Afrique de l’Ouest: la guerre des ports aura bien lieu

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Le 16/01/2020 à 12h09, mis à jour le 16/01/2020 à 12h17

Etre indépendant de ses voisins et être, surtout, la source d’approvisionnement de l’hinterland: voilà tout l’enjeu de cette guerre, qui anticipe aussi l’arrivée de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). Voici pourquoi investir dans le développement des ports est si important.

Faire tomber de son piédestal le Port de Lomé (Togo) ne sera certes pas aisé. Mais entre les différents pays d’Afrique de l’Ouest, la guerre des ports est désormais déclarée, et chacun s’y emploie activement.

A coup d’investissements colossaux, chaque pays essaye désormais de s’offrir un port en eaux profondes, ainsi que de meilleurs services portuaires, dans le but d’améliorer sa compétitivité, et de se positionner de façon avantageuse face aux grands enjeux du continent, dont l’entrée en vigueur, en cette année 2020, de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca). 

A ce titre, on peut noter que si les ports nigérians visent surtout à répondre aux besoins du pays, ceux des autres pays d’Afrique de l’Ouest ont plutôt des ambitions régionales, notamment l’approvisionnement de l’hinterland. 

C’est donc, en conséquence, à une véritable course à la taille et à l’amélioration de la qualité des services offerts, à coup d’investissements colossaux, que se livrent ces pays. Une situation qui va inéluctablement intensifier la concurrence entre ces différents pays, le tout, dans le but de contrôler l’approvisionnement de l’hinterland, et de figurer parmi les plus compétitifs de la région.

Ainsi, si le Port Autonome de Lomé est aujourd’hui cité comme étant un exemple dans la qualité des services qu’il offre, et a même détrôné celui de Lagos, en devenant le premier port à conteneur de l’Afrique de l’Ouest, les importants investissements, actuellement en cours, dans d’autres pays limitrophes, devraient considérablement, dans les années à venir, réduire le gap existant entre les différentes infrastructures portuaires de la région.

A terme, la concurrence portuaire entre les pays de la région sera intensifiée, ceux-ci comptant bien s’intégrer davantage dans le commerce mondial, en éliminant cet obstacle du déficit de leurs infrastructures portuaires.

Togo. Le Port autonome de Lomé: un solide leader régional

Le Port Autonome de Lomé (PAL) a connu une profonde mutation au cours de la décennie écoulée, faisant de cette plateforme, et de loin, la plus moderne de l’Afrique de l’Ouest et Centrale, et l’une des meilleures du continent.

La rapidité des opérations, l’excellente connectivité du port avec les pays limitrophes, des équipements de pointes, la possibilité d’accueillir des navires de troisième génération grâce à son tirant d’eau de 16,60 mètres et l’ouverture du port 24h/24, figurent parmi les grands atouts de la plateforme portuaire togolaise, classée parmi les plus modernes du monde. Cela a été rendu possible grâce à des investissements estimés à plus de 1 milliard de dollars, qui ont contribué à la dynamique et à l’attractivité de ce port, devenu le meilleur port de transbordement de la sous-région. 

Le trafic du port de Lomé n’a d’ailleurs cessé de croître, pour atteindre 19 million de tonnes en 2017, et 22 millions de tonnes en 2018.

Les porte-conteneurs préfèrent donc, en conséquence, décharger leurs conteneurs dans ce port, devenu aujourd’hui le premier port à conteneurs d’Afrique de l’Ouest, avec un trafic de près de 1,2 million d’équivalents vingt pieds (EVP). 

Le port de Lomé ne compte d’ailleurs pas s’arrêter là. Dans le cadre du Plan national de développement (PND) couvrant la période 2018-2022, le Togo prévoit une transformation en profondeur du port de sa capitale. Un accent particulier sera mis sur la qualité de ses services, dans l’optique d’en faire l’infrastructure portuaire la plus efficace de la sous-région, grâce à l’optimisation des opérations portuaires qui y sont effectuées.

Les opérateurs du port comptent donc investir de nouveau, et massivement, pour développer cette plateforme et conserver sa position de leader des ports de transbordement en Afrique de l’ouest.

C’est le cas du groupe français Bolloré, qui vient d’investir, pour construire un troisième quai, doté d’un bassin de 15 mètres de profondeur et long de 450 mètres. De même, Lomé Container Terminal investit de son côté 324 millions d’euros pour un terminal de transbordement. 

L’objectif fondamental sera, à terme, de faire passer le temps moyen de passage au port à 24 heures à l’horizon 2022, et d’accroître le volume des conteneurs traités à 3,05 millions de conteneurs EVP.

Doté des infrastructures lui permettant d’accueillir de grands navires et une bonne connectivité permettant de dispatcher plus facilement conteneurs et marchandises vers les pays voisins, le Port Autonome de Lomé compte également se doter d’une plateforme multiservice pour accélérer le traitement des marchandises, accroître son trafic et donc garder son avance sur le reste des ports de la région, mais aussi pour maintenir son enviable position de leader régional, en ce qui concerne les transbordements, et, surtout, d’en faire la première source d’approvisionnement de l’hinterland. 

En clair, le PAL ne compte pas céder d’un pouce son actuelle suprématie, face aux nouvelles ambitions qu’affichent les autres pays côtiers d’Afrique de l’Ouest. 

Sénégal. Un port à 2 milliards de dollars, pour dépasser l’engorgement du Port de Dakar

Le Port Autonome de Dakar bénéficie d’une position géographique exceptionnelle, du fait qu’il se situe sur la pointe la plus avancée de la côte ouest-africaine, ce qui en fait un véritable carrefour des routes maritimes entre l’Afrique, l’Europe et l’Amérique.

En outre, le Port de Dakar constitue la porte d’entrée d’une importante partie des marchandises à destination du Mali, pays quant à lui enclavé. Autant d’atouts géographiques qui font que celui-ci peut jouer un rôle important au niveau des échanges commerciaux de la région. 

Seulement voilà: le Port Autonome de Dakar (PAD), construit en 1867, est actuellement à la traîne, loin d’autres de la région, particulièrement ceux de Lomé (Togo), Tema (Ghana), Abidjan (Côte d’Ivoire) et Lagos (Nigeria).

Pour faire face à la concurrence, le PAD a lancé les travaux d’extension du Mole 3 de son infrastructure, afin de pouvoir accueillir de grands navires d’une capacité de 35.000 tonnes, pouvant atteindre une longueur de 190 mètres. Ces travaux vont permettre à ce port, à terme, d’accroître le volume de son trafic de conteneurs, à 1,2 million de conteneurs EVP à l’horizon 2022, contre 800 000 enregistrés en 2018. 

Il faut toutefois souligner que le PAD, en termes de tonnages traités, est aujourd’hui l’un des plus importants ports de la sous-région. En 2018, son trafic s’était établi à 19,22 millions de tonnes, dont 3 millions à destination du Mali. Le port de Dakar a également traité 700 000 conteneurs EVP. 

Toutefois, ce port, situé en plein cœur de Dakar, souffre d’une importante congestion, qui entrave son développement. Les va-et-vient des 2.000 camions qui le fréquentent quotidiennement sont la source d’importants embouteillages dans la capitale sénégalaise, et causent d’énormes désagréments. 

Face à cette situation difficilement tenable pour sa compétitivité, les autorités sénégalaises ont annoncé la construction d’une nouvelle plateforme portuaire, le Port de Ndayane, dans la région de Thiès, que DP World souhaite réaliser.

D’un investissement estimé à 2 milliards de dollars, ce nouveau port, qui sera réalisé sur une aire de 1.800 hectares, et sera adossé à une Zone économique spéciale, sera doté d’un tirant d’eau de 20 mètres, ce qui permettra d’accueillir de grands bateaux, à l’instar des ports en eaux profondes de la région, dont particulièrement celui de Lomé.

Avec ces investissements, et la remise sur les rails du chemin de fer Dakar-Bamako, annoncé dernièrement par le président sénégalais Macky Sall, baptisé Dakar-Bamako ferroviaire (DBF), le Sénégal pourrait espérer conserver son rôle dans l’approvisionnement du Mali, pour lequel il assure actuellement 65% du trafic maritime: ce pays représente en effet 18% du trafic de la plateforme portuaire sénégalaise. Le Sénégal, avec la remise en marche de la ligne ferroviaire entre Bamako et Dakar, souhaite porter ses parts à plus de 80% du trafic malien. 

Toutefois, en Côte d’Ivoire, le Port d’Abidjan, en retrait depuis plusieurs années, ne compte vraiment pas se laisser distancer. Abidjan compte bien grignoter des parts de marché au Port de Dakar, sur le marché malien, grâce à ses infrastructures modernes, et à son réseau routier. C’est dire que la bataille pour le contrôle du trafic à destination du Mali sera très rude entre ces deux ports ouest-africains.

Côte d’Ivoire: le Port autonome d’Abidjan, le plus gros en termes de tonnage traité

Après avoir enregistré un record dans son trafic, avec environ 26 millions de tonnes enregistrés en 2019, le Port autonome d’Abidjan (PAA) compte asseoir sa position dans les années à venir, grâce à d’importants investissements. 

Pour y arriver, ses responsables se sont engagés, ces dernières années, dans l’extension et la modernisation de ses infrastructures. L’élargissement du canal de Vridi, la construction d’un nouveau terminal, RoRo, la construction d’un second terminal à conteneur, la construction d’un terminal céréalier dont la cérémonie de pose de la première pierre est prévue au cours de ce mois de janvier 2020, ainsi que la modernisation de son terminal minéralier figurent parmi les importants projets lancés au cours de la décennie écoulée, et dont certains ont été livrés l’année dernière.

Ces projets, actuellement en cours de finalisation, vont drastiquement changer la physionomie du Port d’Abidjan. Celui-ci pourra ainsi accueillir à partir de cette année, avec l’inauguration de son nouveau terminal doté d’un tirant d’eau de 16 mètres, de grands porte-conteneurs, qui préféraient jusqu’à présent accoster dans le port de Lomé.

Le 9 janvier dernier, le directeur général du Port autonome d’Abidjan (PAA), Hien Sié, a souligné que l’infrastructure qu’il dirige entendait bien poursuivre sa dynamique de développement en cette année 2020, avec la mise en œuvre de divers projets, dans le but de consolider sa place de leader sous-régional.

«L’effort de modernisation du port d’Abidjan pour le rendre plus attractif et donc plus compétitif se poursuit», a-t-il expliqué.

Avec ces investissements, et la viabilisation de 40 hectares de terrains, désormais remblayés, pour la création d’une nouvelle zone industrielle, ainsi que l’extension du réseau routier, le Port d’Abidjan souhaite devenir un hub régional, et une porte d’entrée des marchandises vers les pays de l’hinterland (dont, tout particulièrement, le Burkina Faso et le Mali).

D’ailleurs, en 2019, la croissance du trafic du Port d’Abidjan a été très forte pour les marchandises en transit. Le port a ainsi enregistré un trafic en hausse de 26% en ce qui concerne les transits, un taux de croissance de 8% sur les transbordements, et une croissance de 7% au niveau du trafic global des marchandises, pour un total de 25,83 millions de tonnes traitées.

Ghana: le Port de Tema veut devenir le hub de la région

Le Ghana ne cache pas ses ambitions, et entend bien devenir, à terme, un méga-hub maritime en Afrique de l’Ouest -et donc déclasser le Port de Lomé de son actuel leadership régional. Pour y arriver, le gouvernement ghanéen ne lésine pas sur les investissements. 

A ce titre, dès 2015, les autorités ghanéennes et leurs partenaires –APM Terminals et Bolloré Africa Logistics- ont annoncé un investissement de l’ordre de 1,5 milliard de dollars, visant l’extension et la modernisation du port de Tema, situé sur la côte Atlantique, à 25 kilomètres à l’est de la capitale, Accra. 

Cet investissement vise à tripler la capacité annuelle actuelle du port à conteneurs de Tema, en la portant à 3,5 millions de conteneurs EVP (l’équivalent de vingt pieds), et d’en faire le port le plus performant de la sous-région Afrique de l’Ouest. 

De ce programme, une somme d’un milliard de dollars a déjà été investie, et certains projets du programme sont d’ores et déjà finalisés. C’est le cas du nouveau terminal à conteneurs, disposant d’un quai de 1,4 km de long, et doté d’un chenal d’accès portuaire de 19 mètres de profondeurs, contre un tirant d’eau de 11,5 mètres. Des installations qui font de ce port celui qui dispose du tirant d’eau le plus profond de la région. D’ailleurs, sa mise en service a été un succès. 

Grâce à cette importante installation, le port de Tema est désormais à même d’accueillir de très grands porte-conteneurs qui, jusqu’à présent, préféraient accoster au port de Lomé, au Togo. 

Le Ghana compte donc bien faire de sa plateforme, un important centre de transbordement d’Afrique de l’Ouest. Ainsi, dans une récente déclaration, Michael Luguje, directeur général de la Ghana Ports and Harbours Authority (GPHA) a souligné que d’importants investissements ont été réalisés pour permettre aux ports du Ghana de faciliter le commerce intra-africain et tirer profit de la mise en place de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zleca).

«Si vous regardez l’infrastructure portuaire et ses capacités de traitement des conteneurs, le Ghana est aujourd’hui leader en Afrique de l’Ouest et du Centre», a-t-il souligné. 

A ce titre, outre le Port de Tema, le Ghana a également fait du Port de Takoradi un hub pétrolier et gazier, qui pourra satisfaire les demandes des pays de la région. 

Le Ghana peut ainsi fortement concurrencer les ports de Lomé et d’Abidjan, en ce qui concerne les approvisionnements des pays de l’hinterland, et donc est à même de jouer un rôle majeur dans le trafic de transbordement. 

Bénin: le Port autonome de Cotonou, le poumon du pays menacé

Les autorités béninoises souhaitent développer le Port autonome de Cotonou (PAC). Pour y arriver, ils ont confié, en 2018, la gestion de ce port à Port of Antwerp International (PAI), une filiale du port d’Anvers, second port d’Europe après celui de Rotterdam, et surtout premier port expéditeur de véhicules d’occasion vers l’Afrique. 

L’objectif affiché des autorités béninoises est de rattraper leur retard pris par rapport aux ports de la région, tout particulièrement ceux de Lomé, au Togo, et et de Téma, au Ghana, du fait que celui de Cotonou a atteint ses limites. Et de fait, les porte-conteneurs restent en rade durant une journée alors que les vraquiers, quant à eux, peuvent y rester une bonne semaine.

Un programme d’investissement de plus de 500 millions de dollars est donc prévu, couvrant la période 2019-2021, en vue de moderniser et d’étendre les capacités du port. Les travaux doivent démarrer cette année. L’objectif des autorités béninoises est de pouvoir faire accoster des bateaux de plus de 300 mètres, comme c’est actuellement le cas dans le port de Lomé.

De plus, le port de Cotonou compte porter sa capacité de traitement à 800.000 conteneurs EVP à l’horizon 2025, contre 526.000 actuellement. Un nouveau terminal vraquier sera également mis en place, ainsi qu’une zone logistique, sous autorité de la douane béninoise, d’une superficie de 50 hectares, dans le but de desservir l’hinterland. 

Avec plus de 10 millions de tonnes de fret annuel, le port de Cotonou a longtemps figuré parmi les leaders de la sous-région. Le port béninois doit sa position grâce, notamment, à ses relations avec des pays de l’hinterland que sont le Niger, le Mali, le Burkina Faso, le Nigeria et le Tchad. Le port béninois est d’ailleurs le premier port de transit du Niger, pays frontalier totalement enclavé, et qui dépend donc du Bénin pour ses exportations d’uranium, extrait dans le nord nigérien, mais aussi pour ses importations de marchandises.

Environ 4 millions de tonnes de marchandises importées par le Niger ont transité, en 2018, par le port de Cotonou. Au total, plus de 50% du trafic du fret du port de Cotonou est, en fait, destinée à ses pays voisins. 

Avec ces investissements, le port de Cotonou espère continuer à jouer les trouble-fêtes dans la région, au moment où tous les pays disposant d’une ouverture sur l’océan Atlantique sont engagés dans des projets d’extension de leurs ports. 

Les autorités béninoises n’ont, d’ailleurs, guère le choix. Le port de Cotonou est, de loin, le poumon économique du pays: il pèse environ 60% du PIB béninois, 80% de ses recettes douanières, et génère pour près de 45% des recettes fiscales du pays. Or, la dynamique de ce port est intimement liée à la demande nigériane. 

Les autorités portuaires béninoises devront donc faire face aux désidératas des autorités nigérianes, qui ont fermé la frontière entre les deux pays, pour lutter contre la contrebande, qui concerne un marché de presque 200 millions d’habitants, distant de quelques dizaines de kilomètres à peine du port de Cotonou.

Avec ses investissements consentis en termes de capacité et de sa qualité de services, ainsi que l’adossement du port de Cotonou au second port européen -Port of Antwerp International (PAI)-, le Bénin compte bien faire face à l’intensification de la concurrence, qui s’annonce décidément très rude, entre les différents pays d’Afrique de l’Ouest que la géographie a dotés d’une façade sur l’océan Atlantique.

Par Moussa Diop
Le 16/01/2020 à 12h09, mis à jour le 16/01/2020 à 12h17