Mali: des débris de l’ère moderne, il sculpte l’esprit des Kôrêdugaw, un rite de sagesse en perdition

Œuvre d'Ibrahim Bemba Kébé composée de débris recyclés.

Le 01/09/2024 à 15h08

VidéoVieux bidons, claviers usagés, téléphones hors d’usage... voilà la matière première, qui une fois passée par les mains expertes d’Ibrahim Bemba Kébé, prend les formes de sculptures qui «bouleversent nos perceptions», des personnages d’une société secrète, les Kôrêdugaw, que l’Unesco rappelle l’urgence de sauvegarder.

La ville de Bamako regorge de déchets plastiques non biodégradables et électroniques difficiles à recycler qui mettent en péril l’environnement et peuvent même causer des problèmes de santé publique. Dans une démarche de création artistique et citoyenne, Ibrahim Bemba Kébé, artiste pluridisciplinaire qui vit et travaille à Bamako, récupère ce bric-à-brac d’où prendront formes des objets d’art.

De débris aussi improbables que de vieilles de motos ou des sachets plastiques, il en fait des personnages comme ce cycliste transportant de l’eau, des statuettes, des femmes portant des fagots sur la tête.

Diplômé du Conservatoire des arts et métiers multimédias Balla Fasséké Kouyaté en 2017, Ibrahim Bemba Kébé se réapproprie un pan d’histoire de son pays, le Mali et ses croyances qui se perdent dans l’entrelac des siècles et des rites. Dans ses créations artistiques, les «Kôrêdugaw», cette société secrète à laquelle on faisait appel pour apaiser les tensions entre deux clans, sont omniprésents «fétiches de notre temps, ces sculptures emportent notre imaginaire et bouleversent nos perceptions», écrit à ce propos un site spécialisé.

Dans une note de présentation intitulée «La société secrète des Kôrêdugaw, rite de sagesse du Mali», l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), rapporte «Incarnant la générosité, la tolérance, l’inoffensivité et la maîtrise du savoir, ils (les Kôrêdugaw) appliquent les règles de conduite qu’ils préconisent aux autres» rapporte l’Unesco qui a inscrit Kôrè douga, en 2011, sur la Liste du patrimoine immatériel nécessitant une sauvegarde urgente. Ibrahim Bemba Kébé est de ceux qui se consacrent à la sauvegarde de ce legs.

«Les membres proviennent de toutes les couches socioprofessionnelles, sans distinction d’ethnie, de sexe ou de religion. Le statut de Kôrêduga est hérité et l’instruction se fait par les esprits ou par un maître» poursuit l’Unesco.

Entre les mains de ce jeune artiste né en 1996 à Bamako, revit la célèbre loi de Lavoisier selon laquelle «rien ne se crée, rien ne se perd, tout se transforme». Les œuvres d’Ibrahim Bemba Kébé sont généralement vendues entre 600.000 et 700.000 francs CFA.

Par Diemba Moussa Konaté (Bamako, correspondance)
Le 01/09/2024 à 15h08