Alors que les chefs d’État et de gouvernement africains se réunissent à Addis-Abeba les 15 et 16 février 2025 pour le 38ᵉ sommet ordinaire de l’Union africaine (UA), l’enjeu dépasse les traditionnelles déclarations diplomatiques. Ce sommet, placé sur le thème «Justice pour les Africains et les personnes d’ascendance africaine grâce aux réparations», cristallise des campagnes d’influence multiformes visant à orienter les décisions critiques sur la gouvernance économique continentale. Entre la crise fiscale, les appels à une architecture financière mondiale équitable et les élections clés au sein de l’instance panafricaine, lobbies, États et organisations internationales rivalisent pour peser sur l’agenda.
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Cela est indéniable, l’Afrique subit une pression financière sans précédent. Selon ONE Campaign, une organisation reconnue pour son engagement en matière de lutte contre la pauvreté et la promotion du commerce équitable, les États consacrent jusqu’à 58% de leurs revenus au service de la dette, limitant leurs capacités à investir dans les services essentiels.
Ce sommet intervient dans un contexte où les appels à la «justice réparatrice» – incluant des compensations pour les dommages historiques – rencontrent une urgence économique immédiate. Comme le souligne Serah Makka, directrice exécutive Afrique de ONE Campaign, dans un récent communiqué adressé à notre site d’informations Le360Afrique: «le système financier actuel a été conçu quand les pays africains étaient des colonies. Il ne peut servir des nations souveraines.»
Cette dualité – réparations historiques et réformes structurelles – façonne les stratégies d’influence. Les décideurs africains sont la cible d’acteurs variés : ONG plaçant l’équité au cœur des réformes, institutions financières internationales défendant des ajustements techniques, et puissances étrangères cherchant à consolider leurs partenariats économiques.
Siège de l'Union africaine. (AFP). AFP
L’agenda «Coût du Capital» et le Fonds africain de développement
Porté par l’Afrique du Sud, l’agenda «Coût du Capital» vise à réduire les disparités du taux d’emprunt entre pays africains et nations riches. Les États africains paient en moyenne quatre fois plus pour emprunter, une injustice systémique qui alimente le cycle de l’endettement. Ce dossier, techniquement complexe, est devenu un terrain de lobbying intense. Les ONG comme ONE Campaign mobilisent des données chocs pour alerter sur l’urgence sociale, les institutions financières (FMI, Banque mondiale) prônent des réformes graduelles, craignant une déstabilisation des marchés, ou encore les pays du G20, divisés, oscillent entre soutien rhétorique et réticences à modifier un système qui les avantage.
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Avec un objectif de 25 milliards de dollars, le Fonds africain de développement (ADF-17) est présenté comme un levier pour financer les infrastructures, la santé et la résilience climatique. La 17e reconstitution des ressources du Fonds africain de développement (ADF-17) est le guichet concessionnel de la Banque africaine de développement (BAD). Le succès de sa reconstitution dépendra de la capacité des diplomates africains à convaincre les contributeurs traditionnels (États-Unis, UE, Japon) et émergents (Chine, Inde). Les enjeux sous-jacents sont d’une part, la concurrence géopolitique et d’autre part, la légitimité de l’Union africaine.
En effet, la Chine, créancier bilatéral majeur de l’Afrique, pourrait utiliser ce dossier pour renforcer son influence face aux Occidentaux. En tant que premier créancier bilatéral de l’Afrique, la Chine dispose d’un avantage stratégique dans les négociations sur le réapprovisionnement de l’ADF-17. En soutenant ce fonds, Pékin pourrait opérer un pivot subtil : passer d’un rôle de prêteur bilatéral souvent critiqué pour son opacité et ses clauses controversées, à celui de contributeur multilatéral « responsable », tout en consolidant son influence.
Pour ce qui est de la légitimité de l’Union africaine, un échec dans la mobilisation de ressources endogènes affaiblirait la crédibilité de l’instance. La crédibilité de l’Union africaine repose en partie sur sa capacité à mobiliser des financements internes pour ses priorités, sans dépendre exclusivement de bailleurs externes. Un échec du réapprovisionnement du Fonds africain de développement (ADF-17) à hauteur de 25 milliards de dollars enverrait un signal désastreux: il confirmerait l’incapacité de l’instance à convaincre ses propres membres et partenaires de soutenir des mécanismes conçus par et pour l’Afrique. Rappelons qu’historiquement, l’UA peine à concrétiser ses ambitions financières, comme en témoignent les retards dans le financement de l’Agenda 2063 ou la faible contribution des États membres à son propre budget.
Jeux de pouvoir au cœur des élections internes à l’UA
C’est en cela que l’élection du président de la Commission de l’UA, son vice-président et les chefs des six commissions représentent des enjeux importants. Ces postes clés attirent donc des manœuvres d’influence. Les candidats sont soutenus par des coalitions régionales ou des puissances extérieures ayant des intérêts dans les dossiers financiers. Les lobbies économiques (entreprises multinationales, fondations) cherchent à placer des profils favorables à leurs secteurs (numérique, énergie). Dans un tel contexte, la question des réparations pourrait servir de monnaie d’échange : des pays occidentaux pourraient conditionner leur soutien à des postes à un assouplissement des demandes de compensations historiques.
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Ainsi, ce sommet teste la capacité de l’UA à incarner un leadership unifié face à trois défis : l’équilibre entre souveraineté et interdépendance, la rivalité sino-occidentale, et la pression des sociétés civiles. En effet, les propositions sur le coût du capital nécessitent un consensus au sein du G20, où l’Afrique du Sud devra négocier avec des partenaires réticents. Les États-Unis et l’UE veulent contrer l’influence chinoise en Afrique, mais leurs conditionnalités démocratiques entrent en tension avec les financements sans contreparties de Pékin, et les ONG, appuyées par des réseaux de jeunes ambassadeurs (comme ceux de ONE Campaign), réclament une transparence accrue dans les négociations sur la dette.
Un test pour la crédibilité institutionnelle
En définitive, ce 38ᵉ Sommet ordinaire de l’Union africaine n’est pas qu’une tribune politique : c’est un laboratoire où se redéfinissent les rapports de force économiques et historiques. Les campagnes d’influence révèlent les fractures et les convergences possibles entre acteurs locaux et globaux. Pour Serah Makka, «l’Afrique a besoin d’un système financier qui reflète ses réalités. Sans audace, les générations futures paieront le prix de notre inertie».
La réussite des propositions sur la dette et la 17e reconstitution des ressources du Fonds africain de développement (ADF-17), dépendra de la capacité des dirigeants africains à résister aux pressions contradictoires et à prioriser une vision à long terme. Dans un monde en reconfiguration, l’Union africaine a l’occasion de passer du statut de forum de débats à celui d’architecte d’un nouvel ordre économique – à condition que les jeux d’influence ne diluent pas ses ambitions.