Entre combats, peur et inflation, morne Nouvel An en Ethiopie

Marché de poulets vifs dans le district de Shola à Addis Abeba, à la veille du nouvel an éthiopien le 11 septembre.

Marché de poulets vifs dans le district de Shola à Addis Abeba, à la veille du nouvel an éthiopien le 11 septembre.. Amanuel Sileshi / AFP

Le 10/09/2021 à 10h04

Habituellement, Tesfaye Hagos célèbre le Nouvel An éthiopien en offrant des robes de coton brodé à sa femme et à ses filles et en tuant une chèvre pour un grand repas avec ses amis.

Mais cette année, alors que la guerre fait rage dans le nord du pays, ce Tigréen de la capitale Addis Abeba n'a pas le coeur à la fête.

"La nouvelle année approche, mais c'est loin de mon esprit. Je vais juste rester à la maison et prier pour la paix", déclarait-il cette semaine à l'AFP, à quelques jours du Nouvel An qui a lieu samedi dans le deuxième pays le plus peuplé d'Afrique.

L'Ethiopie suit un calendrier particulier, composé de 13 mois et décalé de sept à huit ans par rapport au calendrier grégorien. Le Nouvel An tombe chaque année le 11 septembre.

Pour les Éthiopiens, samedi marquera le premier jour de 2014.

Les célébrations sont généralement joyeuses, avec chants, danses et bouquets de marguerites jaunes confectionnés par les enfants.

Mais cette année, les festivités sont ternies par le conflit qui ravage depuis dix mois le nord du pays et les problèmes économiques qui en résultent, notamment l'inflation qui a dépassé 30% le mois dernier pour les produits alimentaires.

Le Premier ministre Abiy Ahmed tente de mobiliser la population à l'approche des fêtes, avec une campagne sur les réseaux sociaux sur les thèmes de l'héroïsme et de la victoire.

- Arrestations -

Pour les Tigréens comme Tesfaye, la vie a basculé en l'espace d'un an.

En septembre dernier, le parti au pouvoir dans la région septentrionale du Tigré, le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), a ouvertement défié Abiy Ahmed en organisant des élections locales - interdites en raison du coronavirus - et en annonçant une victoire écrasante le jour du Nouvel An.

Ce scrutin a tendu les relations déjà houleuses entre le Premier ministre et le TPLF. Deux mois plus tard, Abiy a envoyé des troupes au Tigré pour renverser le TPLF, qu'il a accusé d'organiser des attaques contre des camps de l'armée fédérale.

Des milliers de personnes ont été tuées dans le conflit, également marqué par des massacres de civils et des viols de masse. Ces derniers mois, les combats ont gagné les régions voisines de l'Amhara et de l'Afar.

Des centaines de milliers de personnes vivent désormais dans des conditions proches de la famine, dans ce que l'ONU dénonce comme un "blocus de facto" de la région.

A Addis Abeba, Tesfaye a été licencié de son poste dans un bureau gouvernemental après plus d'une décennie de service, au motif d'avoir donné de l'argent au TPLF.

Il raconte éviter de parler en langue tigrinya et avoir supprimé des chansons en tigrinya de son téléphone pour éviter les arrestations massives qui, selon des organisations de défense des droits civiques, ont visé des centaines de Tigréens ces dernières semaines.

Les autorités ont suspendu plus de 80.000 entreprises "soutenant le TPLF" et révoqué les licences de plus de 500 autres, a déclaré cette semaine un conseiller du ministère du Commerce.

Le gouvernement nie mener une répression à caractère ethnique et affirme viser uniquement les partisans présumés du TPLF, classé organisation terroriste en mai.

Mais cela ne rassure guère les Tigréens, inquiets des récents rassemblements organisés par le gouvernement qui dénonce le TPLF comme "le cancer de l'Éthiopie" et appelle à la "destruction" de la "junte" tigréenne.

- "Pas les moyens" -

Assis à son étal de drapeaux éthiopiens sur le grand marché de la capitale, Shafi Mame ne dit pas autre chose.

"Nous commencerons la nouvelle année avec un nouvel espoir (...) nous allons chasser et enterrer la junte", lance-t-il: "Nous souhaitons que la nouvelle année nous apporte la prospérité et une nouvelle vie sans eux".

Ailleurs sur le marché clairsemé, on se préoccupe moins des gains sur le champ de bataille que de la flambée des prix des produits de première nécessité comme le beurre, l'huile et le café.

"La fête est là mais il n'y a pas de clients. Les gens n'ont pas les moyens d'acheter", soupire Mudin Ramatu, vendeur de céréales et d'épices.

Antérieurs au conflit, les problèmes d'inflation ont été exacerbés ces derniers mois. Les combats perturbent l'approvisionnement et, comme l'a souligné le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres en août, ils ont vidé les coffres de l'Etat d'un milliard de dollars.

En quête d'épices, Tsedey Yimer estime que seule la paix pourra réduire le coût de la vie.

"Le peuple éthiopien est inquiet et anxieux, nous jeûnons et prions. Que Dieu nous accorde une année d'amour et de paix", espère-t-elle.

Mais la paix n'apparaît pour l'instant pas comme une priorité dans aucun des deux camps.

Dans son message de Nouvel An, le dirigeant du TPLF, Debretsion Gebremichael, a prévenu ses partisans du "chemin difficile" à venir, tout en assurant d'une victoire "inéluctable": "Nous ne dormirons pas tant que nos ennemis ne seront pas détruits".

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 10/09/2021 à 10h04