Figure incontournable du reggae africain, l’ivoirien Tiken Jah Fakoly est bien plus qu’un musicien. Porte-voix des peuples opprimés, il défend depuis plus de deux décennies une Afrique souveraine, consciente de son histoire et de ses richesses. Avec des textes puissants et engagés, il dénonce les injustices sociales, la Françafrique, les manipulations politiques et les dérives du néocolonialisme.
En clôture du Festival Gnaoua et Musiques du Monde, Tiken Jah Fakoly a électrisé la scène samedi 21 juin. À l’occasion de son passage par Essaouira, l’icône du reggae engagé est revenue sur le rôle central de ce rendez-vous culturel, les liens forts qu’elle entretient avec le public marocain, et son combat pour l’éducation, qu’elle considère comme le véritable levier du réveil africain.
Le360: Ce concert au festival Gnaoua d’Essaouira s’inscrit dans une grande tournée internationale. Que représente cette date dans votre calendrier 2025 ?
Tiken Jah Fakoly: Cette date a une signification particulière pour moi. Je ne viens pas souvent au Maroc. J’y suis déjà passé, bien sûr, mais ce n’est ni régulier ni fréquent. Or, beaucoup de Marocains me contactent pour me dire combien ils apprécient ma musique. Venir ici, c’est donc essentiel. Chaque passage est une opportunité précieuse de retrouver ce public, de partager mon message. Ce sont toujours des instants très forts.
«Ce qui m’a marqué, c’est l’énergie du public, même tard dans la nuit. Ça fait toujours plaisir de voir les gens présents, engagés, attentifs.»
Vous vous êtes déjà produit plusieurs fois au Maroc. Quels souvenirs gardez-vous de ces concerts ?
Je n’en garde que de très bons souvenirs. J’ai joué à Dakhla, à Casablanca… un peu partout. À chaque fois, c’était dans le cadre de festivals, avec beaucoup de monde, une belle ambiance. Ce qui m’a marqué, c’est l’énergie du public, même tard dans la nuit. Ça fait toujours plaisir de voir les gens présents, engagés, attentifs.
Après tant d’années de carrière et une tournée internationale intense, d’où tirez-vous la force et l’inspiration nécessaires pour continuer à livrer des performances aussi puissantes sur scène ?
Mon énergie vient du message que je porte. C’est lui qui me donne la force. Sur scène, je me transforme parce que je sais que mes paroles ont du sens. Bien sûr, je m’entraîne physiquement pour tenir le rythme, mais c’est vraiment la portée de mes chansons qui me pousse à tout donner. C’est ma principale source de motivation.
Dans vos chansons, vous dénoncez, entre autres, la mainmise de l’Occident sur l’Afrique. Avez-vous dû faire des compromis pour continuer à défendre vos opinions en Europe, là où votre carrière a explosé ?
Non, je n’ai jamais fait de compromis. Je n’ai jamais édulcoré mes textes. Il faut dire que ce sont quand même des pays où la liberté d’expression existe, même s’il y a parfois des limites. Mais globalement, mon message a toujours été accepté. Quand je chantais «Françafrique» ou «Le pays va mal», certains Africains ne comprenaient pas encore de quoi je parlais. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, les gens sont mieux informés et comprennent mieux les enjeux. La Françafrique, tout le monde sait maintenant ce que c’est.
L’Afrique a pleinement le droit de revendiquer ses droits. Plus de six décennies après les indépendances, de nombreux déséquilibres persistent. Et j’ai la conviction que le développement harmonieux du continent n’est pas seulement vital pour les Africains, mais également dans l’intérêt des anciennes puissances coloniales.
«on nous a fait croire qu’on était pauvres, qu’on valait moins. Et à force, on l’a cru.»
Comment évolue votre engagement social aujourd’hui et quelles actions concrètes menez-vous pour le développement du continent ?
Comme je le disais, on a chanté pendant longtemps, et aujourd’hui, les réseaux sociaux sont venus renforcer notre combat. L’Afrique est en train de s’éveiller. Les énergies restent dispersées, mais la prise de conscience populaire est bien réelle. Le véritable défi, aujourd’hui, c’est l’unité. Nous sommes 54 pays: un chiffre puissant quand on pense que les États-Unis regroupent 50 États et l’Union européenne 27 membres.
Mais on nous a fait croire qu’on était pauvres, qu’on valait moins. Et à force, on l’a cru.
Moi, j’essaie d’apporter ma modeste contribution. J’ai créé une association qui s’appelle «Un concert, une école» grâce à laquelle j’ai pu construire six écoles. Parce que je suis convaincu que c’est l’éducation qui va réveiller l’Afrique.
Si les colons avaient su que l’école allait nous éveiller, peut-être qu’ils ne l’auraient pas instaurée! Mais voilà, c’est par là que le changement passe. Il faut continuer à scolariser les enfants. Le jour où la majorité des Africains sauront lire et écrire, ils comprendront qu’ils ont un intérêt commun: celui d’être unis.