Dans la forêt de Nyakweri, qui jouxte la célèbre réserve animalière du Masai Mara, dans le sud-ouest du Kenya, il n'a fallu qu'une poignée de minutes aux huit rangers de l'ONG Mara Elephant Project pour disperser dans cette clairière quelque 22.000 "bombes à graines". "C'est très simple, souligne Jackson Maitai, dont l'unité de gardes - uniformes vert et solides boots noires - patrouille quotidiennement pour protéger l'habitat des éléphants et a récemment découvert cette zone détruite par l’abattage illégal. Ils en profitent ce jour-là pour amorcer sa régénération.
Lire aussi : Vidéo. Sénégal: la forêt de bois précieux pillée avec la complicité de la Gambie
"Les +bombes à graines+ ne sont pas lourdes. On les lance juste un peu partout, là où nous observons de la déforestation". Le Kenya fait face, depuis plus d'un siècle, à une déforestation continue et tenace, alimentée hier par les besoins en bois du train colonial et aujourd'hui par la forte pression démographique.Les forêts bordant le Masai Mara sont grignotées pour produire du charbon de bois - un combustible extrêmement populaire - et récupérer, dans un pays très agricole, des parcelles de cultures ou des pâturages.Nyakweri, par exemple, a perdu "plus de la moitié de sa surface ces 20 dernières années", illustre depuis son bureau le directeur de Mara Elephant Project, Marc Goss, cartes et images satellites à l'appui.Essentielles pour abriter et nourrir de nombreux animaux sauvages, dit-il, les forêts kényanes - seulement 7% du territoire - sont aussi des réserves d'eau et de puissants remparts face au réchauffement climatique et à la désertification.
- "Une illumination" -
L'ONG a commencé il y a trois ans à épandre - à pied, en voiture, en hélicoptère - ces "bombes à graines", conçues par la société Seedballs Kenya, cofondée par Teddy Kinyanjui, 36 ans.Au volant du pick-up encombré de sacs de "bombes", qui l'emmène aux quatre coins du pays, ce Kényan-Américain, né à Nairobi dans une famille d'écologistes, raconte avoir eu un jour "une illumination": sans les humains, les graines d'arbres poussent par elles-mêmes, sans besoin d'être plantées, arrosées, dorlotées. Mais "dans la nature, si vous jetez des graines "nues", une grande partie d'entre elles seront mangées par les souris, les oiseaux ou les insectes. Nous les protégeons donc dans du charbon (...) Elles vont rester là, attendre l'arrivée de la pluie qui fera fondre l'enrobage. Elles pourront commencer à pousser".
Lire aussi : Gabon: Ali Bongo limoge le vice-président et le ministre des Forêts
Les bombes à graines existent "depuis l'Egypte ancienne", enrobées par exemple dans de la boue, souligne M. Kinyanjui qui a innové en utilisant de la poussière de charbon de bois, une matière particulièrement bien adaptée au Kenya.Non-toxique, poreuse, elle agit "comme une éponge" qui aide la plante à germer dans ses régions parfois arides. Surtout, elle est disponible en grande quantité et pour un prix dérisoire: c'est un déchet de l'industrie du charbon de bois, un des principaux vecteurs de la déforestation. "La boucle est bouclée en quelque sorte", sourit-il.Et les boulettes sombres, à l'aspect lisse et doux, ne renferment que des essences indigènes, essentiellement des variétés d'acacias, un arbre emblématique mais très recherché et abattu pour la qualité de son bois.
- De frêles arbres -
Au Kenya, les acheteurs de bombes à graines vont "du petit propriétaire qui veut planter à peu de frais des arbres le long de sa clôture", jusqu'à des partenaires qui acquièrent "500 kg" d'un coup pour les donner à des ONG comme Mara Elephant Project, explique M. Kinyanjui.Conçue comme une entreprise commerciale, mais réinvestissant tous ses profits, Seedballs Kenya travaille aussi avec des hôtels qui proposent aux touristes une activité "reforestation" après le traditionnel safari, ou encore avec des agriculteurs, soucieux à la fois de préserver leur environnement et d'avoir du bois à l'avenir.Lancée mi-2016, l'entreprise a vendu plus de 13 millions de graines, mais une minorité a donné naissance à une jeune pousse: très variable, le taux de germination est de 5 à 10% en pleine nature. De plus, même après plusieurs années de croissance, ces frêles arbres ne dépassent pas encore deux mètres. Le défi "c'est le temps, la patience, les arbres sont lents", rappelle Teddy Kinyanjui.