Après dix jours derassemblements pacifiques contre les violences policières qui sont devenus un large mouvement de protestation contre le pouvoir à travers le pays, de très nombreux incidents ont été enregistrés mardi matin.
Dans la tentaculaire Lagos peuplée de 20 millions d'habitants, des criminels ou des jeunes ont pris le contrôle de presque tous les axes routiers.
Très énervés et excités, ils bloquaient les automobilistes, laissant passer certains véhicules en échange de billets, a constaté un journaliste de l'AFP.
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Aucune pancarte du mouvement pacifique, débutée il y a onze jours dans les grandes villes du sud du pays, n'était brandie à ces barrages.
Dans l'ouest de la ville, un poste de police a été incendié dans la matinée à Orile Iganmu, selon plusieurs manifestants joints par l'AFP, qui imputent la responsabilité de l'incendie à des casseurs. Plusieurs coups de feu ont été tirés et plusieurs personnes ont été blessées par balles, selon eux.
- "Un monstre" -
Face aux violences, les autorités ont annoncé l'instauration d'un couvre-feu de 24 heures dans tout l'Etat de Lagos à partir de 16 heures.
"Les manifestations pacifiques ont dégénéré en un monstre qui menace le bien-être de notre société", a déclaré sur Twitter le gouverneur de l'Etat, Babajide Sanwo-Olu.
"Des criminels et des scélérats se cachent désormais sous l'égide de cette manifestation pour faire régner le chaos", a-t-il dénoncé.
De graves échauffourées ont également éclaté dans la capitale fédérale à Abuja, des dizaines de véhicules et de batiments ont été incendiés, et la police a été déployée, selon un journaliste de l'AFP. Plusieurs maisons ont été incendiées, une épaisse fumée noire s'élevait au dessus de la ville.
Lundi déjà, des violences y avaient éclaté, faisant trois morts et plusieurs voitures incendiées, selon la police. Des dizaines d'hommes armés de machettes et de couteaux avaient attaqué les manifestants.
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A Benin City, la capitale de l'Etat d'Edo (Sud), réputée pour ses forts taux de criminalité, trois postes de police avaient été pris d'assaut, et plusieurs prisonniers de deux centres de détention avaient réussi à s'échapper, selon les autorités.
Le gouverneur de cet Etat a également annoncé un couvre-feu de 24 heures, lundi, mais la situation restait extrêmement instable, selon des témoignages recueillis par l'AFP.
- Au moins 18 morts -
Depuis le début de la contestation, au moins 18 personnes, dont deux policiers, sont décédées, selon un nouveau décompte de l'AFP établi à partir de chiffres d'Amnesty international et de la police.
Sur Twitter, les principales figures de la contestation déploraient mardi que leur mouvement pacifique ait été dévoyé.
Jusqu'ici, la plupart des marches s'étaient déroulées dans le calme, les jeunes marchant, chantant, dansant et brandissant des pancartes pacifiquement.
La mobilisation, qui est née début octobre sur les réseaux sociaux pour dénoncer les violences policières, s'est peu à peu muée en un mouvement contre le pouvoir en place et la mauvaise gouvernance.
Dans les cortèges, les pancartes "EndSARS", en référence à l'unité de police accusée de racketter la population, d'arrestations illégales, de torture et même de meurtre, au cœur des premières revendications, avaient été remplacées par des drapeaux nigérians ou des appels à la démission du président Muhammadu Buhari.
Le chef de l'Etat, qui avait annoncé en début de semaine dernière le démantèlement de la brigade controversée et promis une réforme de la police, ne s'est pas exprimé depuis.
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"Les manifestations ont fait boule de neige et sont devenues un exutoire de colère et de frustrations latentes", selon Leena Koni Hoffmann, du centre d'analyse britannique Chatham House.
Première puissance économique du continent africain grâce à son pétrole, le Nigeria est aussi le pays qui compte le plus grand nombre de personne vivant dans l'extrême pauvreté au monde.
Ses élites sont très régulièrement accusées de corruption et de détournements de fonds par la société civile, et pointées du doigt comme responsables du faible niveau de développement.
Dans les cortèges de ce week-end, les jeunes réclamaient notamment une hausse des salaires, plus d'emploi, la fin des coupures d'électricité, la suppression de la censure et une meilleure représentation de la jeunesse sur la scène politique.