Musique. Burkina vista social club: de la musique afro-cubaine aux airs politiques

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Le 17/10/2019 à 10h17

Cuba, Burkina, Sankara, Ouaga, rumba, salsa, cha-cha-cha: la musique cubaine rime avec l'Afrique, et à Ouagadougou, l'Afro-cubain fait toujours recette sur fond de souvenirs et de politique.

Sports bar, Mezzanine, Kaseto Rimnoma... De nombreux bars de Ouagadougou programment des orchestres jouant live et ayant de l'Afro-cubain dans ses portées musicales pour des amateurs souvent âgés de 60-70 ans voire plus mais toujours vifs sur la piste de danse. Quelques jeunes sont là mais ils sont plutôt une exception.

Imperturbable, chapeau borsalino, lunettes noires, visage ridé, le bassiste à la peau ébène tripote ses cordes sur un rythme cubain tandis qu'un guitariste de 65 ans égrène un solo virtuose sans avoir l'air d'y toucher.

Au Boulougou bar, institution ouagalaise fondée en 1952, on croirait voir une reformation du mythique Buena vista social club, qui avait refait surface au milieu des années 90 après des années d'oubli et alors que leurs membres virtuoses (Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, Manuel Mirabal) étaient déjà des papis. Ici, ce sont "Les Elites du Faso", un groupe burkinabè, composé de musiciens, qui étaient jeunes au moment de la révolution cubaine.

"Les Burkinabè aiment ça, la musique cubaine, ça leur rappelle les anciens temps, les temps de nos papas et nos vieux et de notre ancien président Thomas Sankara, parce qu'il aimait trop les morceaux cubains, franchement dit, il aimait ça", affirme Le chanteur Bobo Seydou, né en 1965.

La musique cubaine doit en partie son succès à la politique et au soft-power cubains castristes à l'époque des luttes pour les indépendances et des leaders anti-impérialistes qui ont suivi.

Parmi eux, Thomas Sankara, surnommé le "Che africain", qui a présidé le Burkina de 1983 jusqu'à son assassinat en 1987. Panafricaniste, anti-impérialiste, Sankara, qui vivait chichement, a tenté d'éliminer la corruption et avait mis l'accent sur l'éducation et la santé tout en soutenant l'agriculture. Ses "Comités de défense de la révolution" (CDR), chargés de contrôler la population d'une main de fer, sont la face sombre de son régime.

Sous Sankara, de nombreux burkinabè sont partis se former à Cuba.

Inversement, si Cuba envoyait conseillers politiques, militaires et médecins en Afrique, +l'île+ y faisait aussi tourner des orchestres comme le célèbre Orquesta Aragon.

Les vies particulières des musiciens des Elites de Faso racontent bien l'histoire et l'Histoire.

Bobo Seydou n'est pas Burkinaè mais de Guinée Bissau qui a connu "25 ans de guerre pour la libération" (1974). "Ce sont les Cubains qui nous fournissaient les armes" ainsi que des instructeurs militaires contre les Portugais, rappelle-t-il, soulignant que "Amilcar Cabral (assassiné en 1973) et Thomas Sankara (assassiné en 1987) étaient des révolutionnaires".

"A cette époque, j'étais militaire (service militaire). Je sortais de la caserne le soir pour jouer dans les funérailles, mariages, baptêmes. La musique cubaine, c'était la mode...", dit-il. Il garde de cette époque un doigt mutilé par un accident de tir.

En 1978, avec son groupe Africa Ritmo, il quitte la Guinée Bissau pour "l'aventure". "On était jeunes, on est parti. On rêvait d'Europe. On jouait de la musique cubaine", se souvient-il. Au hasard, des voyages, il arrive en 1978 au Burkina qu'il ne quittera plus.

Cinq ans plus tard, Sankara prend le pouvoir. "J'ai joué à la conférence des CDR. On a joué avec lui. Il aimait la musique. La musique cubaine mais aussi congolaise", assure Bobo.

A cette époque, son groupe évoluait souvent dans un bar dont tous se souviennent: le Don Camilo. "On jouait de tout mais aussi de la musique cubaine ou des compositions personnelles d'inspiration cubaine. Les médecins cubains venaient danser".

Il évoque une époque bénie pour les musiciens. "Sankara a baissé le prix des boissons, favorisé les groupes de musique live. Il n'aimait pas les discothèques. Les gens sortaient. On était à l'aise à cette époque", dit-il.

Aujourd'hui, si les boites de nuit prennent doucement le pas sur la musique live, Ouagadougou reste une capitale musicale avec une scène toujours vivante. Musique et politique restent liées, l'insurrection de 2014 qui a renversé Blaise Compaoré a été l'oeuvre de nombreux jeunes, se disant souvent sankaristes, écoutant surtout rap et reggae.

Le guitariste, Roger Bihoun, 65 ans, peut lui se targuer d'avoir fait partie du même groupe que Sankara, guitariste de bon niveau: "l'orchestre Missile". "C'était quand il était officier. Avant qu'il soit président. Il chantait bien, jouait bien. Il connaissait bien la musique même s'il n'avait pas la dextérité", confie-t-il, assurant lui avoir donné quelques conseils pour la guitare.

"Après, il avait moins le temps mais il continuait à jouer de temps en temps à la présidence", raconte-t-il.

Les révolutions sont révolues mais sur la piste, Ousseny Lamizana, retraité de 67 ans, qui maitrise tous les pas de danse, fait tourner cavalières jeunes et moins jeunes. "On s'éclate", dit-il en se reposant à côté d'une bière bien fraiche. Pour lui Cuba et l'Afrique sont indissociables.

"Il y a beaucoup de culture africaine dans la musique cubaine, le rythme, les percussions bien sûr, mais aussi des sonorités aiguës: la salsa elle vient de Cuba mais elle est africaine! La rumba, c'est Africain!!!".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 17/10/2019 à 10h17