, tous les ingrédients d'un bon film de Nollywood sont là: "Je pourrais faire au moins 100 films inspirés de la politique nigériane", s'amuse le réalisateur Ike Nnaebue.

La dernière saga de l'élection présidentielle, prévue le 16 février puis reportée d'une semaine quelques heures avant l'ouverture des bureaux de vote, ne peut que lui donner raison.

Pendant une semaine, des rebondissements dignes des films d'espionnages les plus grossiers ont rythmé le quotidien du pays le plus peuplé d'Afrique: accusations de sabotage à grande échelle, achats de votes en masse, fourgons blindés remplis de billets de banque qui arrivent chez les responsables des partis politiques en pleine nuit, arrestation d'opposants par la police anti-corruption...

"C'est du cinéma tout ça et je pense qu'en tant que 'conteurs d'histoires', il en va de notre responsabilité de le raconter", confie à l'AFP le réalisateur. "C'est à nous de commencer le débat et de faire bouger les lignes".

Avec 190 millions d'habitants au Nigeria, et de plus en plus de spectateurs sur le continent africain ou parmi la diaspora, Nollywood est désormais la deuxième industrie cinématographique au monde en nombre de films produits (devant Hollywood et derrière les Indiens de Bollywood). Son impact est immense.

Dans "Dr, satire sortie en 2018, Ike Nnaebue raconte l'ascension politique d'un "repat", ces Nigérians qui ont grandi ou vécu longtemps à l'étranger et qui reviennent vivre dans leur pays d'origine, souvent déconnectés de sa réalité.

Auto-critique

"Il arrive à peine des Etats-Unis, avec plein de grandes idées et se porte candidat au poste de gouverneur de l'Etat d'Anambra", dans le sud-est du Nigeria, raconte le réalisateur. "Il a de bonnes intentions, mais il ne comprend pas les règles de la politique au Nigeria: la politique de l'estomac".

Dans une scène d'anthologie, le candidat à l'élection promet à une foule de partisans qu'il ambitionne de dynamiser l'agriculture dans l'Etat, et souhaite y développer les cultures du riz.

On l'acclame mais, peu à peu, le bruit court parmi la foule que son rival offre à manger dans son meeting de campagne, et tout le monde court pour aller chercher son sac de riz... importé de Chine.

Dans une autre scène, l'équipe du candidat distribue des billets de banque à la foule pendant que Dr Mekan, met en garde les jeunes contre "l'effet destructeur de l'argent sur les consciences".

"Les spectateurs rient devant ce film, c'est une auto-critique: de nos politiciens mais aussi de nous-mêmes", conclut le réalisateur. "Il faut que l'on commence à réaliser ce qui ne va pas dans notre pays pour le changer et Nollywood est un outil important".

C'est également ce qui a motivé Mike-Steve Adeleye en écrivant le scenario de son dernier film, "Code Wilo", sorti en avant-première à Lagos début mars.

"Scénario écrit à l'avance"

Lui n'a pas choisi l'humour mais l'action pour dénoncer ce qu'est devenue la politique nigériane, et notamment le principe des "parrains" qui adoubent ou détruisent les aspirants-candidats.

"En fait, on regarde la politique nigériane comme si on regardait un film. Les citoyens de ce pays sont des spectateurs de ce grand théâtre qu'est la politique", explique le réalisateur. "Le scenario est écrit à l'avance".

Dans son nouveau film, le parrain du parti au pouvoir d'un Etat nigérian annonce que sa fille sera candidate pour devenir le prochain gouverneur, sans même consulter sa base ou les électeurs.

"J'espère que la fin du film fera réfléchir les politiciens. Que ça les hantera et qu'ils commenceront à se poser des questions sur ce qu'ils font à notre pays", espère-t-il.

La culture de ce pays poids lourd de la culture en Afrique a longtemps été cantonnée à un rôle de divertissement. Mais depuis un ou deux ans, de nombreux artistes comme les rappeurs M.I. ou Falz font des tournées pour sensibiliser la jeunesse à voter ou à demander des comptes à leurs dirigeants, loin des clips de arrosés de champagne ou de voitures de luxe.

Les choses commencent à changer peu à peu sur la scène musicale mais au cinema "c'est toujours l'argent qui domine le marché. C'est bling bling et plastique", regrette Mike-Steve Adeleye. "On ne peut pas continuer comme ça. C'est de pire en pire. En tant qu'Africains nous avons une histoire à raconter, une histoire qui aura un impact sur la société."

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 05/03/2019 à 09h57, mis à jour le 05/03/2019 à 11h14