D'après les autorités ivoiriennes, la gouvernance locale de 58 des 63 villages Atchan ou Ebrié, peuple autochtone d'Abidjan, la capitale économique, est encore secouée par des querelles.
C'est le cas d'Adjamé-Bingerville, village Ebrié de plus de 5.000 âmes, à l'est d'Abidjan. Ici, une crise de succession a éclaté le 14 juillet 2021 avec d'un côté le camp de Mobio Aboussou, actuel chef reconnu par les villageois, qui a donc la légitimité, et celui d'Awaka Agbo, qui a la légalité puisqu’il possède un arrêté des autorités administratives en qualité de chef, mais qui ne peut gouverner puisqu'il est contesté par les villageois. Vue cette situation, Adjamé-Bingerville est désormais gouverné par le sous-préfet de Bingerville, commune à l’est d’Abidjan en attendant un dénouement heureux de la crise.
«Nous voulons la paix dans ce village et que le chef soit désigné selon nos us et coutumes pour qu’on continue d’entreprendre nos activités dans la paix», souhaite Louise Gouédji, habitante d’Adjamé-Bingerville et cheftaine de la catégorie dougbô Agban.
Lire aussi : Côte d'Ivoire: polluée, Abidjan la «perle des lagunes» a perdu de son éclat
Et chez les Atchan, les us et coutumes prévoient que c'est la génération au pouvoir qui choisit en son sein, par vote ou consensus, un membre, puis le présente à la communauté pour l'approbation populaire. Ensuite, le doyen d'âge du village le bénit par la libation en le consacrant chef et l'administration entérine le choix avec la délivrance d'un arrêté. Et cette procédure aurait été respectée dans le cadre de la désignation de l'actuel chef Mobio Aboussou en avril 2021 d'après les villageois. Mais le contestataire Awaka Agbo aurait, en complicité avec le sous-préfet de Bingerville, organisé en parallèle, et illégalement, une autre procédure. Laquelle l'a consacré chef du village. Une guéguerre qui met à mal la cohésion sociale dans le village.
«Selon la loi, les chefs de village sont désignés selon les us et coutumes dont ils relèvent. C'est une compétence exclusive des communautés villageoises dans toute la Côte d’Ivoire. Ce sont donc les communautés villageoises qui désignent elles-mêmes les chefs de village. L'administration n'y prend pas part», explique maître Wesley Latte, un avocat et spécialiste des questions de crise.
Lire aussi : Côte d'Ivoire. Municipalités: apaisement à Abidjan après la victoire du PDCI au Plateau
Quatre générations composent le peuple Atchan: les bléssoué, les gnandô, les tchagba et les dougbô. Chaque génération passe 15 ans au pouvoir et cède la place à la suivante. Et depuis 2020, ce sont les tchagba qui sont en place. Malgré la constitution de 2004 adoptée par ce peuple pour une gouvernance plus moderne et pacifiée des villages, l’instabilité continue de secouer les chefs, mais certains gardent espoir en un futur paisible aux bords de la lagune Ebrié.
«A toute la population du peuple Atchan, à tous les chefs, je demande de prier beaucoup pour notre peuple et de rester mobilisés, sereins, car nous ferons de notre mieux pour que nos villages soient stables et c’est notre priorité», a déclaré Sévérin Nangui Djorogo, président du collectif des chefs Atchan.
Lire aussi : Ces chantiers qui vont changer le visage d’Abidjan d’ici 2020
Notons que la Côte d’Ivoire a adopté en juillet 2014 une loi pour mieux encadrer la désignation des rois et des chefs de village, de tribus, de cantons, de provinces. Laquelle souligne que la désignation de ces derniers se fait selon les us et coutumes spécifiques à chaque ethnie. Huit ans après l’adoption de cette loi, les conflits de succession continuent d’éclater dans le pays avec souvent des pertes en vies humaines et des dégâts matériels importants.