"Certains de mes bateaux peuvent attendre jusqu'à 80 jours avant de pouvoir rentrer dans le port", explique le chef des opérations d'une compagnie de transports maritimes. "C'est inadmissible!"
"En plus, parce que les eaux au large du Nigeria ne sont pas sécurisées, ils doivent attendre à Cotonou, ou à Lomé", s'indigne cet important acteur économique des transports maritimes. Alors qu'avant 2020, chaque terminal pouvait accueillir six à sept porte-conteneurs par semaine, le trafic est désormais réduit de moitié, avec seulement trois déchargements hebdomadaires.
"La situation de Lagos engendre de la congestion dans tous les ports de la région, d'Abdijan (en Côte d'Ivoire) jusqu'à Pointe-Noire (au Congo-Brazzaville)", explique cette même source.
Lagos, capitale économique gigantesque de 20 millions d'habitants, est quasiment le seul point d'entrée et de sortie de tous les biens qui transitent au Nigeria, pays de 200 millions d'habitants.
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Début 2020, juste avant la crise du coronavirus, 99% des exportations du pays et plus de 89% de ses importations transitaient par les mers, presque exclusivement via Lagos.
Après le pétrole, le port de Lagos, qui s'étend d'Apapa et à Tin Can island, est d'ailleurs la deuxième source de revenus du géant africain.
Et pourtant, le Nigeria perd environ 55 millions de dollars par jour à cause de la congestion de ses ports, selon le cabinet d'études spécialisé Dynanmar, et s'est fait ravir la première place des ports à conteneurs d'Afrique de l'Ouest par le Togo, pays de 8 millions d'habitants.
Douanes "manuelles"
Porte-conteneurs immenses, cargos, pétroliers défilent les uns après les autres dans l'embouchure du port de la ville, faisant retentir leurs sirènes, dans un ballet lent et régulier.
Avec une augmentation de la pression démographique, "les importations augmentent chaque année", note Pascale Jarrouj, directrice commerciale pour GMT Nigeria Limited, importante société de logistique basée à Lagos.
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"Mais l'année dernière, -à cause du confinement et des manifestations d'octobre-, elles ont chuté d'environ 40%, et aujourd'hui ça crée encore plus de congestion", s'inquiète-t-elle.
La crise économique et sociale dans laquelle s'est enfoncée le Nigeria depuis le début de la pandémie, n'a fait qu'aggraver des problèmes structurels de longue date: manque crucial d'infrastructures et d'investissements publics, état désastreux des routes et corruption endémique à tous les niveaux de la chaîne.
Les déchargements sont ralentis par faute d’automatisation du processus, par les fouilles "manuelles" des agents de douanes, et surtout par le peu d'espace libre disponible pour transborder les conteneurs.
A cela s'ajoute, une vingtaine de barrages de police, des douanes, d'agences ou de brigades spéciales, que doivent traverser les camions de marchandises pour entrer et sortir du port, et presque autant, à chaque fois, de pots-de-vin à verser.
Digitalisation
"Avant nous pouvions faire sortir un camion pour 400.000 nairas (876 euros)", explique l'un de ces centaines d'"agents de logistique", qui permettent de naviguer dans les méandres infernaux des terminaux, et au sein de leur administration véreuse.
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"Maintenant, c'est dans les 1,3 million (2.800 euros)... En décembre, on est monté jusqu'à 1,7 million!" (3.700 euros), s'exclame-t-il. En 31 ans de carrière, il n'a jamais vu ça.
Avec environ 2.000 camions qui entrent et sortent chaque jour du port, l'argent de la corruption atteint des sommets vertigineux. Tous ces coûts sont directement répercutés sur le prix des produits aux consommateurs, dans un contexte d'étranglement économique post-confinement, d'explosion du chômage et d'une inflation à deux chiffres.
"Il n'y a pas de tarif logistique fixe, tout dépend du chaos dans le port", témoigne de son côté un transporteur privé qui travaille à Apapa depuis 17 ans. "Et surtout tout dépend de ce que certains sont capables de payer ou pas".
Aliko Dangote, le plus grand homme d'affaires nigérian, avait déclaré avoir perdu près de 55 millions d'euros entre 2017 et 2018 à cause de la congestion du port.
La plupart des petits acteurs économiques ne peuvent pas faire face, et les compagnies étrangers deviennent de plus en plus réticentes à vouloir conquérir un marché pourtant immense, à l’exception, des grandes compagnies pétrolières ou des grandes multinationales qui, elles seules, peuvent absorber ces coûts exorbitants.
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A la fin février, le gestionnaire public du port (Nigeria Port Autority, NPA) a mis en place une plateforme digitale obligatoire, ETO, sur laquelle doivent s'enregistrer les camions, avant d'être appelés directement sur une application téléphonique pour venir récupérer leurs marchandises.
Comme partout ailleurs dans le monde, ce système permet de réguler le trafic. Mais deux semaines à peine après sa mise en place, les transporteurs sont unanimes: "un désastre".
Tous les camions n'ont pas encore obtenu les documents pour s'inscrire sur l'application. Ils s'échangent déjà contre des pots-de-vin, et cela cause encore plus de retards dans les déchargements.
"Le problème c'est que trop de personnes tirent profit de ce chaos absolu", lâche un transporteur, désabusé. "Ils n'ont aucun intérêt à ce que les choses aillent mieux."