De Dakar, au Sénégal, à Cotonou, au Bénin, de Bamako, au Mali, à Johannesburg, en Afrique du Sud, en passant par Kinshasa, en République démocratique du Congo, ou Brazzaville, au Congo, le wax hollandais est un tissu de référence en Afrique subsaharienne.
Le wax, particulièrement le Vlisko, la «rolls» du wax, domine tellement le marché du textile féminin africain, tout particulièrement en Afrique de l’ouest et centrale, où il est utilisé pour la confection de tenues tant traditionnelles que modernes, que ce tissu est considéré par beaucoup comme «africain».
Pourtant, le wax, adulé et faisant parti du «patrimoine culturel africain», presque méconnu en Europe, hormis dans la ville hollandaise de Helmond et dans certaines capitales européenne (Londres, Paris, etc.), est loin d’être «africain», mais bel et bien «hollandais».
Il n’empêche que le wax est très en vogue en Afrique subsaharienne, où il sert à confectionner de nombreux habits pour les femmes, mais aussi pour les hommes.
Et le super wax Vlisco est le tissu préféré des femmes durant les fêtes et les évènements marquants de la vie (sortie de maternité, mariage, etc.) dans de très nombreux pays. Pour les mariages, dans certains pays, certaines communautés exigent le super wax comme une partie intégrante de la dote.
Il a aussi fait le business de redoutables femmes d’affaires qui ont fait fortune grâce à ce tissu et qu’on surnomme les «Nanas Benz» -Benz faisant allusions aux voitures Mercedes Benz, allemandes, que s’offrent nombre d’entre elles pour marquer leur réussite.
Le wax, plus qu’un tissu
Ces femmes d’affaires ont d’ailleurs contribué à faire du wax plus qu’un simple tissu, en donnant une signification à chaque imprimé, faisant ainsi du wax un signe d’appartenance, de défiance, de communication, d’aisance sociale, d’événement, etc., pour mieux le commercialiser.
D’où les noms que porte le wax dans différents pays: «L’œil de ma rivale» (dans les cas de polygamie), «Si tu sors, je sors» (pour se jurerfidélité), «Mari capable», «Paracétamol», «Sac de Michelle Obama», etc. Du pur marketing, sachant que le nom est une consécration et fait vendre encore mieux le tissu.
Le wax porte aussi des noms d’illustres personnalités. Ainsi, l’imprimé lancé au moment de la visite du couple Obama en Afrique, en juin 2013, porte le nom du couple présidentiel américain.
Durant les campagnes présidentielles dans de nombreux pays africains –Gabon, Sénégal, Côte d’Ivoire, Guinée, Congo, etc.-, le wax est bien entendu de la fête. Des tissus sont imprimés avec l’effigie des candidats et tous les soutiens s’identifient à leur candidat en le portant.
Ainsi, dans l'esprit de beaucoup d’Africains, le wax est bel et bien africain, du fait de son appropriation par ceux-ci, en plus d’être tissé pour eux, et parfois par eux.
D’ailleurs, dans le monde entier, on a fini par associer le wax à la culture africaine.
De plus, s’il a fait la fortune de l’entreprise hollandaise Vlisco qui produit le «super wax», le wax est distribué en Afrique par des Africains et a un impact économique indéniable dans le continent, où il est à l'origine de la fortune de plusieurs opérateurs économiques, celle des Nanas Benz.
Le Wax est africain à cause d’une imperfection
Mais comment ce tissu non africain est devenu incontournable en Afrique a tel point qu’il est considéré comme faisant partie intégrante du patrimoine culturel africain?
L’histoire du wax en Afrique remonte loin dans le temps, car intimement lié à la colonisation. Selon certaines sources, ce sont les recrues ouest-africaines installées dans Indes orientales néerlandaises au début du XIXe siècle, notamment des guerriers Ashantis de la Côte-de-l’or (l'actuel Ghana), envoyés pour combattre à Sumatra et à Bornéo, qui sont revenus, après cette expédition, avec des malles remplies de tissus batiks. L’engouement créé par ces tissus de la part des Ashantis a ensuite poussé les Anglais à s’inspirer de la technique de production du batik javanais et de la cire pour produire du wax (wax signifiant cire en anglais).
Toutefois, le wax anglais n’a pas réellement fait sensation. Ce sont, par la suite, les Hollandais qui ont récupérée cette idée et surtout ce nom, tout en perfectionnant la technique de production. Leur objectif premier était de fabriquer un tissu destiné au marché indonésien du batik, grâce à un processus industriel -la révolution industrielle battait alors son plein en Europe.
Toutefois, le tissu wax hollandais, inspiré du batik, n’a pas eu le succès escompté auprès des Indonésiens, qui l'ont boudé, jugeant qu’il était imparfait, à cause de ses craquelures.
Mais voilà: contrairement aux Indonésiens, les Africains ont apprécié ces «défauts» du wax hollandais, notamment ses craquelures qui donnent des irrégularités à ce tissu. Cette situation a poussé les Hollandais et les Anglais à trouver en Côte-de-l’or (aujourd'hui le Ghana) un débouché idéal, le champ ayant déjà été défriché par les guerriers Ashantis et leur tissu batik.
Plus de170 ans et pas une ride
C’est ainsi que petit à petit, d’un marché de substitution en Côte-de-l’or, le commerce du wax en Afrique a pris forme. L’entreprise Van Vlissingen & Co (devenue Vlisco) a dépéché des «commerciaux» au port de la Côte-de-l’or, où sont vendus les tissus, pour connaître les attentes des clients africains. Un peu plus tard, des missionnaires catholiques ont apporté, eux aussi, leur pierre à la pénétration du wax dans le continent africain, au nom de la sacro-sainte lutte contre la nudité des femmes africaine, par leurs prêches pour un pagne africain.
C’est ainsi que le wax a quitté la Côte-de-l’or pour se diffuser dans toute l’Afrique subsaharienne, particulièrement en Afrique de l’ouest, son berceau africain, puis en Afrique centrale.
Après avoir conquis les populations africaines depuis plus de 170 ans, il a gagné petit à petit le domaine de la mode. Les défilés inspirés par le continent à Paris, Milan ou New York, accordent désormais une place de choix aux wax, notamment grâce au talent des créateurs et des stylistes africains «waxophiles», qui l’utilisent pour leurs collections de prêt-à-porter.
En 2015, le wax est célébré comme étant un must have de la mode, et ce, dans le monde entier, grâce aux modèles portés par Lady Gaga, Rihanna et d’autres célébrités. De grands noms de la mode africaine se font alors connaître, comme le Nigérien Alphadi.
C’est donc en toute logique que pour fêter ses 170 ans d’existence, l’entreprise Vlisco a confié une collection marquant cet anniversaire à des créateurs africains, avec comme une thématique: «hommage à la femme africaine».
Pourquoi cet tissu étouffe t-il le tissu africain?
Si le wax est considéré comme un tissu africain, c’est avant tout parce que plus de 90% de la production hollandaise est exportée vers l’Afrique. C’est aussi le cas des «wax chinois», «wax anglais», sans compter ceux fabriqués en Afrique.
Ce sont presque exclusivement les Africains qui portent ce tissu aux couleurs vives. Les principaux pays importateurs sont la RD Congo, le Togo, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Nigeria, le Cameroun, le Mali, etc.
Le reliquat de la production de l’unité hollandaise de Vlisco est presque totalement exporté vers la France et le Royaume-Uni où se trouvent d’importantes diasporas africaines ou d’origine africaine. C’est dire que la production hollandaise est destinée quasi-exclusivement aux Africains.
Même le Nigeria, qui a très longtemps résisté au wax hollandais en protégeant durant 40 ans son industrie textile et son «Lagos» qui s’apparente au wax, mais qui est de qualité largement inférieure, a fini par s’ouvrir au tissu hollandais.
Depuis janvier 2017, un accord a été signé avec Vlisco, ouvrant ainsi officiellement au wax hollandais le plus important marché d'Afrique, le Nigeria étant constiutué de 190 millions de consommateurs.
Ainsi, le wax a étouffé, puis supplanté, les tissus traditionnels africains pour devenir une part de l’identité africaine. En conséquence, la plupart des tissus africains sont en voie de disparition, sinon relégués à des utilisations de niches. C’est notamment le cas du Kenté (Ghana), du Bogolan (Mali), du Faso dan fani (Burkina Faso), du Ndop bamiléké (Cameroun), etc.
Pourquoi une telle domination du wax hollandais dans le marché africain? D’abord, celle-ci est historique, les premiers wax ayant débarqué au Ghana bienlongtemps avant les indépendances africaines. Ce qui fait que le Ghana est toujours l’une des principales destinations du wax hollandais en Afrique, mais aussi le pays des premières unités de fabrication du wax en Afrique.
Des unités industrielles africaines s’y mettent
Ainsi, le fabricant le plus célèbre du «wax hollandais», Vlisco, fondé en 1846, a réservé jusque dans les années trente ses créations aux élites africaines, notamment les élites politiques et les cours royales africaines, notamment celles de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Togo, du Nigeria, etc., où le wax côtoie les véritables tissus africains.
Dans les années trente, Vlisco a progressivement élargi sa clientèle pour toucher presque toutes les couches de la population, éliminant petit à petit les tissus artisanaux africains.
Il y a également le fait que les créations de Vlisco s’inspirent de végétaux, de minéraux, de figures géométriques, de calligraphies, autant de signes chers aux Africains, qui apprécient ces innombrables motifs.
De plus, l’entreprise essaye de respecter les codes, les goûts, les us et les religions de chaque région de ce marché gigantesque que constitue l’Afrique subsaharienne.
Ainsi, les commerciaux de Vlisco ont systématiquement su adapter l’offre à la demande de chaque région, sachant que les musulmans n’aiment généralement pas les tissus avec des dessins de parties du corps, et préfèrent les motifs géométrique ou plus abstraits, ou encore que certaines communautés ont des préférences pour telle ou telle couleur, etc.
Par ailleurs, la qualité du wax hollandais fait l’unanimité. En effet, le wax est un tissu de qualité, bien tissé et bien imprimé, qui dure plus longtemps et dont la teinture ne se défraîchit pas facilement.
Faiblesses structurelles des tissus africains
Contrairement au wax, qui remporte un franc succès dans presque toute l'Afrique, les tissus africains sont toujours associés à un pays: le Batik et le Kenté au Ghana, le Bogolan au Mali, le Faso dan fani au Burkina Faso, le Ndop bamiléké au Cameroun, etc.
De même, l’une des forces qui ont permis au wax de pénétrer le marché africain est son réseau de distribution, qui repose grandement sur des femmes africaines.
C’est d'ailleurs au Togo que le wax a trouvé ses meilleures ambassadrices en Afrique, des commerçantes très puissantes, les fameuses «Nanas Benz» qui se sont enrichies grâce au wax de Vlisco, dès le début du XXe siècle. Ce commerce est d'ailleurs entretenu de génération en génération. Vlisco aussi, compte une trentaine de boutiques de vente de wax de luxe, exclusivement dédiées à sa marque, dans de nombreux pays africains.
Enfin, cette domination s’explique par l’incapacité des Africains à industrialiser les processus de fabrication de leurs tissus artisanaux.
Autant de qualité qui font que le wax a de grands défenseurs en Afrique.
Il reste que face à cette domination, certains Africains n’hésitent pas à critiquer le fait «qu’un tissu d’importation fasse autant d’ombre à d’autres [tissus] qui sont réellement africain».
C’est ce refus de la domination du wax importé qui a poussé certains pays du continent à se lancer dans la production d'un «wax africain».
Ce fut d’abord au Ghana, pays considéré comme le berceau de l’engouement du wax en Afrique, que les premières industries de ce wax made in Africa se sont développées, sous l’impulsion du président Kwame Nkrumah, qui a instauré des droits de douane prohibitifs en 1960, pour encourager les premières unités de wax en Afrique, censées contrer le monopole du tissu hollandais.
Le Ghana a encuite été suivi par le Bénin avec la Société Dahoméenne de Textile (SODATEX) devenue la Société Béninoise de Textile, puis la Côte d’Ivoire avec Unimax, rachetée par le hollandais Vlisco qui y produit un wax africain de qualité inférieure, suivent ensuite le Sénégal avec Sotiba et la Simpafric, et le Niger avec Sonitextile devenue Enitex en 1997...
Les chinois aussi s’y mettent, mais…
Vlisco est présent en Afrique à travers deux filiales en Côte d’Ivoire (Unimax) et au Ghana (GTP et Woofin), qui emploient un total de 1.800 Africains, soit deux fois plus de salariés qu’en Europe.
Toutefois, la qualité du wax africain est loin d’égaler celle du super wax hollandais. Même les filiales africaines de Vlisko produisent du wax destiné à la classe moyenne africaine, avec des designers locaux, mais d’une qualité loin d’égaler celle du wax produit à Vlisco.
On trouve enfin du wax chinois, dont la qualité est parfois décriée, car l'apprêt n'est pas durable. Le wax chinois coûte beaucoup moins cher et est de moins bonne qualité, notamment en raison de la faible durabilité du tissu.
Cette concurrence chinoise fait surtout mal au wax fabriqué dans un certain nombre de pays africains. Il est à l’origine de la fermeture de nombreuses unités industrielles africaines.
Processus de production
Pourquoi alors le wax hollandais résiste, même à l’arrivée des Chinois? Cela s’explique grandement par son processus de production, particulièrement pour le produit phare, le Vlisco, le «super wax» produit dans l’usine textile Vlisco implantée à Helmond, dans les environs d’Eindhoven, dans le sud des Pays-Bas, depuis 1846, quand Pieter Fentener Van Vlissingen avait importé la technique de la colonie néerlandaise et industrialisé la production.
C’est dans cette unité qu’est produit 24h/24 ce précieux tissu depuis plus de 170 ans. Il sort annuellement de cette fabrique 70 millions de mètres de cet emblématique et réputé increvable tissu, aux motifs artistiques et aux coloris originaux.
Le tissu produit est coupé en pièces de 6 et 12 yards (environ 5,5 et 11 mètres), soit l’équivalent de 3 et 6 pagnes.
Le «super-wax», le nec plus ultra chez Vlisco, «le véritable Wax Hollandais», produit uniquement dans l’usine d’Helmond, aux Pays-Bas, nécessite jusqu’à 28 étapes de fabrication, depuis le blanchiment du tissu jusqu'à ses différentes teintes, en passant par la presse dont les sillons sont remplis de cire chaude, les bains d’indigo, le nettoyage mécanique, etc.
L'action la plus complexe consiste à apposer de la cire chaude et fluide sur le tissu de coton qui doit être totalement revêtu, des deux côtés, afin de protéger ses couleurs et de garder intact l'éclat de ses teintures, avec la même qualité.
La technique d'enduction a été perfectionnée au fil des ans. Le tissu imprimé est ensuite lavé à plusieurs reprises pour débarrasser la cire. Il s'agit là d'un processus unique dans le monde, et qui fait la particularité du wax.
Le secret de sa fabrication est un des secrets industriels les plus jalousement gardés, notamment en ce qui concerne le processus de création des couleurs. La recette de la fabrication des couleurs est unique.
Vlisco, secret d fabrication bien gardé
Les cires utilisées sont colorées et forment des motifs qui varient à l'infini. Vlisco dispose dans ses archives plus de 300.000 motifs, dont certains sont produits sans discontinuer depuis plus d’un siècle.
Des motifs influencés par la faune, la flore, la création artistique, l’art, la photographie, la nature, les objets de la vie quotidiennes... De l’Afrique et des Africains.
Copié, mais jamais égalé, le wax hollandais continue de faire le beurre des Hollandais, alors que Vlisco appartient désormais à un fonds d’investissement britannique, et le bonheur des Africaines, malgré le fait que wax hollandais coûte cher.
Il faut compter entre 60 et 120 euros (hors frais de couture) pour le pagne nécessaire pour se faire une tenue complète. Au Bénin, il faut débourser entre 40.000 (61 euros) et 100 000 francs CFA (152 euros) le pagne (2 yards).
Quant aux autres wax africains du groupe hollandais, les prix descendent jusqu’autour de 13.000 francs CFA le pagne pour le woodin, produit au Ghana. Et bien moins pour les autres wax des unités industrielles africaines...
Le wax, un processus de production mondialisé
Ce tissu est donc de plus en plus imité, et le géant néerlandais souffre des imitations asiatiques, notamment chinoises, qui inondent le marché africain. Face à cette situation, Vlisco a fait breveter toutes ses créations.
L’entreprise dispose donc aujourd'hui de quatre marques: Vlisco, Woodin, Unimax et GTP. Les trois dernières marques, de qualité moindre et beaucoup moins chères, sont également fabriquées en Afrique, où le groupe Vlisco possède des participations majoritaires dans deux usines. Le Ghana et la Côte d’Ivoire produisent en effet des tissus wax, commercialisés sous les marques Unimax (Côte d’Ivoire), GTP et Woodin (Ghana).
Qualifier aujourd'hui le wax de tissu «africais» ou «hollandais» relève donc de la gageure, même si la quasi-totalité de la production du wax, toutes qualités confondues, est destinée aux Africains.
En effet, le wax n’a pas échappé à la mondialisation. Pas moins de 3 continents entrent désormais dans son processus de fabrication. Le coton qui sert à sa confection est en partie africain (Côte d’Ivoire, Bénin, Zambie, etc.) et asiatique, le tissage se fait désormais en Chine et l’impression des motifs du tissu, qui fait toute sa différence, reste la marque déposée de Vlisco (Hollande) et ce, depuis plus de 170 ans, et ce, même si ces motifs proviennent de l’héritage de la culture africaine.