Jeux olympiques: la «fuite des muscles» prive l’Afrique de médailles

La «Bahreïnie» d’origine kenyane, Ruth Jebet, médaille d’or au 3000 mètres steeple aux JO de Rio 2016.

La «Bahreïnie» d’origine kenyane, Ruth Jebet, médaille d’or au 3000 mètres steeple aux JO de Rio 2016.. AFP

Le 27/08/2016 à 11h57, mis à jour le 06/09/2016 à 14h07

Ils sont de plus en plus nombreux ces Africains qui courent pour les pays du Golfe. Ils privent leurs pays d’origine de médailles certaines. Le phénomène de changement de nationalité prend une telle ampleur que les instances de l’athlétisme mondial comptent enfin arrêter l’hémorragie.

Aux Jeux olympiques de Rio 2016, l’Afrique a battu son record de médailles dans cette compétition en glanant 45 médailles dont 10 en or. Toutefois, des médailles qui étaient promises au continent lui ont échappé. C’est le cas du 3000m steeple dames, une spécialité africaine, pour ne pas dire plus exactement kényane. 

Seulement, lors des Jeux olympiques de Rio 2016, la médaille d’or dame de cette discipline a échappé au pays des Kikuyus. Et si la perte de cette course n’a pas été trop ressentie, c’est en grande partie par le fait que le vainqueur, Ruth Jebet, bahreïnie de nationalité, est d’origine kenyane et continue à s’entrainer dans son pays d'origine.

Reste que c’est une médaille potentielle de moins pour le Kenya et le continent. Et ce n’est malheureusement pas un cas unique. Ces athlètes africains optent de plus en plus pour les pays du Golfe.

23 athlètes naturalisés à Bahreïn en 2016 !

Seulement, le phénomène prend de l’ampleur. Certains pays en ont fait une spécialité. Ils partent à la recherche des perles rares, selon les spécialités souhaitées au Kenya, en Ethiopie et au Maroc pour les courses de demi-fond et fond, en Jamaïque et au Nigéria pour le sprint, etc. Et les monarchies du Golfe ont les moyens financiers énormes pour attirer les meilleurs espoirs africains dans le domaine de l’athlétisme.

Certains athlètes ont été attirés avec des salaires mensuels à vie compris entre 5000 et 10.000 dollars et d’autres primes pharamineux en cas de bonnes performances, rien à comparer avec les miettes qu’ils touchent dans leurs pays et où la concurrence est rude.

C’est dans ce contexte que l’émirat de Bahreïn a naturalisé 23 athlètes en 2016. L’une de ces dernières perles, la kenyane d’origine, Ruth Jebet, qui lui a offert la médaille d’or du 3000 mètres steeple. Agée de 19 ans seulement, la championne est une chance de médailles sur cette distance pour le Bahreïn durant les années à venir.

Sa compatriote Eunice Kirwa d'origine, a offert à son nouveau pays d’adoption la médaille d’argent du marathon dames. Ce sont les seules médailles du Bahreïn durant ces jeux olympiques. Il faut noter que la délégation Bahreïnie comptait 7 athlètes nigérians. Un pays aujourd’hui ruiné par les changements de nationalités de ses athlètes à cause surtout d’un environnement défavorable.

«Une migration de luxe»

Les pays du Golfe ne sont pas les seuls concernés par le phénomène. La Turquie également s’appuie de plus en plus sur la filière éthiopienne qui lui a permis de dominer les épreuves de demi-fond aux Championnats d’Europe, en juillet à Amsterdam. Le cas le plus célèbre reste celui du Danois d'origine kényane Wilson Kipketer qui a dominé le 800 mètres mondiale durant des années.

Face à l’ampleur des changements de nationalités dans l’athlétisme, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) compte sévir en rendant les changements d’allégeance plus complexes.

Reste que pour des pays comme le Kenya ou l’Ethiopie, le phénomène ne semble pas inquiéter les autorités. D’abord, à cause de la pauvreté. Il est difficile de maintenir tous les athlètes au pays sachant que certains d’entre eux, malgré leurs talents, risquent de ne jamais figurer dans les listes des sélectionnées lors des compétitions internationales.

Ensuite, les athlètes étant souvent issus de familles modestes, il est difficile de les empêcher d’opter pour des nationalités des pays à même de leur permettre de subvenir dans de meilleures condition à leurs besoins et à ceux de leurs familles. D’ailleurs, ce changement de nationalité est bien perçu au Kenya où il est assimilé à une migration de luxe, sachant que l’athlète bénéficie souvent d’un passeport mais pas la nationalité. Ce qui fait qu’il n’est pas coupé de son pays et retourne chez lui à la fin de sa carrière.

Enfin, le phénomène est amplifié par la corruption des dirigeants qui facilite l’octroi des autorisations aux jeunes athlètes. C’est dire qu’il sera malheureusement difficile de l’enrayer. L’Afrique risque au profit des pays nantis de perdre de plus en plus de médailles qui lui étaient destinées. 

Par Moussa Diop
Le 27/08/2016 à 11h57, mis à jour le 06/09/2016 à 14h07