Kenya: pour les athlètes femmes comme Agnes Tirop, poignardée à mort, succès rime avec danger

DR

Le 23/10/2021 à 08h53, mis à jour le 23/10/2021 à 08h53

Avec le succès vient le danger: le meurtre la semaine dernière de l'étoile montante de l'athlétisme kényan Agnes Tirop a révélé la face cachée, parfois tragique, du succès des femmes athlètes dans une société très masculine.

Pressions sociales, dépression, exploitation financière: les risques sont nombreux pour les jeunes femmes confrontées à un succès météoritique. Ils viennent souvent de leurs entourages, entraîneurs, agents ou même de leurs proches.

"Les femmes athlètes doivent porter le fardeau de toute une famille", affirme l'ancienne marathonienne Mary Keitany, quelques jours après que son ancienne partenaire d'entraînement, Agnes Tirop, a été retrouvée poignardée à mort à son domicile. Elle avait 25 ans.

Arrêté par la police, le mari de la prometteuse double médaillée mondiale du 10.000 m (3e en 2017 et 2019) et 4e des Jeux olympiques de Tokyo sur 5.000 m est le principal suspect.

Durant sa carrière, Keitany a vu de nombreuses jeunes athlètes, comme Tirop, batailler pour tenter d'équilibrer leur vie sportive exigeante avec les attentes et pressions sociales, autour du mariage et de la maternité notamment, tout en étant le principal soutien financier de leur famille élargie.

Selon la quadruple lauréate du marathon de New York, beaucoup de ces jeunes femmes qui se sont consacrées à leur sport dès le plus jeune âge, n'ont pas l'éducation nécessaire pour gérer leurs finances, les exposant à être utilisées comme des "vaches à lait" par des conjoints cupides.

"Elles se rendent compte quand il est trop tard que leur investissement leur échappe et elles sombrent dans la dépression", explique l'athlète à la retraite, mère de deux enfants.

"Loups"

Comme pour Tirop, née dans une famille paysanne de la vallée du Rift, le succès sportif constitue pour de nombreux Kényans le moyen de sortir de la pauvreté.

Ils s'investissent dans des camps d'entraînement, lieux qui échappent souvent aux règles et connus pour être des foyers de dérives sexuelles. Deux camps dans la vallée du Rift ont été fermés ces dernières années par la Fédération kényane d'athlétisme (AK) pour avoir prétendument exploité des jeunes femmes.

"Il y a tellement de loups là-bas qui attendent pour s'attaquer à ces filles", souligne Tegla Loroupe, ancienne détentrice du record du monde du marathon, aujourd'hui âgée 48 ans.

Des agents payent les familles pour les convaincre de "forcer les filles à abandonner l'école prématurément et à participer à des courses à l'étranger", ajoute-t-elle.

"Les jeunes athlètes ne peuvent pas gérer la renommée et l'argent qui leur arrivent si soudainement", estime Wilfred Bungei, champion olympique 2008 du 800 m qui conseille désormais des athlètes en difficulté après avoir lui-même combattu l'alcoolisme.

Les jeunes hommes dépensent leur fortune dans des voitures de luxe ou dans l'alcool; les femmes peuvent, elles, être confrontées à des relations toxiques avec des hommes prédateurs, estime-t-il.

"Signal d'alarme"

"La mort de Tirop est un signal d'alarme", affirme à l'AFP le porte-parole de la fédération kényane, Dominic Ondieki.

"Les athlètes s'ouvrent maintenant et révèlent les problèmes auxquelles elles sont confrontées dans leur foyer. Il semble que la plupart souffrent en silence", souligne-t-il: "Elles semblent manquer du pouvoir de décision qui est souvent laissé à leurs maris qui prennent le plein contrôle des finances de la famille".

La fédération organise en décembre un atelier sur les droits économiques et sociaux des femmes dans leur foyer et dans leurs relations, en présence de psychologues du sport et des conseillers familiaux.

Mais selon beaucoup d'observateurs, le chantier reste énorme pour soutenir les jeunes femmes qui font la gloire de ce pays d'Afrique de l'Est.

Avec une carrière brillante, une famille et des investissements commerciaux lui assurant sa retraite, Mary Keitany est un rare exemple de réussite à la fois personnelle et professionnelle.

Pour l'ancienne athlète de 39 ans, qui n'a commencé à courir qu'après la naissance de son premier enfant, il faut d'abord que cesse la pression omniprésente sur ces femmes.

"Une femme athlète est censée avoir des enfants, se battre rapidement pour perdre du poids, se remettre en forme et reprendre la compétition afin de mettre de la nourriture sur la table pour toute la famille", affirme-t-elle: "Certains hommes ne font qu'attendre pour tirer profit de leur travail, ça devrait être sanctionné."

Par Le360 Afrique (avec AFP)
Le 23/10/2021 à 08h53, mis à jour le 23/10/2021 à 08h53